Thami Ghorfi : « Les étudiants formés en Afrique sont bons »
Sur tout le continent, de plus en plus d’écoles adoptent les standards internationaux de la formation de haut niveau. Le président de l’Esca décrit les défis qui se posent à l’enseignement supérieur en Afrique.
Emploi et formation : diplômes maison
Jeune Afrique : Comment expliquez-vous ce paradoxe africain. D’un côté le nombre de diplômés de haut niveau ne cesse de croître, et de l’autre les entreprises sont confrontées à une pénurie de managers ?
Thami Ghorfi : D’abord, il faut noter que les cadres managers ne se réduisent pas à des personnes bardées de diplômes de haut niveau. Ce sont surtout des gens qui, en plus de leur formation, disposent de qualités professionnelles leur permettant de diriger une entité dans une culture de rendement, d’efficacité et de maîtrise de coûts. En Afrique en général, il y a un problème de compatibilité entre les besoins des entreprises et la réalité des formations offertes. Pour dénouer cette problématique d’employabilité, il faut apporter des formations très adaptées en top et en middle management. Il faut éviter de partir du principe qu’une bonne formation est forcément celle qui est la plus longue. Il y a des besoins aujourd’hui de middle management, c’est-à-dire de gens très opérationnels et capables de faire fonctionner des processus et des équipes, mais avec des niveaux intermédiaires.
Cette incompatibilité entre les formations et les besoins des entreprises, est-ce aux institutions privées comme la vôtre de la corriger ?
Les institutions privées de haut niveau n’ont pas pour vocation de corriger les manquements de l’enseignement public. Cela dit, les écoles privées comme la nôtre sont fondamentalement orientées et sanctionnées, positivement ou négativement, tous les jours par le marché. Cela signifie que, du fait qu’elles sont financées par des étudiants et des entreprises, lorsqu’elles ne répondront plus à leurs attentes, elles disparaîtront. Contrairement aux institutions publiques, l’évaluation des institutions privées est immédiate. Si vous n’êtes pas bon une année dans une filière, vous le ressentez immédiatement. Parce que vos diplômés, qui ne seront pas absorbés par le marché de l’emploi, vous retomberont dessus. Nous avons donc obligation de sélectionner les bons étudiants dès le départ, de leur apporter la bonne formation par la qualité des enseignements et d’en faire des diplômés de haut niveau directement opérationnels. Cela suppose d’anticiper les besoins des entreprises, en prenant en compte les grandes tendances en leur sein, pour apporter dans le contenu des programmes les éléments qui répondent à ces tendances. Mais aussi d’innover de façon à ce que, sur les plans du comportement et de la capacité à gérer les situations les plus complexes, nos diplômés soient en mesure de faire face aux modifications qui surviennent parfois de façon brutale dans le monde des entreprises. Ils doivent acquérir une posture leur permettant de conduire ces changements plutôt que de les subir.
L’enseignement public a-t-il encore sa place en Afrique ?
Absolument ! Car il a une mission d’éducation de masse. Les institutions privées ne traitent pas des volumes importants d’étudiants. Elles se veulent des établissements d’élite.
Mais surtout réservées à ceux qui en ont les moyens ?
Ce qui nous intéresse, ce n’est pas d’avoir uniquement des gens qui ont les moyens financiers. C’est aussi d’avoir des étudiants qui ont un background et une ambition. Après, on trouve toujours des solutions pour le financement.
Les étudiants formés dans les écoles africaines de haut niveau peuvent-ils rivaliser avec ceux issus d’institutions occidentales ?
Aujourd’hui, nous avons en Afrique des institutions qui fonctionnent suivant les meilleurs standards internationaux en matière de pédagogie et qui n’ont franchement pas à rougir devant leurs homologues occidentales. Les entreprises qui recrutent les étudiants formés en Afrique vont plus vite parce que ceux-ci restent très accoutumés à leur environnement et sont capables de décrypter rapidement ses réalités. Si, en plus, ils ont eu la chance de vivre une expérience à l’international, ils n’en sortent que plus forts. La bataille ne se fait plus uniquement sur le background technique. Les jeunes managers qui arrivent sur le marché aujourd’hui sont appelés pendant leur carrière à devenir des machines à prendre des décisions. Avoir une connaissance pointue de l’environnement dans lequel évolue son entreprise (réglementation du pays, évolution des acheteurs) peut s’avérer très bénéfique.
Comment peut-on casser le monopole de qualité des écoles occidentales ?
La préoccupation d’institutions africaines comme la nôtre doit plutôt être de renforcer l’image de marque de ce que nous produisons. Nous travaillons pour que les entreprises se rendent compte que les gens qui sont formés en Afrique sont bons. Il y a une vraie tension sur le marché des cadres. Et les bons managers, d’où qu’ils viennent, les entreprises vous les prennent. Il n’y a pas de concurrence avec les diplômes occidentaux : les compagnies ont besoin des deux.
Des partenariats comme celui que noue votre institution avec l’École de management de Grenoble, et bien d’autres en Asie et en Amérique, sont-ils indispensables pour donner plus de valeur aux formations offertes en Afrique ?
Quand on veut s’attaquer à un marché de l’emploi plus important, comme celui des multinationales, on a besoin d’être fort. Pour cela, il y a deux possibilités : soit on crée une structure commune avec les grands groupes internationaux, soit on établit des alliances et des partenariats avec ces groupes tout en conservant son identité. Cela permet d’aller plus vite et de répondre plus facilement aux besoins des grandes entreprises. Des rapprochements entre institutions africaines ne doivent pas non plus être négligés. Il suffit de regarder les entreprises marocaines qui se développent en Afrique subsaharienne. Elles ont l’habitude de recruter des diplômés de certains centres de formation marocains dont elles connaissent bien la qualité des enseignements. Des partenariats entre ces écoles marocaines et celles des pays où ces entreprises se développent facilitent leurs recrutements.
> En tête du classement de Jeune Afrique des meilleures écoles de commerce du Maghreb en 2009, l’Esca délivre à ses étudiants des masters en double diplôme grâce à des partenariats avec des établissements d’enseignement supérieur européens, américains et asiatiques. Au total, l’Esca compte 200 étudiants d’une douzaine de nationalités.
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