Le dernier rempart
Wallons et Flamands déterrent une nouvelle fois la hache de guerre. À terme, l’éclatement du royaume paraît inéluctable. Que peut faire le roi Albert II, garant de l’intégrité du territoire ?
Dans le pays natal du peintre René Magritte, la politique, aussi, peut être surréaliste. Année après année, la Belgique s’enfonce dans un véritable cauchemar institutionnel qui, à en croire les plus pessimistes, pourrait déboucher sur l’implosion du Plat Pays.
Quand, en 1830, il arracha son indépendance aux Pays-Bas, le royaume s’était choisi une devise qui apparaît aujourd’hui paradoxale : L’union fait la force. En fait, il n’en finit plus de se déchirer. Flamands (néerlandophones) et Wallons (francophones) viennent encore de déterrer la hache de guerre. Au centre de ce énième conflit : la réforme de l’arrondissement judiciaire et électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde.
Incluant la capitale – enclave francophone en terre flamande – et une partie de la Flandre, ce territoire bilingue est au cœur d’une surenchère qui, le 22 avril, a abouti à la démission du gouvernement de coalition dirigé par le chrétien-démocrate Yves Leterme. Pour tenter de sortir de l’impasse et de mettre en place une nouvelle équipe, des élections anticipées auront lieu le 13 juin. Problème : démissionnaire à trois reprises en moins de deux ans, Leterme, qui a quand même mis neuf mois pour constituer son premier gouvernement, n’est sans doute plus l’homme de la situation.
Alors que le débat fait rage entre fédéralistes attachés à la survie du royaume, autonomistes et séparatistes, particulièrement virulents côté flamand, l’hypothèse d’un divorce, jugé inconcevable il y a encore dix ans, fait son chemin. Une « partition de velours » sur le modèle de la séparation à l’amiable entre la Slovaquie et la République tchèque, en 1993, devient plausible.
Tandis que les Flamands (près de 60 % de la population), dont la prospérité tire la machine économique belge, semblent chaque jour davantage céder aux sirènes du séparatisme, un nombre grandissant de Wallons expriment leur intérêt pour le « rattachisme » : en cas de disparition de la Belgique, ils sont favorables au rattachement de leur région à la France. Une hypothèse déjà envisagée, en son temps, par Georges Simenon. Mort en 1989, le romancier estimait en effet que son pays était un « État fictif », dont la fragile cohésion ne tenait qu’à l’aventure coloniale en Afrique (Congo, Rwanda, Burundi) et aux deux guerres mondiales.
Science-fiction
Bien sûr, un tel scénario relève encore de la science-fiction. La Belgique n’en est pas à sa première crise institutionnelle et elle doit faire face à un calendrier international qui devrait contribuer à ressouder les rangs des fédéralistes. Le 1er juillet, elle héritera de la présidence tournante de l’Union européenne, dont elle accueille par ailleurs les principales institutions (Conseil et Commission). La paralysie redoutée de l’exécutif fédéral pour des questions qui, vues de Washington ou de Pékin, prêtent à sourire serait désastreuse pour l’image internationale du pays.
L’autre rempart contre la désintégration pourrait être Albert II. Clé de voûte des institutions, le sixième roi des Belges n’a-t-il pas, en 1993, fait le serment de « maintenir l’indépendance et l’intégrité du territoire » ? Frère cadet du défunt roi Baudouin, il ne s’est pour l’instant jamais départi de la neutralité que lui impose la Constitution. Mais, à la différence de ses prédécesseurs, il a pour mission de veiller sur un État fédéral, la Belgique ayant adopté ce système l’année même de son accession au trône.
Mikado politique
D’un naturel discret, Albert II est connu pour son rejet des extrêmes, ses convictions antiracistes et européennes. À 76 ans, il est confronté à un inextricable jeu de mikado politique et communautaire. Son fils, le prince héritier Philippe, marié à la charismatique Mathilde, francophone conformément à la tradition monarchique mais d’origine flamande, a tenu à élever ses quatre enfants dans une parfaite mixité linguistique. Le souverain lui-même prend soin de commencer tous ses discours en néerlandais.
Hélas, prisonnier d’un véritable carcan constitutionnel, il ne dispose, en théorie, que d’une très faible marge de manœuvre. État centralisé à sa naissance et fédéral, on l’a vu, depuis 1993, la Belgique va-t-elle, sous sa royale impulsion, basculer vers le confédéralisme, ultime étape avant la dissolution ?
« Ce pays a-t-il encore un sens ? » s’interrogeait récemment le quotidien bruxellois Le Soir. La question est légitime. Héritier de la maison Saxe-Cobourg et éminent représentant de celle « vieille Europe » stigmatisée naguère par une administration Bush désireuse d’entraver la construction européenne, Albert II parviendra-t-il à y apporter un début de réponse ?
À Kinshasa, l’ex-Léopoldville, la capitale de la RD Congo, où il se rendra à la fin du mois de juin, sans doute méditera-t-il sur le destin de ce pays-continent qui fut l’éphémère propriété de la famille royale belge, et qui, après un demi-siècle d’indépendance et en dépit de bien des vicissitudes, est vaille que vaille parvenu à sauvegarder son intégrité territoriale.
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