Pourquoi investir dans le secteur bancaire au sud du Sahara

Cette contribution est l’approfondissement d’une tribune du même nom parue dans les colonnes de « Jeune Afrique ». Julien Lefilleur est le directeur régional de Proparco (filiale de l’Agence française de développement, AFD) pour l’Afrique de l’Ouest.

Publié le 9 juillet 2013 Lecture : 12 minutes.

L’Afrique est souvent synonyme de risque pour les investisseurs venus d’autres continents. Le marché africain est globalement méconnu et, étant donné sa taille relativement limitée, peu d’investisseurs y voient un potentiel important et estiment utile d’approfondir cette première impression. Le risque d’opérer dans le secteur financier est en effet certainement plus élevé en Afrique que dans d’autres régions du monde. Au-delà de l’instabilité sociale et politique, souvent ressentie comme un facteur de risque particulièrement important sur le continent, le climat des affaires constitue un obstacle de poids. Celui-ci est en effet objectivement plus difficile en Afrique qu’ailleurs. Les pays africains sont généralement classés aux dernières positions des classements Doing Business de la Banque mondiale : incertitude juridique, justice peu fiable (et lente), cadre réglementaire peu sécurisant, infrastructures de transport et de communication déficientes, niveau de formation des RH insuffisant, …

Si l’environnement africain est certainement plus difficile qu’un autre, les risques qu’il inspire sont très vraisemblablement surévalués.

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En ce qui concerne plus particulièrement le secteur bancaire, les cadres contractuels sont faibles et les droits des créanciers limités, les registres de crédit souvent inexistants, la protection du droit de propriété est insuffisante. L’instabilité de l’environnement implique en outre des risques importants en matière de conformité des opérations bancaires, en particulier en ce qui concerne le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et le financement de personnes politiquement exposées ou autres financements illicites. Dans ces conditions, les banques internationales estiment souvent ne pas être en mesure de pratiquer leurs activités selon les standards de la profession et préfèrent donc ignorer ces marchés, voire s’en retirer lorsqu’elles y sont déjà. Le risque encouru ne paraît souvent pas à la hauteur des enjeux étant donné la petite taille de ces marchés.

Des niveaux de risques surévalués pour des rentabilités sous-estimées

Si l’environnement africain est certainement plus difficile qu’un autre, les risques qu’il inspire sont très vraisemblablement surévalués et doivent dans tous les cas être appréciés à la lumière des performances réelles de son secteur bancaire. A l’exception des risques de réputation (liés aux risques de conformité), les risques évoqués ci-dessus induisent surtout une forte volatilité des résultats, mais les effets de rattrapage permettent généralement de compenser largement les mauvais exercices. Tout d’abord, si l’instabilité sociale et politique est plus forte que dans d’autres régions du monde, elle atteint rarement les extrêmes du Libéria, de la Sierra Leone ou de la Somalie, situations dans lesquelles l’économie s’effondre effectivement. Les pays qui ont connu des troubles sérieux ces dernières années sont nombreux, mais ces troubles n’ont que finalement très peu impacté la rentabilité de leurs secteurs bancaires à moyen terme (Table 1).

Tribune-banques-proparco3 infoLa capacité de rebond des secteurs financiers africains montre que les économies africaines font preuve d’une forte résilience à ce type de crise : les résultats sont volatiles, mais les effets de rattrapage permettent de compenser les mauvais exercices. Les deux exemples les plus récents en Afrique de l’Ouest, le Mali et la Côte d’Ivoire, sont parlants. Alors que la Côte d’Ivoire a traversé de graves troubles, de décembre 2010 à avril 2011, précédés d’une période de fort attentisme et suivis d’une période d’instabilité marquée, entraînant notamment la fermeture des banques pendant plus de trois mois, le secteur bancaire a réalisé une année 2010 globalement à l’équilibre et a connu un effet de rattrapage important sur 2012, compensant largement les médiocres performances de 2011. Le cas du Mali est encore plus illustratif puisque les principales banques ont continué d’afficher d’excellents niveaux de rentabilité en 2012, l’année même où la crise malienne a atteint son paroxysme.

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Tribune-banques-proparco infoLe climat des affaires n’est pas un obstacle décisif

Pour ce qui est du climat des affaires, s’il peut en effet constituer un frein à l’investissement, il ne peut apparaître pour un investisseur comme un obstacle décisif. Un climat des affaires dégradé tend à accroître les coûts d’entrée, à multiplier les tracasseries, notamment administratives, mais n’est pas de nature à mettre en péril l’activité. Les surcoûts d’exploitation induits sont largement compensés par le niveau des marges que ces marchés autorisent (voir encadré), comme en témoignent les coefficients d’exploitation des banques africaines qui ne situent in fine que légèrement au dessus de la moyenne mondiale .

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Les très bons niveaux de rentabilité des différents secteurs bancaires africains tendent donc à confirmer le décalage qui existe entre la réalité du risque et sa perception, et montrent en tous cas que les niveaux de marges compensent largement les risques pris. Le niveau de retour sur fonds propres (ROE) en Afrique atteignait 19 % en moyenne sur 2007-2010, contre seulement 11 % en Europe alors que les niveaux de capitalisation des banques africaines sont au-dessus de la moyenne mondiale . Ces niveaux de rentabilité sont parmi les plus élevés au monde (voir figures 1 et 2). Les filiales africaines des grands groupes bancaires comptent souvent parmi les filiales les plus rentables, certains pays – en particulier ceux qui apparaissent les plus risqués (Guinée, Madagascar, Tchad, …) – pouvant afficher des niveaux de ROE supérieurs à 25-30% plusieurs années consécutives. Il en est de même pour la rentabilité moyenne des actifs (ROA) observée en Afrique, qui, à 1.4%, figure également parmi la plus élevée du monde, juste derrière l’Amérique latine (1.6%).  Ces niveaux de rentabilité reflètent les niveaux de marges que les marchés africains peuvent absorber (cf encadré 1).

Des niveaux de marge bien au dessus de la moyenne des autres secteurs bancaires

Avec une moyenne de 20% (sur 2008-2010) , les taux d’intérêt nominaux des prêts en ASS sont bien au-delà de la moyenne mondiale à 13%. A l’exception de l’Asie centrale (24%), aucune région du monde n’atteint les taux moyens observés en Afrique centrale (34%), Afrique de l’Ouest (19%) ou Afrique de l’Est (19%). Le constat est le même pour les taux réels des prêts, à 10% en moyenne sur l’ASS (sur 2008-2010), contre une moyenne mondiale de 7%, et inférieur à 5% dans la majorité des pays développés. Les marges nettes d’intérêt, plus parlantes car elles isolent l’effet des coûts de refinancement, reflètent également ces observations.

L’Afrique centrale, puis de l’Ouest et enfin de l’Est, affichent les marges les plus élevées du monde (7.2% en moyenne sur l’ASS contre 3.5% pour le monde). Si l’on inclut également dans le calcul de ces marges les revenus hors intérêts (commission, etc…) – ce qui revient à calculer le taux que rapporte un actif bancaire moyen – les niveaux affichés par les secteurs bancaires africains apparaissent encore plus impressionnants. Un actif moyen dans une banque d’ASS génère des revenus nets de 12%. Ces taux peuvent atteindre 20% dans des pays comme le Malawi, la Sierra Leone ou le Congo.

Un potentiel loin d’être saturé

En plus d’être très rentable, le secteur bancaire africain offre également un réel potentiel de croissance. L’Afrique subsaharienne dispose en effet du secteur financier le moins développé au monde. Hors Afrique du Sud, le total des actifs bancaires africains est près de dix fois plus petit que celui de la première banque chinoise et avoisine celui de la dixième banque allemande. Même si l’on tient compte des différences de PIB, le secteur financier africain reste anormalement peu développé avec un taux de bancarisation  inférieur à 20%, de loin le plus bas du monde , et un taux de pénétration d’environ 30 %, plus de deux fois inférieur à la moyenne des autres pays en développement. Une forte proportion de l’activité économique échappe donc aux banques locales. Au-delà de son potentiel de croissance, le secteur bancaire dispose également de réservoirs de productivité importants. La plupart des banques africaines sont des banques de petites tailles, peu efficientes car incapables de générer des rendements d’échelle, et peu innovantes.

Aux côtés de ces petites banques, coexistent un nombre limité de grandes banques qui sont en position d’oligopole, pratiquent des marges importantes sur des marchés captifs, et n’ont de fait que peu d’incitations à améliorer leurs performances opérationnelles. L’exemple du Ghana est à cet égard assez illustratif, puisque malgré un grand nombre de banques (26), pour un total de moins de 10Mds d’euros d’actifs, les indicateurs témoignent d’un secteur peu compétitif – Taux prêteur moyen supérieur à 25%, marge nette d’intérêt  supérieure à 8% et ROA de 2.4% – peu performant – coefficient d’exploitation de 60% et taux de prêts non performants compris entre 15 et 20% – et très rentable – ROE de 18%  et bénéfice avant impôts  de 31% (PWC, 2012).

Le secteur bancaire africain devrait continuer de connaître une croissance soutenue en se consolidant

Dans ce contexte, la plupart des pays d’Afrique (zones UEMOA et CEMAC, Ghana, Kenya, etc), suivant l’exemple du Nigeria, ont annoncé des augmentations de capital minimum réglementaires, pour provoquer des mouvements de consolidation et améliorer les performances de leurs secteurs financiers. Le secteur bancaire africain, qui a été l’un des plus dynamiques du monde durant la dernière décennie, devrait ainsi continuer de connaître une croissance soutenue en se consolidant. Les perspectives de développement sont multiples : des segments de marchés entiers restent à explorer (crédit immobilier, financement agricole, monétique, etc.), la plupart des financements importants échappent encore au secteur bancaire local (infrastructures, mines et hydrocarbures, commerce international, etc.), les synergies avec les autres acteurs de marchés sont insuffisamment exploitées (marchés boursiers, fonds d’investissement, fonds de garantie, assurance, microfinance, etc.), l’Afrique anglophone et francophone demeurent totalement déconnectées. Les réservoirs de croissance sont donc loin d’être épuisés et le secteur devrait continuer d’offrir des opportunités intéressantes.

Encourager les banques internationales à investir en Afrique

Pourtant, malgré la rentabilité promise et les opportunités offertes, les banques internationales ont jusqu’ici montré peu d’intérêt pour l’Afrique. Ces marchés demeurent toujours trop risqués aux yeux des investisseurs étrangers. Une enquête récente réalisée par Ernst & Young met en avant le phénomène d’anti-sélection dont est victime l’Afrique (Ernst & Young, 2011). Elle montre que l’Afrique est le continent qui apparaît le plus risqué pour les investisseurs, mais qu’il existe une différence marquée entre les investisseurs qui y ont déjà investi et les autres. Les premiers sont satisfaits de leurs investissements et souhaitent s’engager davantage tandis que les seconds considèrent le continent comme trop risqué et n’envisagent généralement pas d’y investir. Pourtant, les investisseurs ayant des perspectives de long terme et capables de diversifier géographiquement leurs actifs ont la garantie de retours sur investissements records sur le continent.Tribune-banques-proparco2 info

Le panorama des acteurs étrangers en Afrique illustre assez bien les résultats de cette enquête. Les principaux groupes bancaires étrangers présents en Afrique subsaharienne sont en effet soit des banques françaises (Société générale, BNP), soit des banques anglaises (Barclays, Standard Chartered), originaires donc des anciennes puissances coloniales. Ces banques sont entrées en Afrique au moment des indépendances – souvent à l’occasion des privatisations des banques coloniales – et n’en sont pas reparties depuis. La continuité de leur présence depuis 50 ans montre que le niveau de rentabilité moyen est élevé et que les risques sont contrôlables. En revanche, les groupes bancaires étrangers ayant cherché à s’implanter sur le continent ces vingt ou trente dernières années sont très rares. En particulier, pratiquement aucune banque en provenance des pays émergents et en développement – par exemple de Chine ou d’Inde, des pays devenus pourtant les principaux partenaires commerciaux du continent -, n’a démontré de velléité d’implantation en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) ces dernières années.

Les principaux acteurs du développement du secteur bancaire africains sont africains

Les principaux acteurs du développement du secteur bancaire africains sont africains. Aujourd’hui, le continent compte quelques banques panafricaines – Ecobank, Bank of Africa Group (BOA), Standard Bank, United Bank for Africa (UBA) – présentes dans plus d’une dizaine de pays, et bon nombre de banques régionales en forte croissance. Ce sont ces nouveaux acteurs qui ont fait croitre le secteur bancaire et qui ont exploité les opportunités offertes, alors que les banques étrangères ont, elles, perdu des parts de marché (Figure 3). L’exemple du groupe Ecobank est illustratif : en moins de vingt ans, il s’est implanté dans 30 pays africains, figurant parmi les trois premières banques dans plus de la moitié d’entre eux et en première position dans sept d’entre eux. Cette expansion si rapide n’aurait pas été possible dans un environnement concurrentiel et montre à quel point il existe un réel potentiel de marché en Afrique.

Si les banques internationales gagneraient donc à s’intéresser davantage à l’Afrique, le secteur bancaire financier gagnerait également à accueillir davantage d’acteurs étrangers. En effet, alors que l’extrême observé dans les années post indépendance, où la quasi-totalité du secteur financier privé était détenu par des banques étrangères, n’est pas souhaitable, un développement totalement endogène ne l’est pas non plus. Le secteur a besoin de ressources extérieures pour croître suffisamment rapidement et rattraper son retard. Or, les banques internationales ont généralement plus de moyens que les banques locales. Adossées à de grands groupes, elles disposent d’une expertise que celles-ci n’ont pas, ont plus facilement accès aux ressources humaines les plus expérimentées, possèdent des capacités de formation et d’innovation plus importantes et jouent ainsi un rôle structurant sur les marchés locaux en diffusant leur savoir-faire.

Il est important que le continent reste ouvert au secteur financier extérieur et soit capable d’attirer des banques internationales

Elles disposent en outre de capacités d’intervention plus grandes – puisqu’elles peuvent syndiquer des financements auprès de leur groupe -, et des conditions de refinancement compétitives. Ensuite, les marchés africains seront logiquement de plus en plus intégrés dans l’économie mondiale, impliquant une augmentation des transactions financières entre l’Afrique et le reste du monde. Cela ne peut se faire que s’il existe des liens entre le secteur financier africain et l’extérieur, et les banques internationales sont les mieux positionnées pour connecter les économies africaines au reste du monde. Ainsi, si le développement du secteur bancaire africain continuera logiquement d’être tiré par des acteurs locaux, il est important que le continent reste ouvert au secteur financier extérieur et soit capable d’attirer des banques internationales. Pour cela, il est nécessaire de mieux communiquer sur les performances réelles du secteur financier africain qui restent, à ce jour, malheureusement bien moins connues que les éventuels facteurs de risques que présente le continent.

Notes :
1. Sur la période 2005-2009, les coefficients d’exploitations des banques s’élevaient en moyenne à : Asie du Sud Est et Pacifique : 62% ; Europe et Asie centrale : 64% ; Amérique latine et Caraïbes : 75% ; Moyen Orient et Afrique du Nord : 50% ; Asie du Sud : 59% ; Afrique subsaharienne : 68% (Beck et alii, 2012). 
2. Sauf lorsque la source est explicitée, les données de cet article proviennent des calculs de l’auteur, effectués à partir des bases de données Bankscope et Banque mondiale (en accès libre sur http://data.worldbank.org/). 
3. En outre, ces chiffres sous-estiment les niveaux de rentabilité réels des banques étrangères opérant en Afrique. Ils sont en effet fortement influencés par les résultats des grandes banques publiques africaines, qui peuvent avoir des parts de marchés importantes et des rentabilités très médiocres. 
4. Toutes les moyennes de ce paragraphe sont calculées sur la période 2008-2010, sauf lorsque la période de calcul est précisée, sur l’ASS à l’exception de l’Afrique du Sud, des Seychelles et de Maurice. 
5. Le taux de pénétration est représenté par le ratio du total des actifs bancaires rapporté au PIB du pays, tandis que le taux de bancarisation représente le pourcentage d’adultes détenant un compte bancaire ouvert dans une banque commerciale.
6. Pour comparaison : Amérique Latine et Caraibes : 28% ; Europe et Asie centrale : 44% ; Asie de l’Est et Pacifique : 27% ; Moyen Orient et Afrique du Nord : 24%. Source : BEI, 2013. 
7. Revenus nets d’intérêts / Actifs générant revenus moyens
8. Il est intéressant de noter que les banques étrangères, telles que Standard Chartered ou Barclay’s, affichent au Ghana des rentabilités record, avec des ROE supérieurs à 25%, bien au delà des ROE moyens de leur groupe (resp. de 12% et 7%). 
9. Bénéfices avant gains/pertes extraordinaires mais avant impôts / PNB.

Références :
Beck, T., Cihak, M., Demirguc-Kunt, A., Feyen, E.H.B. et Levine, R.E., 2012. A Database on Financial Development and Structure (updated September 2012), The World Bank
BEI, 2013. Banking in sub-Saharan Africa – Challenges and Opportunities, Banque Européenne d’Investissement, Document de travail
PWC, 2012. Ghana Banking Survey, Pricewaterhouse Coopers, Document de travail
Ernst&Young, 2011. Its time for Africa. Ernst&Young’s 2011 Africa attractiveness survey
Bankscope, 2011. Base de données

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