Ahidjo, l’interminable exil
La dépouille du premier président n’a jamais quitté Dakar depuis qu’il y est mort, en 1989. Son épouse, Germaine Habiba, que nous avons rencontrée dans la capitale sénégalaise, pose encore la question du retour de son mari au pays natal.
Cameroun, deux hommes, une nation
Le 30 novembre 1989, Ahmadou Ahidjo s’éteignait dans sa résidence du cap Manuel, à Dakar, au Sénégal. Il avait 65 ans, dont vingt-cinq passés à la tête du Cameroun. Constatant le décès, l’ex-première dame, Germaine Habiba Ahidjo, requit et obtint de Thierno Mountaga Tall, khalife de la famille omarienne et maître d’œuvre des obsèques, le droit de déroger à la tradition musulmane et d’enterrer son époux dans un cercueil. La requête visait à mieux conserver la dépouille du défunt, pour respecter les dernières volontés que ce dernier avait formulées dans une lettre adressée à Abdou Diouf, le président sénégalais. Son vœu : être enseveli dans sa terre natale de Garoua (province du nord du Cameroun).
En attendant son rapatriement, le corps de l’ancien chef d’État en exil fut donc provisoirement inhumé dans un caveau du cimetière musulman de Yoff. Vingt et un ans plus tard, il y repose toujours.
« Ahidjo est mort un jeudi. On l’a enterré le dimanche sans que le moindre officiel camerounais soit présent », déplore la veuve. Après le décès de son époux, cette métisse de père corse et de mère peule du Grand Nord camerounais, infirmière d’État, a emménagé dans une villa sobre et élégante du quartier dakarois des Almadies. Elle y réside encore avec Fatimatou, l’une des trois filles issues de son mariage avec Ahmadou Ahidjo. « Aujourd’hui, confie-t-elle, nous vivons grâce à la location de neuf appartements situés au Plateau dans un immeuble acquis par mon époux sous Senghor, dont il était proche. »
Affaire de famille ou affaire d’État
Au Cameroun, des voix s’élèvent pour demander qu’enfin, plus de vingt ans après sa mort, la dépouille du premier président de la République soit rapatriée, qu’un hommage national lui soit rendu et que, par ce geste, le pays se réconcilie définitivement avec son passé.
Peine perdue. La famille du défunt et les autorités camerounaises refusent de se parler et se renvoient la balle. « Je demande une seule chose : la réhabilitation d’Ahidjo, martèle la veuve. Je ne l’ai jamais demandé directement à Paul Biya, mais je l’ai dit dans des interviews. » Sur un plateau de France 24, en octobre 2007, Paul Biya se défend, lui, d’entraver quoi que ce soit : « Le rapatriement est selon moi un problème d’ordre familial. Si la famille de mon prédécesseur décide de faire transférer les restes du président Ahidjo, c’est une décision qui ne dépend que d’elle. »
Les médiations étrangères ne sont pas davantage parvenues à établir un dialogue. « Le président dahoméen Hubert Maga et le président béninois Émile Derlin Zinsou ont plusieurs fois demandé la réhabilitation et le retour du corps d’Ahidjo au Cameroun. Mais Paul Biya n’a jamais répondu », se plaint Germaine Ahidjo.
Ce n’est pas le seul malentendu qui persiste entre l’actuel chef de l’État et une partie de la famille de son prédécesseur. « En tant que Mme Ahidjo, je ne me vois pas rentrer dans mon pays avec un passeport [diplomatique, NDLR] sénégalais. C’est le Cameroun qui nous a retiré nos papiers, c’est à lui de nous les rendre », explique l’ex-première dame à Jeune Afrique. Sur cette délicate question également, Yaoundé donne une version différente. Selon le Palais d’Etoudi, les filles et fils Ahidjo vont et viennent au Cameroun sans problème particulier. « Le fils de mon prédécesseur [Mohammadou Badjika Ahidjo, NDLR] est député », se plaît à remarquer Paul Biya. Certains ne manquant pas d’ajouter que le plus emblématique des héritiers politiques de l’ancien président, Bello Bouba Maïgari, président de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), est rentré d’exil et fait partie du gouvernement depuis plus d’une décennie. Alors, qui croire ?
Paria après la mort
« Les blessures causées par la sanglante tentative de coup d’État du 6 avril 1984 sont encore ouvertes, analyse un ancien haut responsable. Peut-être le pays n’est-il pas encore prêt à revoir Ahidjo… » À moins qu’il ne s’agisse d’un conflit entre le président actuel et les plus radicaux des « ahidjoïstes ». « Tant qu’il y aura ce contentieux avec Biya, je ne retournerai pas au Cameroun, tranche Mme Ahidjo. Ils m’ont traumatisée, ont traumatisé mes enfants », poursuit-elle.
Quant au coup de force de 1984, qui a valu à l’ex-chef de l’État d’être condamné à mort par contumace, Mme Ahidjo continue de clamer l’innocence de son mari qui, lui, le qualifiait de « malheureuse parenthèse ». Ce jour-là, se rappelle-t-elle, un groupe de jeunes officiers issus de différents corps d’armée tente de prendre le pouvoir à Yaoundé. En séjour en France, Ahidjo reçoit un coup de fil de Radio Monte-Carlo (RMC). La journaliste lui demande s’il sait ce qui se passe. « Mais, Madame, c’est vous qui me l’apprenez ! » répond-il. « Monsieur le Président, et si c’étaient vos partisans ? » relance la voix. « Ils gagneront », ose l’ancien président. Pour le pouvoir de Yaoundé, le crime est signé. Facteur aggravant, il s’agissait d’une récidive. En effet, après s’être résigné à abandonner à son successeur la présidence du parti unique, l’Union nationale camerounaise (UNC), à l’issue d’une âpre querelle de leadership, Ahidjo avait été accusé d’avoir fomenté un complot (dit « du 22 août 1983 ») et condamné une première fois. Devenu un paria, l’ancien président l’est resté après sa mort. Bien après sa mort.
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