Rafik Khalifa : un aller simple pour Alger ?

Après trois ans de tergiversations, la Grande-Bretagne a décidé d’autoriser l’extradition de l’ancien milliardaire algérien. Mais ce dernier dispose d’un éventail assez large de parades juridiques pour retarder l’échéance.

Rafik Khalifa a les cartes en main pour retarder son extradition. © AFP

Rafik Khalifa a les cartes en main pour retarder son extradition. © AFP

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Publié le 17 mai 2010 Lecture : 6 minutes.

Le détenu Rafik Khalifa, numéro d’écrou TP7191, doit trouver le temps long dans sa cellule de la prison de Wandsworth, dans le sud-ouest de Londres. Après trois années de procédures judiciaires, de tractations diplomatiques et de reports successifs, le Home Office (ministère britannique de l’Intérieur) a fini par donner, le 28 avril, son aval à l’extradition de l’ancien milliardaire algérien, en vertu d’un accord liant les deux pays depuis 2003. Dans la foulée de cette décision, Me Anita Vasisht, avocate au cabinet londonien Wilson & Co, chargé de défendre les intérêts de Khalifa, a annoncé que son client ferait appel au plus tard le 13 mai.

Si le feu vert de Londres constitue une victoire pour les autorités algériennes, l’extradition est loin d’être acquise. Rafik Khalifa, 41 ans, détient encore plusieurs cartes en main pour différer l’exécution de la procédure. Il pourrait en effet faire appel auprès de la Cour suprême britannique, puis auprès de la Chambre des lords ou encore auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Autant de recours susceptibles de retarder de plusieurs années son éventuelle extradition. Une nouvelle bataille judiciaire est ouverte. Explications.

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Pourquoi Londres a-t-il enfin donné son accord ?

La décision britannique aura été lente à se dessiner. Alors que les magistrats du tribunal de Westminster ont jugé, le 25 juin 2009, que le prévenu était extradable, le Home Office a réclamé quatre délais afin d’étudier le dossier d’extradition déposé par les autorités algériennes, ainsi que les documents et arguments présentés par la défense. Pour justifier son intervention, le ministre de l’Intérieur, Alan Johnson, affirme, dans une lettre adressée aux avocats du prévenu, avoir « accepté les garanties diplomatiques » données par l’Algérie concernant la sécurité de Rafik Khalifa. Alger a d’abord assuré que la vie de l’ex-golden boy ne serait pas mise en danger. Au cours d’une audience tenue l’année dernière au tribunal de Westminster, un représentant du gouvernement algérien était venu l’affirmer. Bien que les juges aient admis l’existence d’un risque, ils ont choisi de faire confiance aux Algériens et semblent rassurés par les « garanties diplomatiques » mises en avant. Khalifa aura également droit à un nouveau procès public ouvert à la presse. Enfin, les Britanniques ont reçu l’assurance que le prévenu n’encourrait pas la peine capitale en cas de condamnation. « La peine de mort pour des infractions économiques a été abolie en novembre 2001, souligne la lettre du Home Office. Il ne risque donc pas la peine capitale. » De toute façon, la peine de mort n’est plus appliquée depuis 1993…

Les assurances données par le gouvernement algérien suffiront-elles à convaincre les juges de la Cour suprême, de la Chambre des lords ou de la Cour européenne de valider la décision du gouvernement britannique ? La défense de l’ex-milliardaire émet de sérieux doutes.

Sa vie est-elle en danger ?

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Depuis sa cellule londonienne, Rafik Khalifa clame que sa vie est en danger. « C’est un cauchemar quotidien de ne pas savoir ce qui se passe et si la Grande-Bretagne va ou non me renvoyer en Algérie, confiait-il peu de temps avant la décision du ministre de l’Intérieur. Je suis un homme mort si on me renvoie là-bas. » Dans un article paru le 26 avril, le quotidien britannique The Guardian affirme, sur la foi de documents en sa possession, que l’ex-homme d’affaires pourrait faire l’objet d’un assassinat en cas d’un éventuel rapatriement. Le journal explique ainsi que Khalifa a reçu, en août 2008, dans sa cellule de Wandsworth, la visite de deux officiels britanniques, lesquels l’auraient mis en garde contre le risque d’une liquidation dès son retour en Algérie.

Par ailleurs, The Guardian croit savoir que l’extradition est le résultat d’un deal entre Alger et Londres : à savoir le renvoi de Khalifa en échange du rapatriement d’Algériens accusés ou suspectés de liens avec des organisations terroristes islamistes. Des révélations démenties par le gouvernement britannique – les autorités algériennes se sont abstenues de tout commentaire –, mais pour le cabinet d’avocats de Rafik Khalifa, ce dernier est tout simplement victime d’une transaction. « Notre client n’est impliqué dans aucune affaire de terrorisme, mais le gouvernement l’utilise comme une monnaie d’échange », déclare Anita Vasisht.

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De quels recours dispose-t-il ?

« Le dossier est loin d’être clos », explique l’avocate. Le recours que la défense compte introduire devant la Cour suprême doit comprendre un exposé des faits, ainsi que les arguments qui justifient l’appel. Bien qu’en théorie cette juridiction soit appelée à fonder ses jugements sur des points de droit, elle peut tout aussi bien avoir sa propre appréciation des faits qui lui sont exposés. Une fois la procédure enregistrée, un magistrat se prononcera sur la recevabilité de la requête. En cas d’accord, les différents protagonistes devront se retrouver pour une audience. Or les juges de la Cour suprême auront besoin d’un délai d’au moins cinq mois pour préparer une telle confrontation. Le dossier de l’affaire Khalifa étant complexe aussi bien sur le plan judiciaire que politique, il est fort probable que ce délai soit rallongé de plusieurs mois, d’autant que la justice britannique est réputée pour être l’une des plus vétilleuses au monde. Aussi, dans ses futures requêtes, la défense de Khalifa jouera son va-tout et ne manquera pas de mettre l’accent sur les menaces de maltraitance et d’assassinat qui pèseraient sur son client afin d’invalider la décision d’extradition. Connue dans le milieu des droits de l’homme, Anita Vasisht, qui remplace Anna Rothwell, s’emploiera à mettre en avant son expérience au sein d’Amnesty International pour convaincre les institutions judiciaires de ne pas renvoyer Khalifa dans son pays d’origine.

Comment est-il tombé en disgrâce ?

Pour ce fils d’un ancien ministre de l’Armement et des Liaisons générales (ancêtre de la Sécurité militaire), qui a fait fortune dans la pharmacie, le transport aérien, la banque, la télévision et le BTP, le tournant intervient le 27 mars 2007, quand il est interpellé par une équipe de Scotland Yard. Réfugié à Londres depuis mars 2003, après la chute de son empire, qui employait plus de 20 000 personnes, Rafik, « Moumen » pour les intimes, menait grand train : un somptueux appartement dans un quartier huppé de Londres – non loin des magasins Harrod’s –, deux limousines avec chauffeur, un garde du corps ayant appartenu au corps d’élite de la Royal Navy, des dîners bien arrosés dans des restaurants chics. Mais les autorités britanniques décident donc brutalement de mettre fin à cet exil doré en procédant à son arrestation dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen délivré par le tribunal de grande instance de Nanterre, près de Paris. C’en est cette fois fini de la vie de château à l’abri des poursuites judiciaires.

La descente aux enfers a commencé en réalité dès le 27 novembre 2002, quand la Banque d’Algérie décide de bloquer le transfert des capitaux du groupe vers l’étranger. En moins de quelques mois, ce dernier est mis en liquidation avant d’être entièrement dépecé. De cet empire de papier, qui symbolisait la réussite de l’entrepreneuriat algérien, il ne subsiste aujourd’hui plus rien. Pis, la banqueroute de ses sociétés aura coûté, selon des estimations fournies par le Premier ministre Ahmed Ouyahia, plus de 3 milliards de dollars au Trésor public. Sans parler de ces milliers d’Algériens qui auront perdu les économies de toute une vie, placées dans ses établissements bancaires. Madoff n’a rien inventé… Sentant le vent tourner, Khalifa s’exile à Londres. De la capitale britannique, il clame son innocence, jure qu’il est victime d’une cabale montée par le gouvernement algérien et promet des révélations fracassantes. À défaut de scoops, « Moumen » se contente d’imprécations contre le président Bouteflika et le « régime pourri et corrompu » d’Alger. Bienveillante à son égard, la Grande-Bretagne tolère sa présence jusqu’à ce mois de mars 2007. Son incarcération intervient une semaine après sa condamnation, le 22 mars, par le tribunal criminel de Blida, à la prison à vie. Jugé par contumace lors d’un procès qui aura tenu en haleine l’opinion publique algérienne, Rafik Khalifa avait écopé de la réclusion à perpétuité pour « association criminelle, corruption, abus de confiance, faux et escroquerie ». Va-t-il cette fois s’expliquer devant les juges de son pays pour que ses compatriotes connaissent enfin la vérité sur son ascension fulgurante et sa chute retentissante ? Ce qui est sûr, c’est que beaucoup d’eau coulera sous les ponts de la Tamise avant de voir Rafik Khalifa prendre un aller simple Londres-Alger.

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