Virage à gauche
Réélu pour un troisième mandat il y a tout juste un an, le président Abdelaziz Bouteflika poursuit sa politique d’investissements publics, soutenue par une large majorité de la classe politique. Mais, sur le front économique et social, les tensions se font jour.
Algérie : Bouteflika III, acte I
Abdelaziz Bouteflika n’a pas démarré son troisième mandat sous les meilleurs auspices. C’est le moins que l’on puisse dire. Il n’a pu fêter sa brillante victoire à la présidentielle (plus de 90 % des suffrages exprimés) en avril 2009, contraint à un déplacement à Genève pour rencontrer l’équipe médicale d’une clinique où avait été admis en urgence son frère et médecin personnel, Mustapha. Trois mois plus tard, le 5 juillet, il enterre sa mère, Mansouriah Ghezlaoui, au cimetière de Ben Aknoun, loin des caméras et des objectifs des paparazzis.
À ces épreuves personnelles s’ajoutait une conjoncture économique catastrophique : crise financière internationale et effondrement des cours du brut, la principale source de revenus du pays. Sans oublier l’enchaînement de « crises diplomatiques » avec l’Égypte, la France ou le Mali (voir p. 92).
Le front intérieur n’est pas plus brillant : une inquiétante mutation de la revendication sociale en succession d’émeutes et de jacqueries n’épargnant aucune région du pays, un paysage politique morose, des institutions et une administration ankylosées par les lourdeurs bureaucratiques, une fonction publique en perpétuelle fronde et un terrorisme islamiste certes fortement réduit, mais constituant toujours une menace pour la stabilité du pays et entravant les efforts de développement.
Acquis et inquiétudes
Un tableau bien noir, donc, d’autant plus que l’Algérie sortait d’une décennie – les deux quinquennats d’Abdelaziz Bouteflika – marquée par de nombreuses performances. Qu’on en juge : le produit intérieur brut (PIB) par habitant a été multiplié par trois, passant de 1 380 dollars par an en 1999 à 4 300 dollars en 2009. Sur la même période, le taux de chômage est tombé de 33 % à 10,2 % de la population active, la dette extérieure est passée de 33 milliards de dollars à moins de 600 millions. Quant aux réserves de change, elles ont atteint la somme astronomique de 149 milliards de dollars au 31 décembre 2009
En termes d’investissements publics, les chiffres donnent également le tournis. Le volume des dépenses publiques au cours de la décennie 1999-2009 est évalué à 300 milliards de dollars. On a beau dire que comparaison n’est pas raison, cet effort d’investissement représente néanmoins le triple du montant affecté au plan Marshall (15 milliards de dollars en 1948, soit 100 milliards de dollars actuels). À cette nuance près que le plan Marshall, destiné à la reconstruction de seize pays européens après la Seconde Guerre mondiale, s’étalait sur quatre ans, alors que le investissements engagés par Abdelaziz Bouteflika ne concernent qu’un seul pays, sur une période de dix ans.
« Vous comprenez pourquoi ni les épreuves personnelles ni les contingences internationales, et encore moins les difficultés internes, n’entameront la détermination du chef de l’État, explique un proche collaborateur du président algérien. Quant aux tensions avec certaines capitales, elles sont gérées avec calme, sang-froid et sérénité. »
Candidat à sa réélection, en avril 2009, Abdelaziz Bouteflika avait promis à ses concitoyens de maintenir le rythme des investissements publics, c’est-à-dire 30 milliards de dollars par an, sur la période 2010-2014. À l’occasion du 54e anniversaire de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le 24 février 2010, le président Bouteflika annonce un programme d’investissements de 141 milliards de dollars, dont quatre secteurs se partagent à eux seuls la moitié : l’habitat et l’urbanisme (1 million de logements et une dizaine de nouvelles villes), les ressources hydriques (une vingtaine de barrages à réaliser), les travaux publics et les transports.
Si les montants alloués à l’investissement public ne varient que très peu d’un mandat à l’autre – 150 milliards de dollars en moyenne –, le troisième quinquennat du président Abdelaziz Bouteflika se singularise par un net virage à gauche.
Patriotisme économique
En juillet 2009, trois mois après sa réélection, il donne instruction au gouvernement d’Ahmed Ouyahia d’introduire une loi de finances complémentaire (LFC) durcissant les conditions de transfert de devises, afin de freiner la fuite des capitaux (une hémorragie de plusieurs dizaines de milliards de dollars par an), et réglementant les opérations de financement des importations pour lutter contre les rentiers de l’économie informelle (voir p. 94). Le patriotisme économique est consacré et la préférence nationale érigée en principe cardinal dans l’attribution des grands marchés
Sur le plan politique, Abdelaziz Bouteflika jouit de l’appui des trois plus grands partis – Front de libération nationale (FLN), Rassemblement national démocratique (RND) et Mouvement de la société pour la paix (MSP) –, regroupés au sein d’une alliance qui lui procure une confortable majorité au sein des deux chambres du Parlement. Les islamistes, hier sérieuse menace pour la République, ont été neutralisés. Les uns au sein de l’Alliance présidentielle (les Frères musulmans du MSP) et les autres confinés dans des groupes parlementaires minoritaires (El-Islah, En-Nahda et quelques élus indépendants).
L’opposante la plus véhémente, la trotskiste Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), a mis de l’eau dans son vin en applaudissant à tout rompre aux mesures introduites par la LFC de juillet 2009. Quant au Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) de Saïd Sadi, sa vingtaine de députés – sur 389 – ne semble guère peser lourd dans les débats. À titre d’illustration, ses demandes incessantes pour la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur les scandales financiers (voir encadré) sont restées jusqu’à présent lettre morte.
Grogne dans tous les secteurs
S’il maîtrise le champ politique, Abdelaziz Bouteflika semble avoir moins de succès sur le front social. Ce n’est pas faute de prendre des mesures en matière de consolidation du pouvoir d’achat. Comme la revalorisation de 80 % du salaire national minimum garanti (SNMG, équivalent du smic français), qui est passé de 12 000 dinars (120 euros), à 15 000 dinars depuis janvier dernier.
Pourtant, alors même que le chef de l’État avait amené les partenaires sociaux (gouvernement, patronat et syndicats) à parapher, en septembre 2006, un Pacte national économique et social engageant les signataires à privilégier la concertation et le dialogue en cas de conflit et introduisant le principe d’une trêve sociale reconductible, dans les faits, il n’y eut point de répit. Les grèves se sont multipliées, menaçant l’année scolaire, paralysant les hôpitaux et autres secteurs de la fonction publique (voir p. 91). Et si, au cours de ses précédents mandats, Bouteflika a fait preuve de compréhension – « La multiplication des émeutes ? un signe de vitalité de la jeunesse », disait-il –, il en va autrement depuis quelques mois. Des retenues sur salaire aux menaces de licenciement : les grévistes irréductibles risquent désormais plus qu’un froncement de sourcils.
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