Portrait d’un terroriste en gendre idéal

Comment Faisal Shahzad, un Pakistanais d’origine, bien intégré en apparence, a-t-il pu concevoir le projet insensé de faire exploser une voiture piégée en plein cœur de Manhattan ?

 © Gable/CA/NYTS

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Publié le 18 mai 2010 Lecture : 4 minutes.

Comment expliquer l’incroyable destinée de Faisal Shah­zad, ce jeune Pakistanais-Américain qui, le 3 mai, a tenté de faire exploser une voiture piégée à Times Square, en plein cœur de Manhattan ?

Titulaire d’un master en administration des affaires, il a travaillé pour diverses entreprises américaines, notamment Elizabeth Arden, la célèbre firme de cosmétiques. Huma Mian, son épouse, est quant à elle née dans le Colorado et possède un diplôme en comptabilité. Bahar ul-Haq, son père, est un officier supérieur de l’armée de l’air pakistanaise, aujourd’hui à la retraite, et Mohammad Asif Mian, son beau-père, est diplômé de l’École des mines du Colorado et auteur de plusieurs livres.

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Bref, Faisal et Huma font partie de l’élite pakistanaise expatriée. Membres de la classe moyenne, ils sont citoyens des États-Unis et parents de deux ­jeunes enfants. En apparence, ils étaient pleinement intégrés au mode de vie américain. En réalité, il n’en était rien, bien sûr – à moins qu’ils n’aient décidé de rompre avec celui-ci au cours des derniers mois.

Pourquoi donc ont-ils décidé de frapper leur pays d’adoption ? Les explications ne ­manquent pas. Victimes, comme tant d’autres, de la crise économique, ils étaient semble-t-il confrontés à de graves difficultés financières. Leur maison ayant été saisie, ils avaient été contraints de louer un appartement. Est-ce là l’élément déclencheur ? Peut-être, mais il y en a d’autres.

Musulman, Faisal s’était sans doute radicalisé sous l’influence de diverses lectures sur internet. Celle, notamment, des textes d’Anwar al-Awlaki, un religieux américain d’origine yéménite connu pour sa virulente hostilité à la guerre lancée par les États-Unis contre les combattants islamistes, au Yémen et ailleurs.

Vengeance

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Mais l’explication la plus vraisemblable est qu’il était scandalisé par l’offensive déclenchée par l’armée pakistanaise, après d’intenses pressions américaines, contre les groupes radicaux établis dans les zones tribales du Nord-Ouest, à la frontière avec l’Afghanistan. Apparemment, le jeune homme s’est rendu à treize reprises au Pakistan – notamment dans lesdites zones tribales – au cours des sept dernières années. Il a pu y constater de visu le terrible impact des frappes de l’Otan. Les attaques des drones américains contre les repaires supposés des talibans ont particulièrement suscité sa colère et exacerbé ses sentiments antiaméricains – en raison des dommages infligés aux populations civiles, mais aussi de l’intolérable atteinte à la souveraineté de son pays natal qu’elles constituent à ses yeux.

Nombre de Pakistanais ne ménagent pas leurs critiques à leur armée, coupable, selon eux, de s’être laissée embringuer dans ce qu’ils considèrent comme une guerre américaine. Faisal a-t-il estimé que les attaques de drones devaient être vengées ?

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Son cas est symptomatique d’un phénomène nouveau : l’exportation aux États-Unis des tensions qui affectent l’Asie méridionale. Le Pakistan est au cœur de ces tensions – il l’est d’ailleurs depuis la partition du sous-continent, en 1947. L’Inde et le Pakistan se sont déjà fait la guerre à quatre reprises  : 1947-1949, 1965, 1971 et 1999. Mais la cause essentielle de leurs désaccords réside aujourd’hui dans le conflit en cours dans l’Afghanistan voisin.

Pour vaincre l’Inde au Cachemire, les services de renseignement militaire pakistanais (l’ISI) nouèrent naguère – et maintinrent au fil des années – des liens étroits avec certains groupes djihadistes. Après l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques, dans les années 1980, ces combattants furent mobilisés pour les combattre. Ce qu’ils firent, avant de retourner leurs armes contre les Américains, quand, après le 11 Septembre, ces derniers envahirent à leur tour l’Afghanistan pour renverser les talibans – qui, en réalité, avaient été installés au pouvoir par l’ISI, en 1996.

Epouvantail indien

Ce que recherchent les Pakistanais en Afghanistan, c’est une « profondeur stratégique ». Ils ne doutent pas une seconde qu’après le départ des Américains et des forces de l’Otan – qui finira bien par arriver un jour – les groupes djihadistes l’aideront à combattre l’influence grandissante de l’Inde. Les talibans afghans sont pour eux des alliés potentiels, raison pour laquelle, en dépit des objurgations américaines, ils se montrent si réticents à les combattre, même quand ces derniers ­franchissent la frontière pour trouver refuge dans les fameuses zones tribales. Le réseau du chef de guerre Djalalouddine Haqqani opère ainsi indifféremment de part et d’autre d’une frontière d’une parfaite porosité.

Au cours de la dernière décennie, les groupes djihadistes, dont nul ne doute qu’ils ont été entraînés et armés par les Pakistanais, ont lancé contre l’Inde de nombreuses attaques. La plus meurtrière a eu lieu à Bombay, en ­novembre 2008 (plus de 160 morts). L’unique survivant du commando a été condamné à la peine capitale, au début de ce mois, par un tribunal indien.

Sous la pression insistante des États-Unis et de la communauté internationale, les autorités pakistanaises ont fini, l’an dernier, par déclencher plusieurs offensives contre certains groupes talibans locaux, comme le Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP). Précisons que ces derniers, furieux de l’alliance nouée avec l’Amérique, avaient déclenché les hostilités les premiers.

En représailles, l’armée pakistanaise a lancé une attaque de grande envergure contre les sanctuaires du TTP dans la vallée de Swat et au Sud-Waziristan, qui a provoqué le déplacement de plusieurs centaines de milliers de civils. Plusieurs chefs du mouvement ont trouvé refuge au Nord-Waziristan, où les autorités hésitent à les pour­suivre, nombre de leurs alliés chez les djihadistes ayant leurs bases dans la région.

Il est d’ailleurs probable que c’est au Nord-Waziristan que Faisal Shahzad a appris les rudiments de la fabrication d’une bombe. Et la haine de ­l’Amérique. 

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