La course contre la mort de Deon Meyer
Thriller haletant, le dernier Deon Meyer est aussi un roman social qui décrit les relations entre les policiers des différentes communautés sud-africaines. Interview.
Une jeune et belle Américaine égorgée dans un faubourg du Cap. Un producteur de musique abattu par balles. Une femme poursuivie à travers la ville par de jeunes tueurs que rien ne semble pouvoir arrêter. Un policier alcoolique qui vient de cesser de boire et doit former des collègues moins expérimentés promus grâce à la discrimination positive. 13 Heures, le nouveau polar du Sud-Africain Deon Meyer, mérite d’être qualifié de thriller haletant. L’action ne dure peut-être qu’une demi-journée, mais la cavale d’un personnage coursé par la mort et les efforts d’une armada de policiers pour le localiser laissent à bout de souffle. En outre, 13 Heures est aussi un roman social qui dissèque avec précision les relations entre les policiers des différentes communautés de la nation Arc-en-Ciel quelques années après l’institution de la discrimination positive. Rencontre avec l’auteur, de passage à Paris.
Jeune Afrique : Comment réagissez-vous aux manifestations qui ont suivi l’assassinat de l’extrémiste Eugène Terreblanche en avril ?
Deon Meyer : Où cela s’est-il passé ? À Ventersdorp, dans la petite ville où a eu lieu le meurtre. Il y avait à peu près 200 Noirs et 200 Blancs. C’était un tout petit événement, très localisé, entre les communautés de cette province. Ce n’est pas un sujet d’inquiétude.
Cela fait un an que Jacob Zuma est au pouvoir. Que pensez-vous de sa gestion politique ?
Vous avez deux ou trois heures pour en parler ? La situation politique sud-africaine est très compliquée. Seize années se sont écoulées depuis 1994, onze après Mandela. Nous sommes passés de l’apartheid à la démocratie, nous avons mis en place un processus de discrimination positive, le gouvernement est désormais représentatif, mais nous rencontrons des problèmes nouveaux – lesquels peuvent ressembler à ceux rencontrés par le gouvernement afrikaner en 1948. Même au sein de l’ANC, il existe de nouvelles dynamiques. L’alliance entre l’ANC, le Parti communiste et la Cosatu [principale centrale syndicale du pays] commence à montrer des signes de faiblesse, ce qui est normal dans une démocratie. Mais surtout, une part très importante de notre population n’a constaté aucune amélioration de son niveau de vie. Il faudra cinquante ou soixante ans pour que cela s’améliore, et les gens veulent de l’action tout de suite.
En ce qui concerne Zuma, je pense qu’il fait du bon travail. Il n’est pas parfait, mais Nicolas Sarkozy ne l’est pas non plus. Zuma se soucie réellement du pays. Après la crise financière mondiale, l’Afrique du Sud a perdu beaucoup d’investissements étrangers qui auraient pu améliorer la situation. Le gouvernement a bien conduit notre économie, et nous sommes peut-être l’un des pays les moins affectés par la crise. Les deux à cinq prochaines années seront cruciales pour la réussite de l’Afrique du Sud. Les médias en ont fait beaucoup à propos de la vie privée de Zuma. Je ne pense pas que cela importe.
Votre nouveau roman, 13 Heures, porte sur la réconciliation entre les différentes communautés sud-africaines…
Je ne le vois pas ainsi. Je n’écris jamais sur un sujet particulier. J’essaie de raconter une histoire distrayante. Si un auteur veut asséner de grandes phrases avec ses livres, alors il ferait mieux de devenir prêtre. Si vous pensez que le livre porte sur la réconciliation, cela me rend très heureux, mais je ne l’ai pas rédigé dans cette intention. Cela dit, aujourd’hui, au sein des services publics et en particulier dans la police, nombre de personnes qui viennent de cultures, d’ethnies, de milieux différents doivent travailler ensemble. Ils n’ont pas le choix. C’est l’arrière-plan de mon intrigue.
J’ai placé mes personnages dans ce décor. Certaines choses leur sont arrivées durant le processus d’écriture, mais ce n’était pas forcément mon intention… Personne ne connaît l’influence du subconscient sur l’écriture. J’essaie juste de donner aux protagonistes une certaine authenticité. C’est ce qu’il y a de génial dans l’écriture : vous devez voir le monde à travers les yeux de chacun d’entre eux. Et en ce qui me concerne, cela me permet de mieux comprendre la société sud-africaine.
La question de la discrimination positive est tout de même au cœur de votre roman. Partagez-vous l’opinion de certains personnages, qui en souffrent ?
Ce n’est pas ma position. La discrimination positive est essentielle si nous voulons lutter contre les inégalités. Les policiers coloured et les Blancs ont eu du mal à l’accepter, mais ils ont fini par reconnaître que c’était une bonne chose. Le livre que je suis en train d’écrire m’a conduit à faire beaucoup de recherches sur ce qui s’est passé dans la police depuis 1994. La discrimination positive a sans doute été trop rapide et trop intense. Elle aurait dû s’étaler sur une période plus longue et être plus souple, parce que l’expérience de certains a été perdue. La discrimination positive, c’est une de ces choses que vous acceptez quand elle vous est favorable et que vous refusez quand elle vous est défavorable. C’est humain.
Vous évoquez un nouveau livre, de quoi s’agit-il ?
Le titre en afrikaans [sa langue d’écriture, NDLR] est Spoor, qui signifie « empreinte » et porte sur les liens entre le crime organisé et le terrorisme.
Comment travaillez-vous ?
Je ne planifie pas mes livres de façon précise. J’ai d’abord une idée très large de ce qui va se passer. Puis je fais des recherches pendant deux ou trois mois avant de commencer à écrire, mais les recherches ne s’achèvent qu’avec la fin du livre. Parfois, en écrivant, vous découvrez de nouvelles possibilités et vous devez en savoir plus pour être sûr que cela fonctionne.
Vous écrivez des livres sans concessions. Comment réagissent vos lecteurs ?
Personne ne m’a jamais attaqué. Les réactions que je reçois des lecteurs, en Afrique du Sud, noirs, blancs, afrikaans, zoulous, sont toujours les mêmes : « J’aime le livre, j’aime les personnages », et c’est tout. En Afrique du Sud, mes livres sont considérés comme des polars qu’on lit pour son plaisir et non pour les références politiques ou sociales.
Pourquoi avoir choisi le genre du roman policier ?
Depuis l’adolescence, j’aime lire des polars. Ils composent 60 à 70 % de ce que je lis. Quand j’ai commencé à écrire, j’ai réfléchi en termes d’histoires et j’ai réalisé que celles que je voulais raconter appartenaient à ce genre, et j’étais à l’aise car j’en maîtrisais les arcanes. L’idée, c’était de m’asseoir pour écrire une histoire pleine de suspense que j’aurais plaisir à lire. On essaie toujours d’écrire l’histoire qu’en tant que lecteur on aimerait lire.
Vous êtes marié, père de famille, auteur à succès, comment expliquez-vous que vos personnages soient souvent des gens brisés ?
Tout le monde est blessé par la vie. Je le suis. J’ai souffert. J’extrapole à partir d’événements qui me sont arrivés ou qui sont arrivés à des proches. Je pose des questions, j’écoute des histoires et j’utilise mon imagination pour créer des personnages à partir de ce matériau. Pour moi, il serait difficile d’écrire sur un héros exclusivement bon parce que je ne crois pas que ce type de personnage existe… Ou peut-être en nombre très réduit ! Et puis bien raconter, c’est se concentrer sur la notion de conflits. Les conflits entre bons et méchants, bien sûr, mais aussi les conflits intérieurs. Une histoire devient vraiment intéressante quand le conflit intérieur est plus important que le conflit extérieur, quand un homme doit se battre avec ses principes ou son instinct.
Vos personnages sont représentatifs du milieu policier ?
En 1994, j’ai fait des recherches pour mon premier roman, Jusqu’au dernier. C’était la première fois que je me documentais pour un texte. J’ai passé deux semaines avec la brigade des homicides de la police du Cap. C’est à ce moment que j’ai vraiment réalisé à quel point les policiers travaillaient dans un contexte post-traumatique permanent. Si vous êtes un être humain normalement constitué, il est impossible de passer d’une scène de crime à une autre, de vivre dans l’environnement immédiat de la mort sans être affecté. Chaque détective s’adaptait aux circonstances à sa manière. Certains devenaient alcooliques, d’autres se réfugiaient dans le silence, d’autres en faisaient des tonnes, blaguant sur le sujet. J’ai trouvé cela fascinant, car nous, le public, ne le savons pas. Nous ne réalisons pas à quel point ce travail est stressant et… mal payé.
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