Les chemins de l’unité

Le président camerounais Ahmadou Ahidjo, en 1968. © AFP

Le président camerounais Ahmadou Ahidjo, en 1968. © AFP

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Publié le 20 mai 2010 Lecture : 3 minutes.

Cameroun, deux hommes, une nation
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Cameroun, deux hommes, une nation

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Minuit pile, un coup de canon retentit dans la nuit moite de Yaoundé. Un premier tir, et puis cent autres, conformément au rituel. Nous sommes le 1er janvier 1960. À Yaoundé, c’est la nuit profonde, prélude d’une aube nouvelle. L’aube de l’indépendance qui se lève sur ce morceau de terre, qui fut d’abord une colonie allemande avant d’être cédé par la Société des nations (SDN) à la France au lendemain de la Première Guerre mondiale. Pour porter sur les fonts baptismaux le nouvel État qui vient d’ouvrir le bal des indépendances de 1960, le secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, est là, invité d’honneur du Premier ministre Ahmadou Ahidjo. Yaoundé, à l’instar des autres principales villes, a subi un traitement de choc depuis décembre : les rues ont été désherbées et balayées avec un soin particulier. Partout, le drapeau du Cameroun, hissé sur des mâts, s’agite sous la caresse du vent. La liste des délégations étrangères s’est tellement allongée que les véhicules et les chambres d’hôtel deviennent rares.

Mais ce 1er janvier 1960, malgré les fastes, le Cameroun francophone est paradoxalement sous tension. Les combattants de l’Union des populations du Cameroun (UPC), principal parti du pays avant son interdiction en 1955, n’ont pas renoncé à la lutte armée. Cette nuit encore, le crépitement de leurs armes va crescendo, se mêlant au grondement des canons. Ils ont encore frappé à Yaoundé comme à Douala. Bilan : huit morts. Le plus étrange est la présence à la fête de l’indépendance des représentants des pays non alignés, principaux soutiens de l’UPC. C’est la preuve, en tout cas, qu’Ahmadou Ahidjo, « l’ami des Français », a gagné la partie. Autre curiosité, les réjouissances populaires ne se déroulent pas partout au même moment : après Yaoundé, la fête a lieu le 2 janvier à Douala et le 3 à Garoua.

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Pendant ce temps, l’avenir de l’autre Cameroun, sous mandat britannique, n’est pas encore assuré. La question est de savoir s’il va redevenir « camerounais » ou être rattaché au Nigeria voisin, dont l’indépendance est proclamée en octobre 1960. Dans l’esprit d’Ahidjo, il n’y a que la réunification qui vaille. Les plébiscites organisés par l’ONU en février 1961 dans la partie anglophone donnent des résultats inattendus : la région Nord choisit le rattachement au Nigeria, alors que la région Sud préfère la réunification avec le Cameroun francophone. Huit mois plus tard, les deux Camerouns se réunissent, en tant qu’États fédérés. Ahidjo est président de la fédération, et l’anglophone John Ngu Foncha, vice-président. Il sera remplacé en 1970 par Salomon Tandeng Muna. À noter que c’est Ahidjo qui mène le jeu, les anglophones n’ayant d’autre choix que de le suivre. Et la forme fédérale de l’État est loin de lui plaire : il veut un État unitaire avec un régime présidentiel. D’où l’idée de ce référendum organisé le 20 mai 1972, auquel les anglophones – encore moins les francophones – ne se sont pas préparés. Ahmadou Ahidjo a gardé son secret pendant longtemps. Qu’importe, 3 177 846 Camerounais disent oui à l’État unitaire, 176 (!) se prononcent contre.

Le référendum imposé aux anglophones est lourd de conséquences : leur entité est morcelée en deux provinces (Nord-Ouest et Sud-Ouest) et n’a plus de personnalité juridique ; le poste de vice-­président qui leur était dévolu est supprimé. Par la volonté du prince, le 20 mai, date de l’unification du pays, devient celle de la fête nationale. À vrai dire, les anglophones, trente-huit ans après ce référendum mené à la hussarde, ont gardé le souvenir amer d’avoir été grugés par Ahmadou Ahidjo, qui se voulait le fondateur de la nation. D’où des velléités séparatistes entretenues par le Southern Cameroons National Council (SCNC). Mais l’unité du pays continue de résister à tous ces soubresauts.

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