Le Maroc de Péroncel-Hugoz
L’ancien reporter du « Monde » dresse un panorama vivant du royaume, à partir de Mohammedia, la cité aux dix mille palmiers. Et rend hommage à un pays, une culture, un art de vivre.
Le phénomène a pris, paraît-il, une certaine ampleur : nombreux sont aujourd’hui les Français qui, disposant d’une pension modeste mais convenable, décident d’aller couler une retraite paisible au Maroc, où la température est plus clémente et la vie moins chère qu’en France. Ce ne sont pas ces (bonnes) raisons, toutefois, qui ont poussé Jean-Pierre Péroncel-Hugoz à fuir Paris dès qu’il eut quitté Le Monde, le « grand quotidien du soir » où il occupa longtemps d’éminentes fonctions, pour aller s’installer quelque part au royaume chérifien.
Ce que Péroncel-Hugoz est allé chercher si loin de son pays natal, ce n’est pas tant la beauté des paysages – la France en est dotée aussi –, la douceur du climat ou la serviabilité des autochtones que la satisfaction de vivre enfin dans une société conforme à ses vœux, à ses désirs, à sa vision du monde.
Les journalistes français, on le sait, mettent une certaine coquetterie à critiquer les régimes nord-africains. Ils adorent titiller le président tunisien, pas assez démocrate à leurs yeux ; égratigner le président algérien, trop ou pas assez libéral ; et reprocher au roi du Maroc d’être un roi. Péroncel-Hugoz, c’est l’inverse. Ce qu’il aime au Maroc, justement, c’est la monarchie !
Non point pour ses fastes ou ses privilèges : Péroncel-Hugoz n’a rien d’un courtisan. Ce fin connaisseur de l’islam est réputé, au contraire, pour son franc-parler. Son livre le plus fameux, Le Radeau de Mahomet (éd. Lieu commun, 1983 – souvent réédité depuis), a fait grincer les dents dans bien des mosquées. Mais s’il ne mâche pas ses mots, Péroncel-Hugoz est respecté en terre musulmane pour sa franchise et son honnêteté.
Coins et recoins
Fuyant les mondanités, les intrigues de palais, les simagrées de cour, il ne s’est pas installé à Rabat. Redoutant la folle et vaine agitation des grandes villes*, il n’a pas voulu non plus vivre à Casablanca. Il a choisi pour retraite une charmante agglomération située entre les deux : l’ancienne Fédala, rebaptisée Mohammedia. L’endroit est idéal, en effet. Parfois surnommé la cité aux dix mille palmiers, ce petit port aux larges avenues ombragées a réussi à concilier tous les contraires. L’Orient et l’Occident, le passé et le présent, l’architecture mauresque et le style colonial – la tranquillité et l’animation. Car Mohammedia n’est pas un trou – un bled – paumé : il y règne une activité à la fois « résidentielle, universitaire, vacancière, sportive et économique », affirme Péroncel-Hugoz dès les premières pages d’un livre qu’il vient de publier chez un petit éditeur d’Eure-et-Loir, Atelier Fol’Fer.
En prenant sa retraite ici, Péroncel-Hugoz ne pouvait pas se contenter de simples flâneries en bord de mer, de vagues méditations d’un promeneur solitaire. Journaliste dans l’âme, il n’a cessé d’arpenter la ville, d’en découvrir les moindres coins et recoins, d’en déceler tous les secrets d’aujourd’hui et, plus encore, d’hier (au temps du protectorat) ou même d’avant-hier.
Pour ce faire, il compulsa les archives, fréquenta les bibliothèques, dévalisa toutes les brocantes de Mohammedia et des environs. Cette recherche patiente amena ce reporter passionné d’histoire à s’intéresser, de proche en proche, à sa région, puis au royaume tout entier. Partant ainsi d’un point minuscule, Fédala, Péroncel-Hugoz embrasse, par cercles concentriques, l’ensemble du territoire marocain, de Tanger à Laayoune et de l’Atlantique au Sahara. D’où le titre du livre tiré de cette longue enquête dans le temps et dans l’espace : Le Maroc par le petit bout de la lorgnette.
Humour et fantaisie
Sous cet intitulé trop modeste se cache en fait un trésor : une mine de renseignements, d’anecdotes, de portraits, dont l’accumulation finit par former un panorama vivant. Une fresque dans laquelle sont reconstitués les grands événements que connurent ces rivages, depuis la capture des éléphants qui firent plus tard la gloire de Hannibal, jusqu’au débarquement des Américains en 1942, en passant par la période du protectorat, dominée par la haute figure de Lyautey, et naturellement la saga des Alaouites, dont la dynastie est au pouvoir depuis plusieurs siècles.
Il ne faudrait pourtant pas croire qu’on est ici dans une fastidieuse narration universitaire. Toujours irréprochablement documenté, Péroncel-Hugoz ne manque pas d’humour, de fantaisie, voire, lorsqu’il le faut, de frivolité, comme lorsqu’il évoque les très riches heures du Sphinx, le plus célèbre bordel d’Afrique du Nord, fréquenté en son temps par des gens très bien, tels Edgar Faure ou Jacques Brel. Ces qualités sont servies, de plus, par une très belle écriture : pratiquant l’arabe courant, Péroncel-Hugoz est un amoureux pointilleux et exigeant de la langue française.
On sort de la lecture de ce livre (306 pages) abasourdi par tant de richesse, gavé de tant de délicatesse, mais séduit surtout par l’éloge d’un pays, d’une culture, d’un art de vivre. Les Marocains, constate Péroncel-Hugoz, sont patriotes, croyants, pudiques et – raffinement suprême – royalistes. Exactement ce que, regrette-t-il, les Français ne sont plus.
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* Auxquelles il a consacré l’un de ses meilleurs ouvrages : Villes du Sud (Balland, 1990 ; réédition Payot, 2001).
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