Succès en séries
Les sitcoms abidjanaises font un tabac à l’étranger. Un exploit, compte tenu de la difficulté qu’ont les producteurs à les financer et à se faire rémunérer pour leur diffusion. La réussite va-t-elle finir par payer ?
Abidjan, la saga-cité
Bohiri est un père de famille respectable en apparence, mais il est surtout un homme à femmes qui fait le désespoir de son épouse, Akissi. Boris, médecin, également coureur de jupons patenté, n’est pas encore marié. Nafi, une jeune fille issue d’une famille défavorisée, persévère dans ses études en dépit des obstacles. Betty est une étudiante à la personnalité bien trempée et au tempérament de cheftaine… Leur point commun ? Tous sont des personnages de fiction créés en Côte d’Ivoire, et leur célébrité dépasse désormais les frontières du pays.
Abidjan régnerait-elle désormais sur l’univers des séries télévisées africaines ? À Brazzaville, Bamako, Cotonou, Douala et dans les diasporas, en Europe et en Amérique du Nord, on suit passionnément Ma famille, Nafi, Dr Boris, Class’A ou Teenager.
Chroniques conjugales, récits de vie lycéenne, scènes de « cour commune », ces séries télévisées font un tabac. « Les acteurs ivoiriens dégagent un naturel particulier. En plus, ils savent faire rire sans être ridicules », juge une diplômée en communication camerounaise. « Ces séries sont en français, elles n’ont pas besoin d’être sous-titrées. Ce sont des histoires qui parlent à toute l’Afrique, dans lesquelles de nombreux Africains peuvent se reconnaître. En plus, les dialogues sont mis en valeur par un phrasé très imagé, plein d’humour », argumente un consultant parisien.
Acteurs starisés
Ces productions se font progressivement une place à côté des telenovelas sud-américaines, des soaps nord-américains et des sitcoms britanniques. Pourtant, elles sont écrites, tournées et filmées de façon encore très artisanale. « Nous avons un vrai problème avec l’écriture suivie et structurée, explique Armand Brice Tchikamen, réalisateur de Class’A. Au départ, l’intrigue est bien pensée, mais une sorte de navigation à vue finit par s’imposer. Alors, on improvise. On retravaille certains rôles, sans s’éloigner de l’idée principale. »
De manière générale, les équipes techniques – réalisateurs, cameramen, preneurs de son, éclairagistes, etc. – sont des professionnels ayant fait leurs armes à la télévision nationale ou au sein d’entreprises privées de production audiovisuelle. Les acteurs, eux, ont deux types de profil. Il y a ceux qui se sont fait connaître dans les émissions de sketchs (Comment ça va ?, Faut pas fâcher) créées au sein de la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI) par des professionnels venus du théâtre. À l’image de Léonard Groguhet, l’un des rares artistes ivoiriens à avoir, de son vivant, une rue baptisée à son nom. Il y a aussi les amateurs, repérés lors de castings ouverts à tous, puis formés par la maison de production. « Nous avons fait le choix de choquer en allant chercher le talent dans la rue », explique Jean-Hubert Nankam, patron de Martika Production. Avait-il vraiment le choix ? Ses séries Class’A et Teenager mettent en scène des personnages jeunes. Or il n’existe aucune formation au métier d’acteur en Côte d’Ivoire.
Comment tourner des épisodes à un rythme rapide – pour des raisons financières évidentes – quand il n’existe pas de studios adaptés ? La majorité des sociétés de production noue des partenariats avec des propriétaires de lieux publics ou privés – maisons, écoles, hôpitaux, maquis (bars), hôtels, etc. – qui mettent leur espace à disposition des équipes de tournage contre une exposition publicitaire ou une indemnité symbolique. LAD Production, de la célèbre actrice Akissi Delta, a choisi de louer en permanence trois villas pour pouvoir tourner sans aucune contrainte. « Même la maison dans laquelle je vis tient lieu de studio de tournage », confie la comédienne.
Le modèle économique des séries ivoiriennes n’est pas encore arrivé à maturité. Par manque d’argent ou de bonne volonté, de nombreuses chaînes de télévision ne veulent pas payer pour les diffuser. Ou alors très peu. « En général, elles déboursent au plus 200 000 F CFA [moins de 305 euros, NDLR] par épisode, déplore Akissi Delta. Elles peuvent descendre jusqu’à 50 000 F CFA. » Quand le tournage d’un épisode coûte entre 2 millions et 4 millions de F CFA.
Productrice de Nafi, Eugénie Ouattara, alias Djuédjuessi, a quant à elle arrêté sa série avant son terme faute de moyens financiers. « J’ai tout fait pour intéresser les sponsors, mais personne ne m’a répondu favorablement. Même les demandes d’aide que j’ai adressées aux institutions ou aux “grands types” de ce pays n’ont pas eu de suite », s’est-elle indignée dans une interview accordée à l’hebdomadaire people Top Visages.
De l’artisanat à l’industrie
Les succès à l’international représentent une vraie bouffée d’air frais. Certains producteurs signent désormais, dans chaque pays, des contrats de bartering avec des annonceurs – ces derniers s’engageant à payer pour la diffusion à condition d’apparaître comme sponsor dans les génériques de début et de fin ou dans les intermèdes publicitaires.
Outre le bartering, un modèle alternatif existe, actuellement expérimenté par la société française Rox Africa, représentée en Côte d’Ivoire par Studio 225 Production. L’entreprise ne passe pas par les chaînes de télévision et les annonceurs. Elle salarie ses acteurs (dont le célèbre Michel Gohou, qu’elle « loue » en cas de nécessité) et produit des comédies qu’elle distribue en DVD, surtout au sein de la diaspora, et qu’elle diffuse, contre rémunération, dans des lieux publics (avions, lounges…).
La libéralisation de l’espace audiovisuel dans de nombreux pays – mais pas encore en Côte d’Ivoire –, le début d’intérêt manifesté par les bailleurs de fonds institutionnels comme la Francophonie et l’Union européenne, ainsi que le développement de la vidéo à la demande à l’international sont de vraies opportunités économiques. Cependant, les producteurs sont catégoriques : sans une forte volonté politique des autorités nationales, il sera difficile de passer des initiatives artisanales à une véritable « approche de marché ».
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