Affaire Lies Hebbadj : le ministre, la burqa et la nationalité
Les récentes menaces de déchéance visant un Franco-Algérien accusé de polygamie et de fraudes aux allocations n’ont aucun fondement juridique. Voici ce que le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, aurait dû ne pas oublier.
Quel est le point commun entre le dramaturge allemand Bertolt Brecht, le chanteur français Serge Gainsbourg et l’islamiste saoudien Oussama ben Laden ? Réponse : tous ont été privés de leur nationalité (respectivement en 1933, 1942 et 1994). Brice Hortefeux, le ministre français de l’Intérieur, aurait volontiers fait en sorte que Lies Hebbadj vienne grossir leurs rangs. On sait que ce Nantais d’origine algérienne est soupçonné de polygamie et de fraudes aux allocations familiales depuis que son épouse officielle s’est vu infliger une amende de 22 euros pour avoir porté un niqab au volant de son automobile…
Sur ses deux oreilles
Problème : la loi française ne permet pas de déchoir ledit Hebbadj de sa nationalité en raison de sa polygamie supposée. Très strict en la matière, le code civil ne prévoit en effet une telle sanction, pour tout individu qui a acquis la qualité de Français, que dans les cas :
1. d’un crime ou délit portant atteinte aux intérêts fondamentaux du pays ou constituant un acte de terrorisme ;
2. d’une condamnation pénale pour atteinte à l’administration dans l’exercice d’une fonction publique ;
3. d’une soustraction aux obligations du service national ;
4. d’un acte préjudiciable aux intérêts français, au bénéfice d’un État étranger.
« La polygamie n’a rien à voir avec tout ça. Quant aux fraudes aux allocations, à supposer qu’elles soient constituées, ce sont les mères qui les ont commises », estime Me Rabah Hached, spécialiste du droit des étrangers et de la nationalité au barreau de Paris. A priori, Hebbadj peut donc dormir sur ses deux oreilles : il ne devrait pas être déchu de sa nationalité.
Conséquence de délits très graves, la déchéance de la nationalité est rarement prononcée. Depuis vingt ans, elle l’a été, en 1990, à l’encontre d’un homme reconnu coupable de viols sur mineurs ; d’un autre poursuivi, en 2006, pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes terroristes ; ou encore, cette même année, d’un imam prêchant un islam radical…
Aux Pays-Bas aussi…
Mais la loi française prévoit une autre hypothèse de perte de la nationalité dans le cadre d’une procédure judiciaire. Il en est ainsi des individus ayant dissimulé leur statut marital dans le but d’obtenir leur naturalisation – une piste qui ne manquera pas d’être explorée dans le cas Hebbadj. La naturalisation est alors annulée et le fautif retrouve automatiquement sa nationalité d’origine. C’est d’ailleurs aussi le cas dans de nombreux pays et notamment aux Pays-Bas, où, en 2006, la députée d’origine somalienne Ayaan Hirsi Ali a été menacée de perdre sa nationalité. Arrivée aux Pays-Bas en 1992, venant d’un pays en guerre, elle a été soupçonnée d’avoir menti sur son histoire personnelle afin d’obtenir le statut de réfugiée, avant d’être blanchie.
Perte ou déchéance, de telles mesures ne peuvent être appliquées que si les condamnés ne deviennent pas du même coup apatrides, la Déclaration universelle des droits de l’homme stipulant que toute personne a droit à une patrie.
À la vérité, les motifs varient peu d’un pays à l’autre, mais il y a quand même quelques nuances. Au Maroc, par exemple, l’attentat ou l’offense à la famille royale constitue un motif de déchéance. Au Royaume-Uni, comme l’explique Jean-Christophe Duton, avocat au barreau de Paris, « le ministre compétent peut déchoir un individu de sa nationalité s’il s’estime convaincu que cette déchéance est dans l’intérêt de la population ».
Contre les « indésirables », les gouvernements disposent par ailleurs de toute une palette de mesures d’éloignement (interdiction de territoire, expulsion), comme l’ancien opposant marocain Abraham Serfaty ou la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba au temps de l’apartheid en ont fait l’amère expérience : l’un et l’autre ont été contraints à l’exil.
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