Mahamat-Saleh Haroun, de l’exil au tapis rouge

Son dernier film, « Un homme qui crie », est en compétition pour la Palme d’or au Festival de Cannes. Portrait d’un cinéaste rigoureux, passionné et acharné.

Le cinéaste tchadien, le 14 mai à Paris. © Jacques Torregano pour J.A.

Le cinéaste tchadien, le 14 mai à Paris. © Jacques Torregano pour J.A.

Renaud de Rochebrune

Publié le 19 mai 2010 Lecture : 3 minutes.

Imaginez un réalisateur d’un État africain très pauvre de 11 millions d’habitants totalement dépourvu de salles et sans aucune tradition cinématographique. Ce cinéaste partira a priori avec de sérieux handicaps pour se faire une place dans le milieu terriblement concurrentiel du septième art. Après avoir signé quatre longs-métrages, voilà pourtant que le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, 49 ans, a déjà réussi à obtenir la plus belle des consécrations planétaires pour un metteur en scène : le 16 mai, il a gravi les marches conduisant au grand auditorium Louis-Lumière du Palais des festivals, à Cannes, pour présenter son dernier film, Un homme qui crie, en compétition pour la Palme d’or.

Bien que déjà récompensé à plusieurs reprises, notamment à la Mostra de Venise, et célébré par la critique pour la beauté de ses images et la rigueur de ses scénarios, Haroun est on ne peut plus conscient de l’importance de ce qui lui arrive. Impossible de ne pas l’être : la répercussion de cette sélection officielle pour le plus grand festival de cinéma de la planète, nous a-t-il confié, est énorme, unique. Les réactions sont immédiatement venues du monde entier. Il est vrai que l’absence des cinéastes africains dans la compétition cannoise depuis treize longues années confère à la projection d’Un homme qui crie la dimension d’un véritable événement. Le cinéaste s’est rendu compte qu’il devenait ainsi, bon gré mal gré, « un peu le porte-parole du continent ». D’autant qu’aujourd’hui « l’invisibilité de l’Afrique » sur le grand écran « fait qu’il y a un désir d’Afrique » et « une grande attente ». Ainsi, toujours passionné mais d’apparence plutôt calme derrière sa volumineuse moustache, Haroun est depuis trois semaines sous tranquillisants, car, avant l’épreuve de La Croisette, « il y a de quoi flipper ».

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Ce qui a déclenché son amour du cinéma se produit très tôt, assure-t-il, lorsqu’il voit son premier film, au Tchad, à l’âge de 8 ans : le sourire d’une belle femme indienne face caméra en gros plan le tétanise… car il a cru sur l’instant qu’il lui était destiné. Autre influence, encore plus déterminante, celle de sa grand-mère paternelle, Kaltouna,­ une femme de caractère qui était « une formidable conteuse », avec un tel art du récit qu’il « voyait tout ce qu’elle disait en images ». Originaire d’Abéché, dans l’est du pays, près de la frontière avec le Soudan, il poursuit des études très classiques jusqu’en classe de première. C’est alors, à 17 ans, qu’il part pour un exil durable après avoir fait pour la première fois l’expérience de la guerre : touché par une balle perdue lors d’un épisode de l’interminable conflit qui secoue le pays depuis une quarantaine d’années, il est évacué sur une brouette vers le Cameroun. Après un court séjour à Pékin, où son père est diplomate, il s’installe en France, où, tout en faisant des petits boulots, il s’inscrit dans une école de cinéma, puis, car il faut bien vivre, dans une école de journalisme, à Bordeaux.

Il travaille donc pendant cinq ans dans la presse quotidienne de province, comme secrétaire de rédaction ou comme spécialiste des faits divers, une excellente formation dit-il, avant de réaliser enfin son rêve de passer derrière la caméra. Après un court-métrage très remarqué, Maral Tanié, en 1994, sur le drame des mariages arrangés, il entre par la grande porte dans l’univers des réalisateurs de longs-métrages en obtenant le prix du meilleur premier film au Festival de Venise pour Bye Bye Africa, une œuvre à mi-chemin entre la fiction et le documentaire, évoquant sous la forme d’une chronique la disparition du cinéma dans son pays. Ses deux films suivants, Abouna, l’histoire de deux enfants à la recherche de leur père, parti subitement, et Daratt, le superbe récit d’une tentative de vengeance qui invite à une réflexion humaniste sur les conséquences d’une guerre civile, l’installent définitivement parmi les grands du cinéma d’auteur. Le premier sera sélectionné à la principale manifestation « off » de Cannes, la Quinzaine des réalisateurs, et le second de nouveau à Venise, où il décroche le Prix spécial du jury. Il ne manquait plus, pour couronner le tout, que la compétition pour la Palme d’or. C’est chose faite. Avec un film qui tourne autour des deux thèmes essentiels du cinéma si exigeant de Mahamat-Saleh Haroun : les traumatismes de ceux qui subissent la guerre et les pères défaillants.

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