La guerre de l’eau

Peu enclin à céder une partie de ses privilèges, Le Caire dénonce le nouvel accord de partage des eaux du Nil signé par cinq pays riverains.

La suprématie de l’Egypte sur le Nil est contestée par ses voisins. © AFP

La suprématie de l’Egypte sur le Nil est contestée par ses voisins. © AFP

Publié le 26 mai 2010 Lecture : 3 minutes.

En réaction à la signature, le 14 mai, à Entebbe (Ouganda), d’un nouvel accord de partage des eaux du Nil entre quatre pays d’Afrique de l’Est – l’Éthiopie, le Rwanda, la Tanzanie et l’Ouganda –, rejoints ensuite par le Kenya, l’Égypte menace de recourir à la justice internationale pour faire valoir ses « droits historiques » sur le fleuve. Mais, à terme, Le Caire ne semble pas avoir d’autre issue que de céder une partie de ses privilèges sur le Nil.

L’événement, annoncé de longue date, n’a étonné personne. La RD Congo et le Burundi ont promis d’apposer bientôt leur signature. L’Égypte « prendra les mesures légales et diplomatiques nécessaires pour défendre ses droits », a aussitôt affirmé le ministre égyptien de l’Eau et de l’Irrigation, Mohamed Allam. Les accords concernant les fleuves sont aussi « sacrés et inviolables que ceux concernant les frontières », a renchéri le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit.

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Une situation inéquitable

Plus que jamais, l’Égypte se cramponne à ce qu’elle considère comme un droit inaliénable : l’accord précédent, élaboré par le colonisateur britannique en 1929, et amendé en 1959 par l’Égypte et le Soudan, concédait 55,5 milliards de m3 par an à l’Égypte et 18,5 milliards au Soudan. Les deux pays accaparaient ainsi 87 % du débit du fleuve, tandis qu’une clause accordait à l’Égypte un droit de veto sur tout projet de barrage en amont du fleuve. Une situation que les pays d’Afrique de l’Est jugeaient inéquitable et qu’ils tentaient de modifier depuis plus de dix ans. Le nouveau texte annule le précédent accord, sans mentionner de chiffres concernant la répartition des eaux. Plus qu’une valeur légale, sa signature a un objectif politique clair : manifester la colère des pays en amont du fleuve à l’égard de l’Égypte et du Soudan. « Le Nil est une ressource pour tous », déclarait, le 14 mai, le ministre éthiopien des Ressources hydrauliques, Asfaw Dingamo. L’accord met ainsi fin, symboliquement, à l’Initiative du bassin du Nil, créée en 1999 avec le soutien de la Banque mondiale pour tenter d’apaiser les tensions entre les neuf pays riverains du fleuve. Une Commission du bassin du Nil, basée à Addis-Abeba, est censée la remplacer.

Face à cette « fronde », Le Caire appelle les pays signataires du nouvel accord à revenir autour de la table des négociations. Mais refuse catégoriquement de renoncer à son droit de veto ou de reconsidérer sa part du débit du fleuve. « C’est un peu comme Israël avec les Palestiniens : l’Égypte répète qu’elle veut négocier, mais elle ne compte rien céder de ses prérogatives », commente un diplomate occidental au Caire.

Les pays équatoriaux ont de la pluie en abondance, alors que l’Égypte­ n’a que le Nil, qui lui fournit 90 % de ses besoins en eau », rappelle Hani Raslan, chercheur au Centre d’études politiques et stratégiques Al-Ahram. Pour les Égyptiens, des pays comme l’Ouganda ou la RD Congo devraient rationaliser leur utilisation de l’eau de pluie avant de réclamer leur part du fleuve. Le Caire a lancé plusieurs projets de coopération allant dans ce sens : creusement de puits au Kenya, nettoyage des lacs ougandais envahis par les jacinthes d’eau ou construction de centrales électriques en Éthiopie.

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Mais ces initiatives arrivent probablement trop tard. L’Égypte a longtemps négligé ses relations diplomatiques avec l’Afrique subsaharienne­, et en paie aujourd’hui le prix. D’autres États, comme la Chine, ont aujourd’hui plus d’influence qu’elle en Afrique de l’Est. Israël soutient également des projets de barrage en Éthiopie et en Ouganda, avec peut-être l’espoir d’accéder un jour à l’eau du Nil. « La diplomatie égyptienne regarde toujours l’Afrique subsaharienne avec condescendance, estime Nabil Abdel Fattah, un autre chercheur du centre Al-Ahram. Nos relations avec le continent doivent être repensées et fondées sur plus d’équité. » Puisque personne n’envisage sérieusement de lancer une première « guerre de l’eau », le temps semble être venu pour l’Égypte de repenser sa diplomatie africaine. Dans son propre intérêt.  

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