La fourmi n’est pas prêteuse…
Angela Merkel n’a accepté qu’à contrecœur – et pour de très égoïstes raisons – de porter secours à la cigale grecque, que son imprévoyance et son incurie ont plongée dans une crise financière gravissime.
L’aura d’Angela Merkel, la « femme la plus puissante du monde » à en croire le magazine américain Forbes, a singulièrement perdu de son éclat, tant en Allemagne, dont elle est la chancelière depuis 2005, qu’en Europe. Elle, dont la popularité a résisté à toutes les tempêtes, a vu sa cote chuter de sept points à 55 %, son score le plus faible depuis l’automne 2006. Les sondages révèlent que l’opinion allemande préfère désormais les Verts et la gauche de la gauche (Die Linke) à la coalition libérale CDU-FDP au pouvoir.
Cette dégringolade est difficile à comprendre pour un non-Allemand. N’a-t-elle pas caressé son électorat dans le sens du poil en persistant dans son refus d’admettre la Turquie dans l’Union européenne et en donnant longtemps l’impression de s’opposer au sauvetage de la Grèce par l’UE et le FMI ? Décidé le 3 mai et confirmé une semaine plus tard, ledit sauvetage hérisse en effet 86 % de ses compatriotes…
C’est oublier que Merkel ne veut pas entendre parler de retrait d’Afghanistan, où elle estime que la Bundeswehr doit combattre le terrorisme islamiste aux côtés des autres armées occidentales, en dépit des pertes (quatre soldats allemands tués en avril) et des bavures (au moins cinq soldats afghans tués par erreur, ce même mois). Or une majorité d’Allemands pensent qu’il est temps d’abandonner le régime Karzaï à son sort…
Exercice d’équilibrisme
L’autre raison de la chute de la chancelière dans les sondages tient à la coalition qu’elle dirige. Jusqu’en septembre 2009, elle gouvernait avec ses « ennemis » traditionnels, les sociaux-démocrates du SPD, selon un consensus laborieux, mais solide et compréhensible. Depuis sa réélection, elle « manque d’une dimension politico-philosophique », comme l’écrit élégamment le politologue Gerd Langguth dans le quotidien économique Handelsblatt. En clair, l’opinion ne comprend plus rien à ses exercices d’équilibrisme.
Il faut dire que ses alliés ne lui facilitent pas la tâche en tirant le gouvernement à hue et à dia. Regroupée au sein de la CSU bavaroise, son aile droite ne veut pas de la réforme de l’assurance maladie concoctée par le ministre FDP de la Santé. De son côté, Guido Westerwelle, vice-chancelier, ministre des Affaires étrangères et président du FDP, ne rate pas une occasion de faire de la surenchère, notamment à propos de la Grèce, à laquelle, estime-t-il, il est « hors de question de faire un chèque en blanc ».
Un brin démagogique pour être resté longtemps dans l’opposition, le FDP a suscité la colère de l’opinion en préconisant une baisse de l’impôt sur le revenu de l’ordre de 35 milliards d’euros. Au moment où l’Allemagne doit réduire son déficit budgétaire de 10 milliards d’ici à 2016 pour se conformer à la Constitution et aux règles de l’UE, le projet a été jugé irresponsable. Les intentions de vote en sa faveur étant passées, en six mois, de 14,7 % à 7 %, le FDP a fait machine arrière : il ne parle plus que de 15 milliards d’euros de réduction d’impôts et renvoie à 2012 la mise en place de la réforme. Mais le mal est fait : il paraît désormais évident que le gouvernement n’a pas de cap bien défini. La vérité est que le désarroi de Merkel est aussi celui de l’Allemagne, qui accepte mal de se retrouver au banc des accusés en raison de son intransigeance dans la gestion de la crise grecque. On a dit que la CDU, le parti de la chancelière, craignait d’être battu, le 9 mai, lors de l’élection régionale en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Une défaite dans ce Land, le plus peuplé d’Allemagne (18 millions d’habitants), se traduirait en effet par la perte de la majorité au Bundesrat, la chambre haute du Parlement, et compliquerait singulièrement l’adoption des réformes. Du coup, à l’instar de Jürgen Trittin, le chef du groupe des Verts au Bundestag, de nombreux commentateurs dénoncent une attitude jugée « extrêmement antieuropéenne » fondée sur « des raisons purement électorales ». Paradoxe, pour cette chancelière sans chichis, pour ne pas dire sans charisme : elle incarne une Allemagne sûre d’elle-même – et de ses exportations –, qui refuse de tendre la main à un pays dans le malheur, coupable d’avoir truqué ses statistiques et vécu au-dessus de ses moyens en détournant les fonds européens de leurs destinations normales. C’est un peu la fourmi Merkel contre les cigales grecques, voire, demain, espagnoles et portugaises.
Onde de défiance
Si elle s’est, en définitive, laissé fléchir et a accepté d’apporter 8,4 milliards d’euros de prêts publics pour sauver Athènes, c’est qu’elle sait que l’onde de défiance des marchés aurait fini par gagner l’ensemble de l’Union. Laquelle reste la destination de 52 % des exportations allemandes. Jouer jusqu’au bout les premiers de la classe pour contenter son électorat aurait été suicidaire pour le made in Germany. La chancelière a su faire volte-face. Les prochaines semaines diront si elle ne l’a pas fait trop tardivement, et trop mollement pour éviter une panique catastrophique des marchés.
Pour autant, elle n’échappera pas au débat lancé à la mi-mars par Christine Lagarde, qui, à deux reprises, a accusé l’Allemagne d’être une mauvaise Européenne, parce qu’elle a choisi de comprimer ses salaires et de privilégier ses exportations au détriment de ses voisins. La ministre française de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, dit tout haut ce que de nombreux responsables européens pensent tout bas : désormais réunifiée et triomphante, l’Allemagne est devenue égoïste et s’isole de l’Europe. Indignés par cette attaque, de nombreux commentateurs allemands rappellent que leur pays ne se serre pas la ceinture pour concurrencer ses voisins, mais parce que ses coûts salariaux sont parmi les plus élevés au monde. Sommés de dépenser plus pour soutenir la consommation et accroître les importations, les Allemands ont beau jeu de rappeler que leur déficit budgétaire avoisinera cette année 80 milliards d’euros – un record.
Pour mettre un terme à ce dialogue de sourds, il faudra bien en venir à la construction d’une économie européenne qui respecte la diversité des modèles, mais assurant une cohérence d’ensemble qui fait terriblement défaut depuis le début de la crise grecque. « Angela est convaincue qu’il faut à l’Europe un véritable gouvernement économique, commente un des acteurs de cette crise. Le problème est que son peuple y reste opposé. »
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