Youssef Nabil
Ce photographe égyptien établi à New York et passionné de cinéma navigue entre journal intime et portraits d’artistes. Sa principale ambition ? L’immortalité.
Omar Sharif, Rossy de Palma, Natacha Atlas, Sting, David Lynch, Faten Hamama… Voilà quelques-unes des célébrités que l’objectif de Youssef Nabil a immortalisées. Sa démarche de portraitiste n’a jamais varié. Qu’il photographie ses amis, comme à ses débuts, des stars, ou encore lui-même, comme aujourd’hui, il commence d’abord par mettre son sujet en scène avant de prendre une photo, puis de la tirer en noir et blanc et de la coloriser à la main. Le résultat ? Ses modèles ont cet air glamour suranné qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère des films classiques égyptiens auxquels il a été biberonné. Ce sont d’ailleurs ces chefs-d’œuvre du patrimoine cinématographique de son pays qui sont à l’origine de sa vocation d’artiste. « Je devais avoir tout juste 5 ans quand j’ai réalisé qu’en fait les acteurs “jouaient” des personnages. Il ne s’agissait pas de leur vraie vie, mais d’une sorte de “jeu” auquel ils avaient recours pour nous raconter une histoire qui n’avait rien de “réel” », confie-t-il. Ayant pris conscience de la différence entre fiction et réalité, Nabil demande à sa mère : « Mais où sont-ils, maintenant, ces acteurs ? » Et le plus souvent, elle répond : « Ils sont morts. » « C’était une réponse choquante. J’étais amoureux de tous ces gens beaux et morts. Plus tard, j’ai eu envie de rencontrer les stars que j’aimais et de les photographier avant qu’elles meurent ou que je meure », poursuit ce jeune homme qui a grandi à Héliopolis, une coquette banlieue du Caire.
Issu d’un milieu modeste, Youssef Nabil dilapide son maigre argent de poche aux puces, où il achète des revues d’art européennes. Il y apprend l’anglais, s’informe sur les pratiques artistiques… Puis il découpe les articles qui l’intéressent et, avec le reste, réalise des collages. S’il s’imagine bien étudiant en art, ses parents, plutôt modestes, préféreraient qu’il suive une filière moins précaire. « Mes proches ne comprenaient pas ce que je voulais faire. Ils s’inquiétaient pour moi. Ils voulaient que j’aille à l’université. Ce que j’ai fait puisque, de toute manière, aucune école des beaux-arts où j’avais postulé ne voulait de moi. J’ai décroché une maîtrise de littérature française à l’université d’Ain Shams, au Caire, mais je ne me souviens pas de ce que j’y ai étudié… »
À partir de 1992, avec un appareil photo emprunté, il réalise ses premiers clichés. Des amis viennent poser dans sa chambre. Il commence le journal intime qu’il poursuit encore aujourd’hui. Et c’est en cherchant à faire tirer ses photos qu’a lieu la première rencontre décisive : le photographe arménien Van Leo, célèbre pour ses portraits hollywoodiens, qui avait son studio au Caire. « Van Leo m’a encouragé. Il m’a expliqué beaucoup de choses sur la photographie. On passait énormément de temps à parler de la vie, de l’art, des gens… Il était très généreux, et il me manque énormément aujourd’hui », reconnaît le jeune artiste. À la mort de Van Leo, en 2002, Youssef Nabil n’est plus un inconnu. Il a eu l’occasion de travailler à New York comme assistant d’un autre photographe, David LaChapelle, rencontré en Égypte par le plus grand des hasards. « Je photographiais une amie dans un ancien hôtel du Caire quand LaChapelle m’a abordé… Il réalisait un reportage et avait besoin d’une aide logistique. J’ai un peu travaillé pour lui, et on est resté en contact. De retour à New York, il m’a proposé de le rejoindre… et en mars 1993 j’ai débarqué aux États-Unis, et je suis devenu son assistant », explique-t-il.
Après avoir travaillé quelques années avec LaChapelle, Nabil collabore avec Mario Testino, autre coqueluche du milieu de la mode. En 1998, il cesse d’assister les autres pour se consacrer entièrement à son propre travail. Il rentre (provisoirement) au pays et se lance dans une série de portraits de personnalités artistiques du monde arabe, dont les chanteurs Amr Diab et Cheb Khaled ou le réalisateur Youssef Chahine. En 1999, il expose pour la première fois ses travaux en Égypte. Deux ans plus tard, sa première exposition individuelle à l’étranger a lieu au Mexique. Il y voit un signe, lui qui se sent des affinités avec la peintre Frida Kahlo. Sa carrière internationale est lancée. En 2003, il est invité à la Cité internationale des arts, à Paris. Il quitte l’Égypte en sachant qu’il ne s’y réinstallera pas de sitôt. « En partant, je savais que je ne voulais pas revenir. Je sentais venir une forme d’autocensure. Pour l’éviter, j’ai eu besoin de partir », dit-il. Qu’en est-il sept ans plus tard ? « Je pourrais revivre à Héliopolis, le quartier où j’ai grandi, ou, pourquoi pas, dans le désert… » Pourquoi, alors, avoir quitté Paris pour New York, en 2006 ? « C’était l’un de mes rêves. J’ai toujours entendu parler des artistes vivant à New York comme Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Andy Warhol… ».
Aujourd’hui, il peut s’enorgueillir d’une reconnaissance internationale. Ses nombreuses publications (I Live Within You, chez Scad, ou I Won’t Let You Die, chez Hatje Cantz) mais aussi les galeries (The Third Line à Dubaï, Volker Diehl à Berlin), les institutions (Villa Médicis, Institut du monde arabe) et les manifestations (Biennale de Venise, Rencontres africaines de la photographie) où il expose en témoignent. Son œuvre, ponctuée d’autoportraits, est une sorte de journal intime pudique où il est question d’amour, de sexe et de solitude. Pour Nathalie Obadia, sa galeriste à Paris, Youssef Nabil est « un artiste romantique qui sait montrer l’intime avec grâce ». Elle le compare aux grands portraitistes que sont Ingres, Gainsborough, Renoir et, plus près de nous, David Hockney. « C’est un coloriste hors pair qui trouve toute l’âme des sujets dans les palettes utilisées. Youssef Nabil est un peintre de la photographie, son œuvre est unique et n’a pas besoin de formats spectaculaires pour s’exprimer », poursuit-elle.
Pour Youssef Nabil, « photographier est une sorte d’union ; et le travail qui naît, après, un acte d’amour, qui est le fruit de cette rencontre ». À qui rêve-t-il de s’unir aujourd’hui ? « Néfertiti… de son vivant », répond-il sans hésitation. Mais quand on lui demande de se limiter aux personnes encore de ce monde, il répond « Elizabeth Taylor et Sophia Loren ». En attendant de les immortaliser, il est en train de concrétiser un autre rêve, qui n’étonnera personne vu l’admiration qu’il voue au cinéma : troquer son appareil photo contre une caméra.
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