Oran, la Mecque du raï et du gaz
Elle a une réputation de cité joyeuse, vibrante, insolente, fêtarde et sans tabous. Mais la deuxième ville du pays change, se modernise. Au risque de perdre son âme ?
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En ce début de printemps, Oran El Bahia (« la radieuse ») est devenue, le temps d’un rendez-vous mondial, l’autre capitale du pays. Pendant trois jours, du 19 au 21 avril (retardée d’une journée à la suite des perturbations dans les transports aériens, nuage islandais de cendres volcaniques oblige), la métropole de l’Ouest algérien a accueilli la 16e conférence internationale sur le gaz (LNG 16), qui a rassemblé plus de 3 000 participants, 200 sociétés pétrolières, ainsi qu’une centaine de journalistes venus du monde entier. Les organisateurs de ce grand raout énergétique ont vu grand et, pour assurer la réussite de l’événement, les autorités locales n’ont pas lésiné sur les moyens.
Chantier fastueux
La deuxième ville d’Algérie s’est dotée d’un centre de convention ultramoderne pour accueillir ses invités. Une réplique presque identique au centre érigé à Barcelone lors de la précédente conférence. Un auditoire de 3 000 places, deux salles de session de 500 sièges chacune, une salle d’exposition de 20 000 m2… C’est l’un des chantiers les plus fastueux qu’on ait lancés au cours de la dernière décennie en Algérie. On a également aménagé de nouvelles routes, goudronné les anciennes, repeint les vieux immeubles qui longent le front de mer et réhabilité le port. Pour le confort des milliers de participants, la capacité d’accueil des hôtels étant saturée, on a fait bâtir un cinq-étoiles (qui portera le label Le Méridien), et le comité d’organisation a même loué deux bateaux auprès de la compagnie de croisière espagnole Ibero Cruises.
Bref, Oran s’est refait une beauté pour un coût qui dépasserait les 800 millions de dollars, ce qui n’a pas manqué de susciter une vive controverse, la presse nationale dénonçant « une frénésie de dépenses », entourée de présumées malversations.
Dans la ville, les avis sont contrastés quant à l’opportunité de débourser autant pour une conférence de trois jours. « Ces millions auraient pu être consacrés à construire des logements, réhabiliter les anciens quartiers qui périclitent ou améliorer le cadre de vie des gens, s’offusque Moussa Mediene, un ancien journaliste qui gère la galerie d’art et de livres Espace Lotus. C’est une opération de prestige qui ne profitera pas aux Oranais. » Patron d’un hôtel situé au centre-ville, Saïd est, lui, plutôt enthousiaste. « C’est une bonne affaire pour tout le monde. La ville a bénéficié de nouvelles infrastructures, les hôtels sont complets, divers quartiers ont été réaménagés, et je suis convaincu que les touristes seront plus nombreux à visiter la région. »
Des cabarets résistants
Située à 450 km à l’ouest d’Alger, la deuxième ville la plus peuplée du pays (700 000 habitants, 1,2 million dans l’agglomération) a de tout temps bénéficié d’un statut particulier, pas administrativement parlant mais dans le cœur des Algériens, pour sa réputation de ville où il fait bon vivre. Les Algériens et les étrangers disent qu’elle est joyeuse, vibrante, insolente, fêtarde, permissive et sans tabous. Les Oranais, eux, apprécient modérément cette image de ville bambocheuse. « Oran a perdu son charme, constate Moussa Mediene. Il y a vingt ans, on pouvait y voir des pièces de théâtre, aller au cinéma, faire la fête dans un cabaret en écoutant du raï et en éclusant des bières. Aujourd’hui, cette belle époque est révolue. Le retour du rigorisme religieux, l’insécurité et les violences sociales ont eu raison d’Oran la cabocharde. Désormais, il est même recommandé de ne pas sortir dans les rues après la nuit tombée. »
Certes, les Oranais n’ont plus le goût à la fête. D’accord, sa vie artistique et culturelle affiche un encéphalogramme presque plat. Pourtant, Oran continue d’attirer des centaines de milliers de visiteurs, en particulier pendant la période estivale, et les nombreux cabarets de la Corniche, bondés toutes les nuits, en témoignent.
Quartier Gambetta, fief du chanteur de raï Cheb Hasni, idole d’Oran et d’ailleurs. À un angle de la rue, une plaque en marbre est là pour commémorer sa disparition : le 29 septembre 1994, Cheb Hasni, de son vrai nom Hasni Chakroun, est assassiné par des terroristes à deux pas de sa maison familiale. Depuis, dans ce quartier populaire, on perpétue son souvenir, comme dans ce café qui porte son nom, tenu par un ami du chanteur disparu. À l’intérieur, des dizaines de photos de la star accrochées aux murs. « Ce n’est pas un lieu de culte, ni un temple à la gloire de Hasni, souligne le patron, mais plutôt un endroit où l’on cultive le souvenir de celui qui incarne encore le raï populaire. » L’âme d’Oran serait-elle véritablement la même sans le raï ?
Carrure d’un videur de boîte de nuit, Nasreddine Touil, alias Nasro, président de l’Association de promotion et d’insertion de la chanson oranaise (Apico), est l’une des figures représentatives de la scène artistique locale. Ami de longue date de toutes les vedettes du raï, Nasro se bat aujourd’hui pour que sa ville demeure la capitale de cette musique populaire, qui a mûri dans les cabarets de l’Ouest algérien avant de conquérir le monde. Depuis que les autorités ont décidé de transférer l’organisation du Festival national du raï d’Oran vers Sidi Bel-Abbès, Nasro ne décolère pas. « Délocaliser ce festival est une hérésie, fulmine-t-il. C’est comme si on décidait d’organiser le Festival de Cannes à Perpignan ! Si le raï est né à Sidi Bel-Abbès, Oran demeure sa Mecque. C’est ici que Khaled, Mami, Fadela, Sahraoui, Hasni et toutes les autres stars ont connu la gloire. » Pour perpétuer la tradition, Nasro veut ouvrir un café-théâtre, juste en face de la place d’Armes, pour offrir aux artistes un lieu convivial où se produire.
Casbah amère
Si la nouvelle ville, celle qui a bénéficié des projets de développement initiés à grands frais depuis le début des années 2000, se transforme à une vitesse vertigineuse, il n’en est pas de même pour les quartiers historiques d’Oran. Progressivement, des pans entiers du patrimoine hérité des présences espagnole, ottomane et française tombent en ruine ou disparaissent, faute d’entretien.
Kouider Metair, 55 ans, élu indépendant à l’Assemblée populaire communale (le conseil municipal) d’Oran, président de l’association Bel Horizon, s’arrache les cheveux : « Au lieu de restaurer les sites historiques et les vieux quartiers qui font le charme de la ville, on préfère les laisser s’écrouler ou carrément les raser au bulldozer. Si nous ne faisons rien, nous perdrons cet héritage historique inestimable, comme nous avons déjà perdu la cité originelle, la Casbah, surnommée Castillo Viejo, ainsi que les grottes préhistoriques, en raison de l’extension des carrières d’agrégats. » Avec un groupe d’amis, Kouider a créé Bel Horizon pour lever des fonds et tenter de sauver ce patrimoine millénaire, mais aussi pour le faire découvrir aux Algériens et aux touristes. Avec le concours de 50 guides formés par l’association, en partenariat avec des organismes européens, Bel Horizon propose des excursions à travers les lieux qui ont fait la renommée d’Oran. « Le 1er mai, nous attendons 5 000 personnes pour une randonnée qui s’achèvera devant le fort de Santa-Cruz, construit par les Espagnols au XVIe siècle. » Un site idéal pour prendre de la hauteur et dominer la ville et sa baie.
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