Paroles de chefs
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 17 mai 2010 Lecture : 2 minutes.
L’impertinent Ahmed Benchemsi, ce funambule des lignes rouges qui, au Maroc, délimitent les frontières de l’incritiquable (Dieu, la patrie, le roi), a encore sévi. De passage à Rabat cette semaine, je lis à la une de son hebdo TelQuel l’annonce d’une enquête – au demeurant intéressante – sur « les secrets des discours royaux » : rédaction, ficelles, astuces, audimat, etc. Avec, en filigrane, cette éternelle frustration qu’éprouvent tous les journalistes, marocains ou familiers du Maroc : pourquoi Mohammed VI ne communique-t-il avec son peuple que par le biais de ces exercices imposés ? En d’autres termes : pourquoi n’accorde-t-il jamais ni interviews ni conférences de presse ? Sur un continent où les rapports qu’entretiennent les chefs d’état avec les médias ont toujours évolué entre la séduction et la répulsion, le souverain chérifien n’est pas le seul à considérer le contact direct avec les journalistes comme inutile, contraignant et à la limite du contre-productif. Le président tunisien Ben Ali, ses homologues camerounais Paul Biya et angolais José Eduardo dos Santos, voire l’algérien Abdelaziz Bouteflika, ont la parole « live » rarissime et ne s’expriment dans les journaux (tout au moins dans ceux qui s’y prêtent) qu’à travers des entretiens prêts à publier rédigés par leurs services de communication et à peine relus par les intéressés eux-mêmes. À l’instar du roi du Maroc, ces autres « fils de… » que sont Ali Bongo Ondimba, Faure Gnassingbé et Joseph Kabila ne montrent guère d’appétence pour le côté impudique et exhibitionniste qu’implique forcément le dialogue avec les médias.
À l’autre extrémité du spectre, une fois passés en revue les taiseux, les intermittents de la parole et la cohorte de ceux qui aimeraient faire la couverture des journaux ou le 20 heures des grandes chaînes, mais que nul n’interroge jamais, il y a, bien sûr, les Hugo Chávez africains. Ceux pour qui parler c’est exister. Mouammar Kadhafi, qui entretient depuis des lustres une relation nombriliste avec les caméras, est de ceux-là. Abdoulaye Wade, qui a le verbe aussi talentueux que facile, est guetté par ce syndrome. Mais aussi tous ces présidents dont les conseillers de presse négocient avec acharnement de furtives (et coûteuses) apparitions dans le monde virtuel des Blancs, sous forme de micro-interviews, de tribunes clés en mains ou de livres préécrits.
Alors : parler, ou ne pas parler aux médias ? Faire comme Sarkozy et Obama, ou imiter Hu Jintao ? Si le débat est ouvert, une chose est sûre : il n’existe aucune corrélation entre la bonne gouvernance et la fréquence des expositions aux feux de la rampe. Le silence comme la faconde peuvent aussi bien masquer les carences que mettre en valeur des réussites. Quant aux prestations médiatiques à grand spectacle dont nous gratifiaient un Hassan II, un Mobutu ou un Bongo et dont nous sommes tous, nous journalistes, un brin nostalgiques, elles n’ont jamais fait avancer d’un centimètre le développement de leurs propres pays, ni servi à autre chose qu’à flatter le narcissisme de leurs auteurs.
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