Tempête dans une tasse de thé

Les ultraconservateurs du mouvement des Tea Parties invoquent les Pères fondateurs et se déguisent en Benjamin Franklin pour dénoncer le « socialisme » supposé de Barack Obama. Folklore ? Pas seulement.

Sarah Palin, égérie des Tea Parties, à la convention nationale du mouvement à Nashville. © Reuters

Sarah Palin, égérie des Tea Parties, à la convention nationale du mouvement à Nashville. © Reuters

Publié le 5 mai 2010 Lecture : 5 minutes.

Colistière malheureuse de John McCain lors de la présidentielle de 2008, la pimpante Sarah Palin a été, au lendemain de la débâcle, vouée aux gémonies par ses propres partisans, qui ne voyaient plus en elle qu’une « tête de linotte ». Aujourd’hui, grâce à son indéniable talent médiatique et à sa capacité à incarner les aspirations comme les frustrations des Américains, elle revit. Ses Mémoires, Going Rogue. An American Life (« Virer rebelle. Une vie américaine »), écrits en collaboration avec la journaliste Lynn Vincent, se sont vendus à plus de deux millions d’exemplaires, sa page Facebook compte 1,5 million d’« amis », et son réseau social Twitter plus de 400 000 fans. Surtout, elle surfe allègrement sur la vague des Tea Parties, qui en ont fait l’une de leurs égéries.

Cette nébuleuse ultraconservatrice aux contours mal définis devrait jouer un rôle majeur lors des élections de la mi-mandat, en novembre, à l’issue desquelles seront renouvelés un tiers des sièges au Sénat et la totalité des sièges à la Chambre des représentants. Les républicains comptent sur Palin pour séduire cette frange très contestataire et très extrémiste de l’électorat, qui ne croit plus dans la classe politique traditionnelle. Le 15 avril, les membres des Tea Parties ont achevé une campagne de trois semaines de virulentes manifestations dans tout le pays, au cours desquelles ils n’ont cessé de vilipender Barack Obama et son « big government », accusés de mener le pays à la banqueroute par une fiscalité et des dépenses sociales excessives. Certains n’hésitent pas à comparer le chef de l’exécutif à Mao, Hitler et Staline ! De meeting en meeting, l’ancien gouverneur de l’Alaska, tailleur rouge et voix nasillarde, a fait assaut de populisme : « Alors, ces beaux changements, ces beaux espoirs, qu’est-ce que ça donne pour vous ? » Succès garanti.

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De blog en blog

La naissance des Tea Parties remonte à février 2009, au début de la crise financière, quand les démocrates ont fait adopter par le Congrès un plan de renflouement des banques et de relance de la consommation. Un « cadeau » de 800 milliards de dollars offert par l’administration Obama aux frais des contribuables. Pour nombre d’Américains ordinaires, la pilule est dure à avaler. En venant au secours des « losers », l’État rompt avec le principe de la responsabilité individuelle et récompense les mauvais comportements à Wall Street. Il se mêle aussi de la gestion d’entreprises privées en creusant le déficit.

« De blog en blog et de chaîne câblée en radio locale, l’univers des médias conservateurs s’est mis à bruisser de critiques très appuyées, rappelle l’américanologue Anne-Lorraine Bujon de l’Estang. De nombreuses petites organisations militantes ont alors pris le relais et, le 15 avril 2009, jour où les Américains rendent leurs déclarations de revenus, 750 manifestations ont eu lieu à travers le pays. »

Par la suite, le débat sur la réforme du système de santé a renforcé la mobilisation, notamment dans les bastions ultraconservateurs du Sud, comme les deux Carolines ou le Texas. S’inspirant des méthodes des organisations pro-Obama pendant la dernière campagne présidentielle, ces mouvements utilisent largement les réseaux sociaux Facebook et Twitter, ainsi que les vidéos sur internet. Mais les manifestations qu’ils organisent ont un caractère délibérément folklorique : leurs partisans se déguisent en Thomas Paine ou en Benjamin Franklin pour protester contre l’abandon des idéaux des Pères fondateurs par l’administration Obama.

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Pourtant, les Tea Parties sont idéologiquement assez hétérogènes. On retrouve dans leurs rangs, outre des indépendants et quelques démocrates, plusieurs sensibilités traditionnelles du Parti républicain : partisans du big business, nationalistes plus ou moins militaristes, libertaires, chrétiens fondamentalistes hostiles à l’avortement… Mais tous ont un ennemi commun : la « socialisation » de la société, les hausses d’impôt et l’intervention de l’État. Leurs slogans : « Obama’s Plan. White Slavery », dont le caractère raciste n’échappera à personne, « Government is a problem, not a solution », l’antienne de feu Ronald Reagan, ou encore le très paranoïaque « No socialism, keep America free ».

La trahison des « Rino »

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Selon un récent sondage Gallup (27-28 mars), 28 % des personnes en âge de voter soutiennent ces mouvements de protestation. De quoi inquiéter les états-majors des partis traditionnels à six mois des élections et à l’aube de primaires indécises. Environ 49 % des membres des Tea Parties se déclarent républicains (43 % indépendants et 8 % démocrates), mais beaucoup se montrent déçus par les « Rino », ces Republican In Name Only qui ont trahi leurs idéaux depuis qu’ils siègent au Congrès. Apparemment, la chasse au « Rino » est d’ores et déjà ouverte…

Militante conservatrice et activiste de longue date, Christina Jeffrey souhaite par exemple déboulonner lors des primaires de juin le républicain Bob Inglis, de Caroline du Sud, trop modéré à son goût. « Les Tea Parties vont déplacer le débat vers la droite, estime Stu Haugen, ancien représentant en France du Parti républicain. Or une élection se gagne presque toujours au centre. » Mais ce n’est pas toujours le cas. Au mois de février, le jeune républicain Scott Brown a récupéré le siège de sénateur du Massachusetts, vacant après la mort de Ted Kennedy, en s’appuyant sur l’activisme des Tea Parties et en réussissant ainsi à rallier les mécontents. Il n’est d’autre part pas exclu que des candidats indépendants viennent se mêler à la lutte finale dans le cadre de triangulaires.

Quels peuvent être les effets à long terme de ces campagnes dans l’opinion ? « Le Tea Party est une bonne chose s’il nous force à justifier chaque dollar que nous récoltons en impôts et chaque dollar que nous dépensons », a estimé Bill Clinton, le 16 avril, lors d’un discours devant le Center for American Progress, un think-tank progressiste de Washington. « Mais quand vous êtes en colère, vous aboutissez parfois à des résultats qui sont aux antipodes de ceux que vous prétendiez rechercher. » L’ancien président reproche notamment à l’une des héroïnes du mouvement, la représentante républicaine du Minnesota Michele Bachmann, d’accoler systématiquement le mot « gangster » au mot « gouvernement » et de rappeler un peu trop souvent le terrible attentat d’Oklahoma City. On se souvient peut-être qu’en avril 1995 un militant d’extrême droite fit exploser un camion bourré d’explosifs devant le siège du gouvernement fédéral, faisant 168 morts…

Résolus à conserver coûte que coûte la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants à l’issue des primaires, Obama et les stratèges démocrates réfléchissent actuellement aux moyens de détourner et de s’approprier certains thèmes mis en avant par les Tea Parties. Dans son discours sur l’état de l’Union, en janvier, le président ne s’est pas adressé directement à eux, mais a plaisanté sur son plan de sauvetage des banques, « aussi populaire, a-t-il dit, qu’une visite chez le dentiste ». Selon Anne-Lorraine Bujon de l’Estang, il fait depuis peu davantage référence à la Constitution et à l’histoire des États-Unis et, par ailleurs, annonce vouloir faire de l’emploi « une priorité nationale », ce qui l’amène à prendre fait et cause pour ces « petits entrepreneurs qui sont le moteur de la croissance américaine ». À ceux qui doutent de sa détermination à aller jusqu’au bout, il répond par cette formule aux accents patriotiques : « America does not quit. I do no quit. » Traduction : « L’Amérique n’abandonne pas. Je n’abandonne pas. »

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