Droit de réponse : le ministre et le prisonnier

A la suite de la parution au début de février 2010, dans le no 2661 de J.A., d’un éditorial intitulé « Prisons d’Afrique », le vice-Premier ministre et ministre de la Justice de la République du Cameroun, M. Amadou Ali, nous a fait parvenir (avec un certain retard) une mise au point dont nous publions ici l’essentiel.

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Publié le 1 juin 2010 Lecture : 3 minutes.

« L’éditorial de votre journal a fait une analyse critique des prisons d’Afrique, et de celles du Cameroun en particulier. A l’appui de son analyse, votre journal a publié des extraits d’une lettre que le nommé Ottou Sylvestre vous a fait parvenir et dans laquelle il affirme être détenu à la prison centrale de Yaoundé au quartier No 8, cellule No 93, où il purge depuis un quart de siècle déjà une condamnation à vie pour meurtre commis alors qu’il n’avait que 16 ans. Déplorant ses conditions de détention, le susnommé y affirme qu’il crève de faim, qu’il est nu et sans argent pour se payer un avocat. […]

Je tiens à démentir toutes les affirmations et allégations publiées dans cet éditorial.

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La justice camerounaise s’est depuis toujours dotée d’instruments juridiques modernes et avant-gardistes pour la protection tant de l’intérêt général que des droits et libertés individuels. Le code de procédure pénale actuellement en vigueur au Cameroun fait de la détention d’un prévenu ou d’un accusé l’exception, la règle étant la liberté. Ce code prévoit une procédure spéciale de poursuite des délinquants mineurs, des mesures particulières de redressement et d’insertion sociale et, enfin, un régime carcéral approprié pour cette catégorie de détenus. Il prévoit aussi des procédures de l’habeas corpus (libération immédiate), d’assistance d’office des détenus par des avocats et de la liberté sous caution. Le code pénal quant à lui prévoit la libération conditionnelle, la réhabilitation et le recours en grâce aux côtés de plusieurs autres mesures de sûreté.
Loin d’être des "goulags tropicaux", les prisons camerounaises sont aujourd’hui inscrites dans un processus de modernisation suffisamment protecteur des droits de l’homme et de la dignité humaine.

S’agissant du détenu Ottou Sylvestre, je vous prie de trouver ci-joint le procès-verbal de son audition par le parquet près du tribunal de grande instance du Mfoundi-Yaoundé.

Il y affirme qu’il n’est détenu que depuis 2005. Il n’a jamais commis de meurtre à 16 ans et est du reste bien portant. Il déclare lui-même avoir menti pour attirer l’attention d’éventuels bienfaiteurs sur son sort.

En effet, âgé de 40 ans, né le 7 juillet 1970, Ottou Sylvestre a été transféré de la prison de Mbalmayo pour celle de Yaoundé le 4 juin 2007, où il continue de purger deux peines de quatre ans chacune pour, respectivement, vol aggravé et vol simple. »

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Amadou Ali, vice-Premier ministre, ministre de la Justice, Garde des sceaux.

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NDLR : Le détenu Sylvestre Ottou, cellule 93, quartier No 8 de la prison centrale de Yaoundé a-t-il menti sur sa situation pénale, ainsi que l’affirme le ministre Amadou Ali, sur la base d’un procès-verbal d’audition joint à sa mise au point ? C’est possible – auquel cas J.A. aurait été trompé et ce détenu aurait rendu un bien mauvais service à la cause qu’il prétend défendre. Reste que dans ce P.-V. d’audition réalisé quelques jours après la publication de l’éditorial de J.A., trois détails au moins posent problème. Le détenu Ottou y avoue nous avoir écrit parce qu’il avait « besoin d’un peu d’argent » – alors que nulle part dans sa lettre il ne formule une telle demande, précisant même le contraire. Il affirme par ailleurs dans ce P.-V. qu’il ne s’attendait pas à ce que J.A. publie sa lettre ou son contenu – alors même qu’il nous a explicitement demandé d’en faire une mention aussi large que possible.

Il reconnaît également n’avoir jamais subi de mauvais traitements à la prison de Kondengui et semble regretter l’impact de « ses déclarations mensongères sur l’image du Cameroun tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ». Pourtant, dans d’autres courriers qu’il nous a fait parvenir ultérieurement, il récidive et insiste, allant jusqu’à nous communiquer la liste d’une cinquantaine de détenus libérables (certains depuis plus de quatre ans) mais toujours, selon lui, emprisonnés. On nous permettra donc de prendre ces aveux avec les réserves d’usage. Pour le reste, tout en rendant hommage au remarquable travail de modernisation du code pénal et du code de procédure pénal effectué sous la houlette du ministre Amadou Ali, les témoignages de détenus camerounais reçus par J.A. depuis la parution de­ cet éditorial démontrent qu’il reste encore beaucoup de­ chemin à faire pour réduire l’écart qui perdure entre ces textes et les réalités carcérales.

François Soudan

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