Bataille pour une recette miracle
Le beurre d’arachide produit par le groupe français Nutriset a prouvé ses vertus. Seul bémol : son brevet est contesté par des concurrents et plusieurs ONG.
C’est un beurre de cacahuète qui sauve des millions d’enfants chaque année. Un beurre mélangé à du sucre et du lait, enrichi en vitamines et minéraux, conditionné en petits sachets individuels, qui ne demande ni cuisson ni adjonction d’eau, consommable tel quel et qui se conserve longtemps, même dans les pires conditions climatiques. Ce produit miracle s’appelle Plumpy’nut. Il est fabriqué en France par la société Nutriset, entreprise familiale qui l’a mis au point avec le concours de l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
En l’espace de quelques années, Plumpy’nut a révolutionné la lutte contre la malnutrition sévère. Avec lui, les enfants récupèrent très vite et n’ont pas besoin d’être hospitalisés. Le produit a convaincu les acheteurs potentiels, aussi bien l’Unicef que les ONG comme Médecins sans frontières (MSF). Il est même devenu un nom générique pour les « aliments thérapeutiques prêts à l’emploi ». Mais comme de nombreux produits, Plumpy’nut est jalousement protégé par un brevet. Ce qui déclenche l’ire de plusieurs industriels et indispose des ONG.
Délocalisation en Afrique
À la fin de 2009, deux compagnies américaines à but non lucratif ont déposé plainte aux États-Unis contre Nutriset, demandant l’invalidation du brevet. Quelques semaines plus tard, ajoutant à la colère de ses adversaires, la société française ouvrait sa première unité de production américaine, Edesia, en partenariat avec une compagnie locale, elle aussi à but non lucratif. L’objectif : accéder aux surplus de céréales et aux subventions gouvernementales. Car, à la différence de l’Europe, les États-Unis ne financent pas l’aide alimentaire qui n’est pas produite sur son sol.
Pour justifier son brevet, Nutriset met en avant son réseau PlumpyField, à travers lequel la production est délocalisée dans les pays consommateurs de Plumpy’nut. Ainsi, dix sites de fabrication fonctionnent hors de France, dont sept en Afrique (Niger, Madagascar, Malawi, RD Congo, Éthiopie, Mozambique et Tanzanie), soit environ 300 emplois. Seule obligation pour ces sociétés, acheter à Nutriset les mélanges de vitamines, de minéraux, les additifs… Une contrainte qui équivaut, explique Adeline Lescanne, directrice générale exécutive de Nutriset, à verser de 3 % à 4 % de leur chiffre d’affaires à l’entreprise et à l’IRD.
Investir 11,8 milliards de dollars
Un business porteur. Le chiffre d’affaires de Nutriset s’est envolé à 57 millions d’euros en 2009, après avoir atteint 27 millions en 2007. De quoi aiguiser les appétits. « Jusqu’en 2006, ça n’intéressait personne de faire du Plumpy’nut, et puis soudain certains y ont vu un énorme marché », explique Rémi Vallet, le porte-parole de Nutriset. Et pour cause. Selon la Banque mondiale, il faudra consacrer 11,8 milliards de dollars par an à la lutte contre la malnutrition dans les années à venir, contre 350 millions de dollars en moyenne entre 2004 et 2007.
Des concurrents se sont déjà engouffrés dans les pays où le groupe français n’a pas déposé de brevet, comme en Afrique du Sud ou en Inde. Des ONG comme MSF plaident pour l’abolition du brevet, à l’instar des médicaments. Pour Mike Mellace, de la Fondation Mama Cares, en Californie, qui a attaqué Nutriset en justice, il n’y a pas de raison de faire breveter une recette aussi simple. « N’importe qui aurait pu le produire. Il suffit de connaître un peu les arachides. Pourtant, Nutriset fait tout pour empêcher la concurrence », déclarait-il récemment à la BBC. « S’il s’agissait d’une simple recette de cuisine, jamais le produit n’aurait obtenu de brevet, qui nous permet de protéger nos investissements et ceux de nos partenaires africains », se défend Adeline Lescanne. La justice américaine tranchera dans les prochains mois.
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