Noureddine Cherouati, redresseur d’image
Connu pour son intégrité, le nouveau président-directeur général de Sonatrach aura fort à faire pour corriger l’image corrompue de l’entreprise laissée par son prédécesseur. Pour cela, il s’appuie sur une direction renouvellée et sur son expérience de près de quarante ans dans le secteur.
Quatre mois après la suspension et la mise en examen, le 13 janvier, de son PDG, Mohamed Meziane, pour malversations et violation de la réglementation en matière de passation de marché, Sonatrach a un nouveau patron. Chakib Khelil, ministre des Mines et de l’Énergie, a procédé, le 3 mai, à l’installation de Noureddine Cherouati, 63 ans, dans ses nouvelles fonctions, ainsi qu’à celle de quatre vice-présidents, l’enquête sur les présumées malversations ayant touché la quasi-totalité de la haute hiérarchie du groupe pétrolier national.
Aucune image n’a immortalisé l’événement, annoncé par jeuneafrique.com puis par un communiqué laconique de Sonatrach. Les médias ont ostensiblement ignoré la nouvelle, pourtant attendue par une opinion inquiète des menaces de déstabilisation de Sonatrach, « mamelle nourricière de la nation » assurant plus de 97 % des revenus en devises du pays et premier contribuable algérien avec plus de 60 % des recettes du Trésor public. Cette discrétion contraste avec l’enthousiasme qui a accueilli la nomination de Cherouati à Sonatrach. Du Paradou (quartier des hauteurs d’Alger qui abrite le siège du groupe) à Arzew (où se situe le joyau industriel de la pétrochimie algérienne, à 400 km à l’ouest d’Alger), en passant par Hassi Messaoud, où se concentrent les réserves de pétrole, cadres et ouvriers répétaient en chœur : « C’est un enfant de la maison ! »
Génération Boumediène
Président de l’Autorité de régulation des hydrocarbures (ARH, dispositif essentiel dans la réforme du secteur lancée en 2003 par Abdelaziz Bouteflika), Noureddine Cherouati est effectivement un « fils de Sonatrach », membre de la « génération nationalisation ». Il a intégré l’entreprise en 1971, année de la « récupération de la souveraineté économique », quand Houari Boumédiène décida de nationaliser l’ensemble de l’activité pétrolière, au détriment des multinationales, notamment françaises, comme Total et Elf.
Fraîchement diplômé de Polytech Alger, le natif de Fouka, village balnéaire dans la région de Tipaza, fait partie des premiers ingénieurs ayant participé à l’algérianisation de l’encadrement. Il fait ses premières armes dans l’activité aval, aussi bien dans la transformation que dans le transport. Il s’intéresse autant au raffinage qu’à la commercialisation. Polyvalent, Cherouati passe dix ans dans la « boîte », alternant longues périodes à la centrale et séjours sur les sites de production. En 1980, il est nommé directeur central au ministère de tutelle. Et c’est à contrecœur qu’il abandonne l’inconfort des « bases de vie » pour la routine administrative.
En 1991, la tornade islamiste secoue la République. Abdennour Keramane, autre polytechnicien de valeur, détient le portefeuille de l’Industrie et de la Promotion des investissements. Il fait appel à Cherouati pour en faire son chef de cabinet. En 1995, alors que l’État est au bord de la faillite (l’Algérie est alors sous le coup d’un sévère ajustement structurel) et que les Groupes islamiques armés (GIA) assiègent la capitale, Cherouati devient conseiller à la direction générale de Sonatrach. Un an plus tard, il devient PDG de Naftal, une filiale chargée de la distribution et de la commercialisation des produits pétroliers en Algérie.
« L’entreprise était au bord de l’asphyxie, se souvient Djilali, un de ses proches collaborateurs, aujourd’hui à la retraite. Non seulement il l’a redressée, mais en revoyant de fond en comble son organisation et en révisant le dispositif de maillage du territoire pour rendre efficiente la distribution du carburant, il a permis à Naftal de gagner à nouveau de l’argent tout en investissant plus dans la réalisation de nouvelles stations et aires de stockage. »
Image écornée
De nombreuses rumeurs circulent sur les relations entre le nouveau PDG et son ministre de tutelle. Certains vont jusqu’à présenter le choix de Noureddine Cherouati comme une défaite de Chakib Khelil. Rien n’est plus faux. Les deux hommes ont travaillé ensemble. Ils sont arrivés à Sonatrach à quelques mois d’intervalle, Khelil ayant « un droit d’aînesse ». Quand il devient ministre de l’Énergie, en 2000, il fait de Cherouati son secrétaire général. Deux ans plus tard, ce dernier quitte son poste. Trop vite présenté comme une disgrâce, ce départ équivaut en fait à une promotion puisque Cherouati est nommé dans la foulée par Khelil administrateur délégué de Mariconsult, un joint-venture entre Sonatrach et l’italien ENI, puis manager de Trans-Mediterranean Pipeline Company, avec tous les privilèges y afférents : statut de diplomate avec résidence à Rome, plus de 100 000 dollars annuels de revenus. On a vu pire comme disgrâce.
En 2005, Cherouati est rappelé par Abdelaziz Bouteflika pour présider la toute nouvelle Autorité de régulation des hydrocarbures. Après le scandale financier qui a décapité Sonatrach, le nom de Cherouati est sur la short list soumise au président de la République pour remplacer Meziane. Une short list sur laquelle figure aussi Wahid Bouabdallah, actuel patron d’Air Algérie, réputé proche du cercle présidentiel. Mais Bouteflika privilégie la solution interne. « Il fait partie de l’élite de Sonatrach, assure Abdellatif, un jeune comptable, et a l’avantage d’être connu pour son intégrité et sa compétence. Ce n’est pas rien après l’épreuve que nous venons de traverser. » L’épreuve ? Quatre mois d’incertitudes nées d’un limogeage qui a surpris les 17 000 cadres de Sonatrach.
Mais le groupe ne semble pas avoir été traumatisé par les malheurs de son ex-PDG. Entre le 13 janvier, date de la mise en examen de Meziane, et le 3 mai, jour de l’entrée en fonction de Cherouati, Sonatrach a engrangé plus de 18 milliards de dollars de recettes et a réglé l’équivalent de 6 milliards de dollars au Trésor public au titre de la fiscalité pétrolière. Mieux : il a réalisé, en effort propre, six découvertes d’hydrocarbures en Algérie et une en Libye, et a entamé ses premiers pas dans l’offshore, en partenariat avec le groupe norvégien StatOil. Mais Noureddine Cherouati aura du pain sur la planche, Sonatrach ayant pour objectif de développer ses activités à l’international et de porter à 30 % les réserves dont il dispose à l’étranger. Cela passe par l’amélioration de l’image du groupe, quelque peu écornée par les affaires de mauvaise gestion de l’administration sortante.
Un autre volet de la décision de Bouteflika est passé inaperçu : la désignation d’une nouvelle direction. Pour la première fois depuis la création de Sonatrach, en 1963, une femme est nommée vice-présidente. Chargée de la commercialisation, Yamina Hamdi est tout sauf une potiche. Elle hérite, entre autres, du délicat dossier de la renégociation des contrats à long terme de vente de gaz.
Le grand perdant dans le nouveau dispositif est sans conteste Abdelhafid Feghouli. Non seulement l’intérimaire de Mohamed Meziane n’a pas été confirmé, mais il a perdu son poste de vice-président de l’activité aval, confié à un autre ancien cadre de Sonatrach, Abdelkader Benchouia.
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