Tchad : frères ennemis

Culture fratricide ? S’agissant du Tchad, on le croirait volontiers. Pas pour son désert, dont le feu rend la vie des nomades particulièrement rude. Ni pour ses fleuves capricieux, le Chari et le Logone, où naviguer est une gageure. Il s’agit de cette violence de l’État et des factions qui a été pendant longtemps sa marque de fabrique. Le pouvoir s’y conquiert au bout du fusil, et la démocratie peine à s’y installer. De turbulence en turbulence, le Tchad est encore, cinquante ans après, un pays fragile. Sous la menace permanente de nouveaux règlements de comptes.

Le camp Koufra en 1960 devenu camp des « martyrs » sous Hissène Habré. © Ministère des Affaires Étrangères

Le camp Koufra en 1960 devenu camp des « martyrs » sous Hissène Habré. © Ministère des Affaires Étrangères

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Publié le 12 mai 2010 Lecture : 5 minutes.

Tchad, frères ennemis
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Tchad, frères ennemis

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Fin avril, des combats ont opposé, dans l’est du pays, l’armée gouvernementale aux rebelles du Front populaire pour la renaissance nationale (FPRN). Un nouvel épisode de l’histoire typique de ce pays, où depuis cinquante ans les querelles se règlent au combat et où le pouvoir est l’objet de tant de convoitises. Dès 1960, les signes avant-coureurs de tensions apparaissent. Le 24 août, deux semaines seulement après la proclamation de l’indépendance, le président François Tombalbaye se débarrasse de façon surprenante de Gabriel Lisette, vice-Premier ministre et président du Parti progressiste tchadien (PPT, au pouvoir), alors en mission à l’étranger. D’origine antillaise, Lisette est déchu de la nationalité tchadienne et interdit de revenir au Tchad. Même sort pour le maire de Fort-Lamy (qui deviendra N’Djamena en 1973), et député du Ouaddaï, Jean Baptiste, un métis franco-tchadien. Tombalbaye s’en prend aussi à une poignée de politiciens influents, qu’il assigne à résidence.

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Deux ans après l’indépendance, tous les partis politiques, à l’exception du sien, sont interdits, et il instaure un régime présidentiel à la mesure de son ambition.

Les ressortissants du Nord s’estiment lésés par une administration contrôlée par leurs compatriotes du Sud, mieux formés pendant l’époque coloniale.

En septembre 1963, la répression d’opposants dans la capitale fait au moins vingt-cinq morts. En un rien de temps, les éléments de ce qui va devenir le puzzle tchadien se rassemblent. Un climat de terreur s’installe, avec notamment la création d’une garde prétorienne : les Compagnies tchadiennes de sécurité (CTS).

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Sur le plan économique et social, la situation est tout aussi tendue. Le gouvernement multiplie taxes et impôts. Une charge, ajoutée aux abus des agents de recouvrement, qui devient insupportable, particulièrement dans les zones rurales. Résultat : les paysans de Mangalmé, dans le Centre, se soulèvent, en septembre 1965. En dépit d’une terrible répression, cette témérité fait des émules. Au Tibesti (Nord), dont le derdeï, chef spirituel et temporel des Toubous, s’est réfugié en Libye, une autre révolte commence, en 1968.

Colère des nordistes

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Tombalbaye néglige ces signaux. Et le mécontentement s’amplifie, en particulier dans le Nord et le Centre-Est, régions musulmanes. Une étape importante est franchie en 1966 avec la création du premier groupe rebelle, le Front de libération nationale du Tchad (Frolinat), rapidement divisé en plusieurs courants.

Lorsque Tombalbaye prend conscience du péril, il appelle la France à son secours. De Gaulle accepte d’intervenir, en 1968, puis en 1969. Bien que l’intervention française soit couronnée de succès, un problème reste entier : la rébellion n’est pas écrasée.

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Face à cette réalité, Tombalbaye décide de négocier avec le Frolinat en octobre 1971. Et il choisit Hissène Habré pour cette mission secrète. Gorane, né à Faya-Largeau,­ dans le Borkou (Nord), en 1942, secrétaire administratif avant l’indépendance, formé ensuite en France, où il a étudié le droit, Habré a été sous-préfet, avant de travailler au ministère des Affaires étrangères. Il commence sa mission par Alger, où il rencontre Abba Siddick, avant de gagner le Tibesti où Goukouni Weddeye, le fils du derdeï, contrôle la situation. Une fois sur le terrain, l’émissaire de Tombalbaye se rallie à la rébellion et se retrouve à la tête des Forces armées du Nord (FAN). C’est lui qui, en 1974, attire l’attention du monde entier sur son pays et la rébellion en kidnappant deux Français, l’ethnologue Françoise Claustre et le coopérant Marc Combe, en plus du médecin allemand Kristof Staewen. Paris et Bonn répondront à son exigence de rançon.

À Fort-Lamy, le pouvoir de Tombalbaye est plus que jamais répressif. Le président se lance, dès 1973, dans une nouvelle aventure : la politique de « retour à l’authenticité nationale » inspirée de son ami zaïrois Mobutu Sese Seko. Mais ce qui exaspère les Tchadiens, c’est surtout l’ordre donné à tout le monde de suivre un rite d’initiation appelé yondo et pratiqué par les Saras (ethnie du président) du sud du pays.

Finalement, le 13 avril 1975, l’armée prend le pouvoir. Le chef de l’État est tué. Le nouvel homme fort du pays est le général Félix Malloum. Mais il a un rival, le chef d’escadron Abdelkader Wadal Kamougué, le véritable initiateur du putsch.

État policier

C’est le début d’une période marquée par des tentatives de réconciliation nationale. Pour y parvenir, Malloum demande aux Français de plier bagage. Mais c’est compter sans les autres ingérences extérieures, notamment celle de la Libye, qui ne se contente pas de soutenir le Frolinat mais va jusqu’à occuper la bande d’Aozou, et celles du Soudan et du Nigeria. C’est aussi compter sans la soif de pouvoir qui conduit à une rivalité entre Weddeye, soutenu par Tripoli, et Habré, farouchement antilibyen. Exilé au Soudan après sa rupture avec Goukouni, Habré négocie avec le gouvernement et rentre à N’Djamena en août 1978 pour devenir Premier ministre. Alors que la guerre se poursuit dans le Nord, nécessitant une nouvelle intervention militaire française, le rapprochement Malloum-Habré tourne court au bout de six mois. L’armée régulière et les hommes de Habré se livrent une bataille sanglante dans la capitale. Les civils originaires du Sud payent un lourd tribut. Massacrés par les FAN, ils fuient N’Djamena. En même temps, dans le Sud, des musulmans sont également tués.

Ayant perdu le contrôle de la capitale, le colonel Kamougué, désormais représentant de ce qui reste de la classe politique du Sud, se replie dans cette partie du pays. Le Tchad est désormais coupé en deux. L’idée d’un fédéralisme sourd lentement. La fracture dure trois ans.

Pour sauver un État qui n’existe plus, les diverses médiations africaines conduisent à la formation du Gouvernement d’union nationale de transition, dirigé par Goukouni Weddeye. Habré est ministre de la Défense. Mais la rivalité prend le pas sur la cohésion. En mars 1980, Habré prend le contrôle d’une partie de la capitale, avant d’être délogé, neuf mois plus tard, par l’armée libyenne. Il revient en novembre 1981. Après sept mois de combats, il s’impose en juin 1982 et met en place un régime policier et répressif marqué par des arrestations, des disparitions et de multiples violations des droits de l’homme. En décembre 1990, il est renversé par son allié Idriss Déby Itno.

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S’il est le président tchadien à la plus longue longévité au pouvoir, (vingt ans) Idriss Déby Itno n’en a pas moins été confronté à différentes rébellions, soutenues notamment par Khartoum. Des rébellions menées souvent par ses amis d’hier ou des membres de sa famille, qui l’ont menacé jusque dans son palais en février 2008. Depuis quelques mois, le chef de l’État a normalisé ses relations avec le Soudan et entrepris des discussions avec les différentes factions rebelles. La découverte de pétrole en 2000 et son exploitation dès 2003 sont censées sortir le Tchad, territoire enclavé, de la misère. Mais cette manne a aussi aiguisé les appétits. Plus que jamais, le pouvoir attire et divise. Les multiples réconciliations auxquelles les Tchadiens ont habitué le monde cachent toujours des rebondissements inattendus.

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