Présidentielle: trois favoris, deux challengers et une foule de seconds couteaux

Le chef de la junte veut des élections au plus tôt, tout comme la communauté internationale. Les retards, s’il y en avait, seraient d’ordre technique maintenant. Et les candidats, eux, battent déjà campagne.

Panneau de campagne du candidat Alpha Condé. © Cellou Diallo, pour J.A.

Panneau de campagne du candidat Alpha Condé. © Cellou Diallo, pour J.A.

Publié le 24 mai 2010 Lecture : 7 minutes.

« Oui, la Guinée organisera les élections le 27 juin », martèle le général Sékouba Konaté. Il le répète si souvent que cela ressemble à la méthode Coué. Le 4 mai, au Palais du peuple, il a promis une nouvelle fois que « le 27 juin marquera la fin de [sa] mission et sera le rendez-vous de la Guinée avec son destin ». Quelques heures plus tard, il signait le décret sur la nouvelle Constitution, mettant fin à la polémique sur le mode d’adoption de ce texte fondamental. Dans la foulée, il se rendait en tournée d’inspection des garnisons de l’intérieur, où il s’intéresse à tout, du magasin de pièces détachées à la popote. Au pas de charge, le chef de la junte gère cette transition qu’il veut la plus courte possible.

Cette attitude n’est pas pour déplaire à la présidente du Conseil national de transition, Rabiatou Serah Diallo. La syndicaliste menaçait même de démissionner en cas de report du scrutin. Elle soupçonne en effet le Premier ministre, Jean-Marie Doré, de ne pas être pressé de partir. Ce dernier était favorable à l’adoption de la Constitution par référendum, ce qui, pour Rabiatou Serah Diallo, signifiait une perte de temps, avec menace sur la date du scrutin présidentiel.

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Un vivier de prétendants

Même s’il se dit à Conakry que pour des « raisons techniques » un report d’une ou de deux semaines serait possible, toute la classe politique a les yeux rivés sur la date du 27 juin. Les candidats n’ont d’ailleurs pas attendu l’ouverture officielle de la campagne – le 17 mai – pour commencer la chasse aux électeurs. Dès la fin de mars, les posters des présidentiables étaient placardés dans Conakry : murs, poteaux, arbres, quasi aucun support n’est épargné. Beaux jours en tout cas pour les colleurs d’affiches. « En une seule journée, la semaine dernière, j’ai fait plus de 100 000 francs guinéens [environ 15 euros] », se réjouit Jean Soumah, chômeur de son état. Les imprimeries locales sont débordées. Émissions interactives, interviews des candidats, caravanes, tee-shirts, matchs de football, meetings, agences de communication surbookées : il n’y en a plus que pour la présidentielle.

Pour l’instant, il y a une dizaine de têtes d’affiche. Mais il pourrait y en avoir davantage. Même si les candidatures indépendantes sont interdites par la nouvelle Constitution, avec 129 partis politiques, la Guinée a un vivier de prétendants.

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Il y a les favoris – Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré –, les challengers – François Fall et Lansana Kouyaté –, et pléthore de seconds couteaux. Parmi eux, quelques figures bien connues, comme Ousmane Bah, ennemi juré de Cellou Dalein Diallo ; Aboubacar Somparé, le candidat du Parti de l’unité et du progrès (PUP) de l’ancien président Lansana Conté ; Mamadou Sylla, riche homme d’affaires dont le staff est convaincu qu’il sera « à la Guinée ce que Reagan a été à l’Amérique » ; Ousmane Kaba, dissident du parti de Sidya Touré ; Kassory Fofana, ancien ministre des Finances de Lansana Conté, qui se définit comme le candidat de la transparence ; l’ancien fonctionnaire international -Almamy Ibrahima Barry, qui n’est pas peu fier d’être le seul Guinéen à avoir osé déclarer sa candidature en 2008 sous Conté. La Guinée forestière a aussi au moins un candidat : Jean Marc Telliano. Même le Parti démocratique guinéen pourrait être dans la course avec le fils de Sékou Touré, Mohamed Touré, revenu au pays. Ce dernier travaille à réhabiliter son père, et menace de porter plainte contre Amnesty International « pour avoir menti sur le nombre de morts au camp Boiro ». Selon l’ONG, quelque 50 000 personnes auraient péri dans ce camp où Sékou Touré enfermait les opposants.

Alpha Condé, patron du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), persécuté par Conté et longtemps en exil, a fait un retour triomphal le 10 avril à Conakry, où il a été accueilli par une foule énorme (plus de 1 million de personnes, selon son parti). Son principal fief est la Haute-Guinée. « Il est vu en martyr », admettent quelques-uns de ses rivaux à la magistrature suprême. Plus lyrique, une voyante, citée en première page d’un bimensuel de la capitale, affirme : « Je l’ai vu descendre du ciel dans un fauteuil lumineux, sous les acclamations d’une foule de jeunes »…

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Régionalisme

Chassant sur les mêmes terres de Haute-Guinée, Lansana Kouyaté jure de « rafler la base » de son aîné. Son parti s’implante rapidement, « y compris à Nzérékoré », dans la Guinée forestière. « Je n’ai pas peur de la machine à rumeur du RPG », affirme-t-il. Ses partisans avancent que, en tant que Premier ministre, entre 2007 et 2008, « il a créé 12 000 emplois pour les jeunes », quand les caciques du RPG ne voient en lui qu’un « volubile mégalo qui ne recule devant rien ».

François Fall, ancien Premier ministre lui aussi (il démissionnera après seulement quelques semaines, en 2004), grignotera sans doute dans l’électorat de la Haute-Guinée. À la tête des Forces vives – coalition des partis politiques et de la société civile – depuis la nomination de Jean-Marie Doré à la primature, il essaie de se forger une image de « Mr. Propre ».

Onze ans ministre de Conté et même son Premier ministre (2004 à 2006), avant d’être débarqué pour « faute lourde », Cellou Dalein Diallo est un des favoris. La Moyenne-Guinée et les banlieues de Conakry sont sa force. Parce que les Peuls sont la plus grande composante ethnique du pays ? « Non. Parce que j’ai laissé des résultats partout où je suis passé », répond-il. Et les rapports d’audit sur sa gestion ? « Du pipeau ! » rétorque-t-il.

Quant à Sidya Touré, diakanké, (pas plus de 2 % de la population), il fait figure de candidat « transversal » dépassant les clivages ethniques. Il fait parler son bilan de Premier ministre (1996-1999) : « J’ai fait revenir l’eau et l’électricité, débusqué 3 000 emplois fictifs et laissé en partant des réserves de change équivalant à plus de trois mois d’importations. » Cependant, le candidat libéral, connu pour son franc-parler, critique la transition et le processus électoral, inquiet des dérives tribales et régionalistes, et menace même de boycotter le scrutin, dont il trouve la préparation opaque et chaotique.

État des lieux

Où en est-on à moins d’un mois du scrutin ? L’enrôlement des électeurs était bien avancé avant d’être arrêté après les événements du 28 septembre. C’est pourtant un tollé de désapprobation qui a accueilli le fichier, notamment au sujet des 12 % de cas litigieux avec des inscrits dont la signature ou la photo sont floues. Le partenaire technique, la société française Sagem, est indexé. « Rien ne leur a réussi jusqu’à présent. Regardez seulement ce qu’ils ont fait au Nigeria et en Côte d’Ivoire », dénonce un de ses concurrents malheureux.

Les critiques fusent. Alpha Condé conteste ouvertement la liste, arguant que son fief aurait été défavorisé lors de l’enrôlement. De son côté, Cellou Dalein Diallo trouve « dérisoire » le nombre d’inscrits – 60 000 – dans la diaspora. Et début mai, dans une lettre, une dizaine de sous-préfectures de Nzérékoré, dans la Guinée forestière, demandaient à la Ceni de reprendre le recensement dans leur région, où les pro-Dadis menacent de s’opposer aux élections tant que leur « président », toujours en convalescence au Burkina, n’est pas de retour au pays. Peut-être une tactique pour obtenir un report du scrutin et laisser le temps au clan Dadis d’organiser son retour ?

Les observateurs étrangers, qui eux aussi veulent aller vite, se révèlent moins critiques. « Ce sont 80 % des électeurs qui ont été enrôlés, si on tient compte de la taille de la population. Ce n’est pas si mal », affirme un diplomate en poste à Conakry.

La Ceni avait promis de corriger les erreurs, relevées par les partis et les électeurs, et de faire valider les nouveaux résultats par la classe politique à la fin de mars. « Au 10 mai, nous attendons toujours de voir le fichier corrigé », rappelle Sidya Touré.

Quant au budget, estimé à 32 millions de dollars, il est quasiment bouclé et géré par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Le seul a n’avoir pas payé sa quote-part (environ 5 millions de dollars) est le gouvernement guinéen. « La Guinée ne reçoit pas d’aide budgétaire et ne fonctionne que sur les recettes propres », argumente Jean-Marie Doré. Les caisses sont vides. Si « Lansana Conté avait mis le pays à genoux, la junte, elle, l’a mis à plat à ventre avec une ardoise de 4 000 milliards de francs guinéens », soit quelque 790 millions de dollars, explique le Premier ministre.

La menace « Dadis »

La Commission électorale est très critiquée pour son manque d’efficacité. Dix de ses vingt-cinq membres sont septuagénaires et ne participent aux réunions que pour « empocher leurs indemnités », regrette un des experts internationaux qui suivent le processus. « C’est dur. Il y a des défis techniques, mais nous les relèverons », promet Pathé Dieng, directeur des opérations, devenu l’homme clé de la Ceni depuis l’évacuation sanitaire vers la France en avril de son patron, Ben Sékou Sylla. L’optimisme de Dieng repose sur quelques développements récents. Le Japon a promis de mettre en place 40 000 urnes avant fin mai. Les cartes électorales sont à Conakry et il est prévu de les distribuer toutes avant le 12 juin. Une ONG américaine, International Foundation for Electoral Systems (Ifes) est chargée de la formation des membres des bureaux de vote.

Il faudra encore régler le problème de la sécurité avec la mise en place attendue d’une force spéciale de 16 000 hommes – gendarmes et policiers – sous commandement unifié pour protéger les bureaux de vote et acheminer les documents électoraux. À un mois du scrutin, le patron de cette force n’est pas nommé, reconnaît Jean-Marie Doré, qui promet de mettre les bouchées doubles. Reste le cas Dadis. Si les militaires ne sont plus dans les rues, « ceux qui le soutiennent sont toujours à l’affût », avertit le responsable d’une ONG. 

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