La foire d’empoigne a débuté

Aux élections de 2011, le parti au pouvoir devrait se succéder à lui-même. La question est de savoir qui le conduira à la victoire. Les prétendants, nombreux, se pressent déjà.

Goodluck Jonathan, le 8 mai à Katsina, après une visite à la famille de son prédécesseur. © Reuters

Goodluck Jonathan, le 8 mai à Katsina, après une visite à la famille de son prédécesseur. © Reuters

Publié le 26 mai 2010 Lecture : 4 minutes.

Katsina est une paisible ville du nord du Nigeria, à la frontière avec le Niger, en plein Sahel. Un minaret en banco rappelle qu’elle est aussi le chef-lieu d’une région agricole, où la vie tourne autour des parcelles de maïs, de coton et d’arachide. À plusieurs centaines de kilomètres des go slow – les embouteillages – de Lagos, la tentaculaire capitale économique, et des intrigues d’Abuja, la capitale administrative et politique.

Paisible, Katsina. Sauf depuis la mort du chef de l’État, Umaru Yar’Adua, dans la soirée du 5 mai, d’une maladie cardiaque. Yar’Adua était un enfant du pays. Il y est né (dans une famille aristocratique), y a grandi et, des années plus tard, est devenu gouverneur de l’État du même nom (1999-2007). Alors, bien sûr, il y a été enterré. Dès le lendemain de sa mort, comme le veut la tradition musulmane.

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Les cérémonies de deuil, qui ont duré plusieurs jours, ont attiré à Katsina tous les vieux crocodiles de la politique nigériane. Au moins trois ex-présidents ont fait le déplacement : Muhammadu Buhari (1983-1985), Ibrahim Badamasi Babangida (qui a renversé le premier, 1985-1993) et Olusegun Obasanjo (1976-1979 et 1999-2007). Chacun a présenté ses condoléances à Turai, la veuve. Poignées de main, regards contrits, hommages rendus. Les mines sont graves. Mais Turai n’est pas dupe. Elle qui autorisait avec parcimonie les visites à son époux malade sait bien que chacun convoite son fauteuil depuis plusieurs mois.

Une pieuvre contrôlant tout

Il est pour le moment occupé par l’ancien vice-président, Goodluck Jonathan, qui a prêté serment dès le 6 mai. Zoologue de formation, âgé de 52 ans, il terminera le mandat de Yar’Adua (élu en avril 2007) jusqu’aux élections générales – présidentielle, législatives et locales – d’avril 2011. Le People’s Democratic Party (PDP), au pouvoir, les remportera certainement. La désignation du président de la Commission électorale nationale « indépendante » revient en effet à son membre le plus éminent : Goodluck Jonathan, en tant que chef de l’État. Ce n’est pas le seul atout du parti dans la bataille : « le PDP contrôle tout », résume simplement une source, le comparant à une « pieuvre ». « Tout », c’est, entre autres, les leviers stratégiques des Finances et de l’Intérieur.

Le suspense n’est cependant pas totalement terminé. L’identité du candidat du PDP est encore un mystère. Une règle non écrite prévaut au sein du parti : le Nord, à majorité musulmane, et le Sud, à dominante chrétienne, doivent se succéder à la présidence tous les deux mandats (un mandat dure quatre ans). Après huit ans entre les mains d’Olusegun Obasanjo, natif du Sud-Ouest, le pouvoir est passé au Nord, avec Umaru Yar’Adua. Mort en exercice, il n’a pas « consommé » tout le « crédit de présidence » de sa région. Un successeur devra s’en charger.

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Ibrahim Badamasi Babangida, dit IBB, veut jouer sa carte. Originaire de l’État de Niger, dans la moitié septentrionale du pays (à ne pas confondre avec le pays du même nom), le général, 58 ans, a prévenu dès la mi-avril qu’il briguerait l’investiture du PDP en 2011. « Maradona» – surnommé ainsi pour sa maîtrise du dribble politique – a laissé un souvenir mitigé de ses huit années passées au pouvoir : ses courtisans récompensés lui sont reconnaissants ; d’autres lui reprochent une généralisation de la corruption. Son prédécesseur, Muhammadu Buhari, ne s’est pas encore prononcé, mais pourrait être intéressé. « Nordiste » lui aussi (de Katsina), il était candidat en 2007. Il est arrivé en deuxième position, avec 6,6 millions de voix (contre 24,6 millions pour Yar’Adua).

Le « petit » d’Obasanjo

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Autre ténor du Nord, Atiku Abubakar est plus explicite. Ancien vice-président (1999-2007) d’Olusegun Obasanjo et natif de l’État d’Adamawa, ce politicien à la réputation d’homme d’affaires a quitté son parti, l’Action Congress (AC), fin avril pour intégrer le PDP. Au cours d’une conférence de presse, il a même brandi sa carte de membre. Autorisé in extremis à se présenter en 2007, il avait récolté 2,6 millions de voix et dénoncé la fraude électorale, avant de s’engager dans l’opposition au PDP au sein de son parti, l’AC. Son arrivée médiatisée au PDP apparaît comme une volte-face pour saisir l’opportunité de la présidentielle.

Dans sa course à l’investiture du PDP, Atiku Abubakar devra affronter son ennemi d’hier : Olusegun Obasanjo, qui en 2007 avait très mal pris les velléités de son numéro deux de lui succéder. Avec deux mandats de chef de l’État à son actif, Olusegun Obasanjo est empêché de se présenter par la Constitution. En revanche, il verrait bien Goodluck Jonathan rempiler en 2011. Ce dernier est un peu le « petit » d’Obasanjo. C’est lui qui l’a poussé à s’impliquer en politique et à se présenter aux côtés de Yar’Adua en 2007. Mais s’il se présentait, Goodluck Jonathan, natif du « Sud-Sud » (par opposition au Sud-Est et au Sud-Ouest), enfreindrait le gentlemen’s agreement qui prévaut au PDP.

Il n’exclut pourtant pas une candidature. Hasard ou non, Vincent Ogbulafor, le président du PDP, depuis qu’il a déclaré vouloir respecter le principe de l’alternance Sud-Nord, subit de multiples tracas : accusations de détournement de fonds, pressions pour démissionner du PDP… « Goodluck Jonathan est derrière ces manœuvres », estime Daouda Aliyou, journaliste indépendant, à Lagos.

Elles ne suffiront peut-être pas. S’il entre dans la danse, Goodluck Jonathan pourrait avoir encore un autre rival : Namadi Sambo, qu’il a désigné comme vice-président le 12 mai. Âgé de 55 ans, cet architecte de formation est originaire de Kaduna, un État du Nord dont il est gouverneur. Si son nom est validé par le Parlement, il occupera une place privilégiée pour le contrôle de la présidentielle. Et pourrait être tenté, lui aussi, de s’y présenter.

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