Gucci, tagliatelles et cappucino
Partie intégrante du tissu social national pendant trois générations, les Italiens sont de retour. Pour le plus grand bonheur des amateurs de mode et de bonne chère.
Au palais Khaznadar, au cœur de la médina de Tunis, une mosaïque porte une inscription en italien vieille d’un siècle : Siamo passati e ritorneremo (« Nous sommes passés et nous reviendrons »). Un message prémonitoire, puisque la présence italienne en Tunisie aujourd’hui est tout à fait notable. Les liens entre les deux pays remontent au XIXe siècle quand, fuyant la chasse aux anarchistes ou la famine, des Italiens vinrent se réfugier massivement en Tunisie. Ils se fondirent dans le tissu social et, pendant deux ou trois générations, tinrent des commerces et des exploitations agricoles. Beaucoup, devenus français durant la Seconde Guerre mondiale, quittèrent le pays après l’indépendance, en 1956.
Histoire commune ou effet de proximité, toujours est-il que les Italiens reviennent en force. Non pas pour faire du tourisme – quelque 400 000 d’entre eux visitent le pays chaque année, tout de même –, mais pour prendre un nouveau départ. Économiquement, l’Italie est, juste derrière la France, le deuxième partenaire commercial de la Tunisie avec des échanges qui s’élèvent à plus de 3,5 milliards d’euros. Les investissements transalpins représentent environ 23 % du total des investissements étrangers, et les entreprises gérées par des Italiens, en partenariat avec des Tunisiens, ont créé 41 000 emplois. Les groupes Benetton, dans le textile, ou Marco Botti, dans la chaussure et le cuir, ont développé leurs activités à partir de plates-formes offshore et créent également de l’emploi indirect, tout en bénéficiant des avantages des entreprises exclusivement exportatrices.
Tête de pont
Un autre phénomène a vu le jour. Ayant repéré des marchés potentiels au Maghreb et en Afrique subsaharienne, les Italiens les démarchent à partir de la Tunisie, l’association avec des Tunisiens, qui connaissent le terrain et les mentalités, permettant aux Italiens de surmonter le handicap de la langue. C’est ainsi que la Tunisie est devenue une tête de pont vers la Libye et l’Algérie, mais aussi vers l’Afrique de l’Ouest. Contrairement aux Français, les Italiens ont développé de nombreux centres d’affaires qui jouent un rôle de conseil et d’intermédiaires pour les investisseurs transalpins en Tunisie et en Afrique. C’est le cas par exemple de Delta Consulting, qui, à partir de Tunis, a aujourd’hui pignon sur rue en Mauritanie.
Mais les nouveaux arrivants n’ont pas le profil des investisseurs classiques. Ils sont assez jeunes, ont une solide expérience professionnelle, n’hésitent pas à se reconvertir dans un autre domaine, disposent de puissants moyens financiers et n’ont plus aucune envie de vivre en Italie. Parmi les 5 000 Italiens résidant en Tunisie, certains sont des quinquagénaires qui profitent d’une retraite anticipée, d’autres des entrepreneurs qui s’embarquent dans une nouvelle aventure professionnelle. Fabio Massimo Lucci, un Romain de pure souche, a abandonné le métier d’ingénieur pour introduire des technologies agricoles en Tunisie. « En Italie, je n’avais plus aucun challenge à relever, alors qu’ici il y a beaucoup à faire, et la demande est forte et augmente de jour en jour. Même si les parcours administratifs sont un vrai casse-tête, ici, on peut avoir la satisfaction de réaliser des choses. » C’est ce que disent en substance la plupart de ces nouveaux migrants qui profitent d’un cadre de vie agréable, tout en étant à une heure de vol de Rome.
Si la vieille garde italienne, qui n’a jamais quitté la Tunisie, a tendance à admirer béatement Berlusconi, les nouveaux venus, plutôt de gauche, ne veulent généralement plus entendre parler de politique. « Si Craxi a été heureux ici, il n’y a pas de raison que je ne le sois pas aussi ! » lance avec humour Emmanuela, arrivée il y a six mois. De fait, les Italiens s’intègrent si bien que les mariages mixtes sont en nette augmentation. À la différence de leurs aînés, qui vivent un peu en autarcie, comme à Hammamet, les nouveaux arrivants se mêlent à la population, nouent des amitiés avec des Tunisiens, apprennent l’arabe et vivent au rythme local. Ils travaillent généralement dans les services touristiques spécifiques, tels que le club d’ULM de Douz, ou dans l’exportation vers l’Italie de fruits et légumes ou de produits de la mer. D’autres, constatant le goût prononcé des Tunisiens pour la gastronomie italienne, ont ouvert des magasins de glaces, des restaurants, ou sont devenus des fournisseurs de produits alimentaires, dont le café et les pâtes, mettant ainsi à la mode le made in Italy en Tunisie.
La RAI en partage
Ce phénomène, notable depuis cinq ans, fait en tout cas le bonheur des Tunisiens, qui n’hésitent pas à délaisser le casse-croûte local pour un panini ou une pizza. À Tunis, la Romanesca, la Tavolata ou le Ritrovo degli artisti sont autant de tables particulièrement courues. On s’habille au Carré italien ou chez Motivi. On arbore plus volontiers les logos de Prada, Gucci ou Dolce Gabbana que celui de Chanel. Sur les murs de la capitale, certaines publicités vantent les canapés ou la maroquinerie… en italien. Il faut dire que les marques de la péninsule sont aussi celles qui sont les plus présentes sur le marché de la contrefaçon, mais aussi sur celui de la friperie.
La télévision a aussi joué un rôle non négligeable pour asseoir la présence italienne en Tunisie : la Radiotelevisione Italiana (RAI) émet depuis toujours en Tunisie et n’a jamais crypté ses émissions, si bien que de nombreux Tunisiens sont imprégnés de culture italienne et parlent couramment la langue. Même si l’attrait des émissions orientales est plus fort, Nessma TV a choisi de se donner un cachet italien en diffusant des programmes de Mediaset, tels que Non Solo Moda, qui présente les articles de mode les plus tendances de la péninsule. Et puis il ne faut pas négliger un autre point commun entre les deux peuples : leur passion dévorante pour le football. Du coup, il ne faut pas s’étonner que la destination préférée des Tunisiens candidats à l’émigration soit « Talia
», comme ils disent. Seulement voilà, s’il fait bon vivre en Tunisie pour les Italiens, la réciproque n’est pas forcément vraie, montée de la xénophobie en Italie oblige.
La boutique le Carré-italien, dans le quartier Ennasr, à Tunis. (© Ons Abid pour J.A)
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