God Save the Deal
Pour la première fois en temps de paix, conservateurs et libéraux-démocrates vont tenter de gouverner ensemble. Mais leurs désaccords – sur l’Europe notamment – n’ont pas disparu pour autant.
Après treize ans de règne sans partage des travaillistes, les élections législatives du 6 mai ont porté au pouvoir le plus jeune Premier ministre depuis deux cents ans, la première coalition de partis depuis soixante-cinq ans et le premier gouvernement de l’histoire britannique réunissant, en temps de paix, conservateurs et libéraux-démocrates. Une petite révolution… qui doit tout au hasard.
Les sondages le prédisaient et la City le redoutait : aucune majorité n’est sortie des urnes, le désir de renouvellement après l’ère Gordon Brown le disputant dans la tête des électeurs à la crainte que des gouvernants novices n’étouffent le retour de la croissance. Les Tories se sont retrouvés dans l’impossibilité de gouverner seuls. Ils ne disposent que d’une majorité relative de 306 sièges, alors que le Labour en totalise 258 et les LibDem 57.
Au bout de cinq jours d’intenses négociations, David Cameron et Nick Clegg, le patron des LibDem, ont, à la surprise générale, conclut un accord. Un « bon deal », comme l’écrit l’hebdomadaire The Economist. On croyait les LibDem plus proches des travaillistes que des conservateurs. Mais « l’arithmétique rendait une coalition “Lib-Lab” impraticable », a plaidé Clegg devant ses troupes, le 15 mai. Bref, la seule « façon responsable de jouer la carte que les Britanniques [leur] ont mise en main » était de constituer cette coalition « bleu-jaune » qui peut compter sur 59 % des suffrages au Parlement pour faire passer les douloureuses réformes qui s’imposent.
Mâles blancs
On a regretté dans la presse britannique que Cameron et Clegg (43 ans tous les deux) aient concocté un gouvernement de « mâles blancs » issus de milieux favorisés (seize ministres sont sortis des universités les plus huppées). De fait, ils n’ont enrôlé que quatre femmes, dont, quand même, Sayeeda Warsi, première musulmane à occuper un poste ministériel. Mais le renouvellement est incontestable. Sur les vingt-trois membres du cabinet, dix-huit sont conservateurs et cinq libdem. Les ténors du gouvernement sont jeunes et combatifs. George Osborne, le chancelier de l’Échiquier, parrain d’un enfant du Premier ministre, a 39 ans et promet de s’attaquer aux déficits publics avec une fougue qui fait peur aux milieux d’affaires. Autre eurosceptique de choc, William Hague, 49 ans, qui, au Foreign Office, entend conduire « une politique étrangère distinctement britannique ». À 67 ans, Vince Cable, le numéro deux des LibDem, fait figure de doyen, mais ses dénonciations, avant même la crise des subprimes, des excès de la finance en ont fait l’homme politique le plus populaire du royaume, avec Clegg. Ministre du Commerce et des Banques, il entend mettre au pas le secteur. Du coup, certains, à la City, le voient en « loup déguisé en agneau »…
David et Nick ont fait preuve d’une science consommée du compromis et tordu le bras aux plus extrémistes de leurs partisans. Le premier a fait manger leur chapeau à ses eurosceptiques et à ses ultralibéraux ; le second, à ses europhiles et à ses écolos. Les conservateurs ont cédé sur la troisième piste de l’aéroport de Heathrow et sur un allègement des droits de succession qu’ils désiraient. Les LibDem ont accepté de ne pas s’opposer au remplacement des sous-marins nucléaires et ne demandent plus l’entrée dans la zone euro. Cette « nouvelle façon de faire de la politique », selon Clegg, aboutit à d’étonnants compromis. Les LibDem feront campagne contre le renouvellement du parc électrique nucléaire cher à leurs alliés, mais s’abstiendront lors du vote final. Les conservateurs sont hostiles à une réforme du système électoral uninominal à un tour, auquel les LibDem tiennent par-dessus tout, mais ils ne s’opposeront pas à ce qu’elle soit soumise à référendum. Les quatre feuillets que compte leur programme commun seront étoffés d’ici à la fin du mois, mais la feuille de route est claire. Priorité numéro un : la réduction du déficit et la reprise économique. Avec 163 milliards de livres (190 milliards d’euros) de déficit, une dette publique passée en deux ans de 45 % à 68 % du produit intérieur brut et un chômage à 8,2 %, soit 2,5 millions de demandeurs d’emplois, le royaume est en effet en piteux état. Pour preuve de sa détermination, la nouvelle équipe a annoncé 6 milliards de livres d’économies et une baisse de 5 % des salaires des membres du gouvernement. Le 22 juin, Osborne rendra public un budget d’austérité en vue de « solder le terrible héritage économique » des travaillistes, selon le mot de Cameron.
Il y aura des secousses
Priorité numéro deux : la réforme des institutions. Les LibDem souhaitent introduire une dose de proportionnelle lors des prochaines élections. La Chambre des lords sera en partie élue, et les circonscriptions législatives seront redécoupées afin d’instaurer davantage d’égalité en termes de population. Enfin, le Premier ministre ne pourra plus dissoudre le Parlement avant le terme de la législature, sauf si 55 % des députés en sont d’accord.
Ce qui signifie que la prochaine élection aura lieu le 7mai 2015, et pas avant. « Cela va nous permettre de prendre des décisions à long terme », s’est félicité Cameron. Sauf évidemment si la coalition bleu-jaune explose avant. Par exemple, à propos de l’Union européenne (le Premier ministre a pourtant promis de se comporter en « participant positif »), de l’immigration, de l’Afghanistan ou de l’environnement. Optimiste, Nick Clegg ne se fait pas trop de souci. « Il y aura en chemin des secousses et des égratignures », mais, dit-il, « la coalition est partie pour durer ». L’un et l’autre ne partagent-ils pas la conviction, David Cameron dixit, que « l’État est devenu trop gros et trop despotique » ? God Save the Deal !
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