Karim Natouri
Né de parents algériens, mais profondément marseillais, cet ancien journaliste spécialisé dans l’assurance est devenu le directeur de la communication d’Aviva.
« L’assurance, c’est rigolo. » Les réactions sceptiques, Karim Natouri en a l’habitude. Il en faudrait plus pour le décourager : « C’est un secteur absolument passionnant ! C’est parfois technique mais, sans assurance, il n’y a rien ! Aucun médecin, aucun chirurgien ne pourrait plus exercer… Les assurances sont l’huile de l’économie mondiale. » Ancien journaliste spécialisé, nommé en septembre 2009 à la direction de la communication du groupe Aviva, Karim Natouri est dans son élément. Il s’anime en parlant de responsabilité civile et de solvabilité. II s’émerveille de la complexité des normes IFRS et laisse échapper un sourire rêveur en mentionnant les dizaines de milliards d’euros brassés à l’échelle mondiale.
Rien ne le prédestinait pourtant au monde de l’assurance. Sa famille est originaire de Béjaïa, en Petite Kabylie (Algérie), mais lui naît à Marseille, en janvier 1963. Les premières années s’écoulent, paisibles, dans le quartier du Panier puis dans une barre HLM de la cité des Rosiers. Du père, ouvrier dans le bâtiment, arrivé en France à la fin des années 1950, il apprend le goût de l’effort : « Travaille, mon fils, pour ne pas être ouvrier comme ton père. » À la maison, on parle dignité, respect, solidarité et générosité… « Pour des Algériens, tout cela faisait très IIIe République. »
La famille passe parfois ses vacances au bled (« C’était merveilleux, monumental. On était des rois ! ») et emménage bientôt dans une autre cité, celle de la Castellane. L’immeuble est neuf, avec tout le confort moderne : « Pour mes parents, c’était important de montrer qu’on progressait. » Les voisins s’appellent Zidane, mais Zinédine n’est encore qu’un enfant, « trop petit pour que l’on joue avec lui ». Karim lit tout ce qui lui tombe sous la main, contient difficilement sa colère quand les insultes se font racistes en cour de récréation et se heurte à l’hostilité des enseignants, des rapatriés d’Algérie pour la plupart. Volontiers arrogant, Karim redouble une classe, puis deux, puis trois, mais refuse de s’inscrire en BEP mécanique auto comme on le lui suggère alors avec beaucoup d’insistance.
Il a à peine 17 ans quand il apprend, par le hasard d’un recensement, qu’il n’est pas algérien, comme il l’a toujours cru, mais français. Lui dont les parents avaient fait le choix d’être algériens après les accords d’Évian (« un choix politique »), lui dont le frère aîné est né algérien, en 1961, lui à qui la France renvoyait constamment sa différence découvre finalement qu’il n’est pas différent des autres. « Et en même temps, dit-il, je n’étais pas différent de mon frère aîné non plus. Rien ne justifiait que l’on m’appelle autrement. » Cette crise identitaire, c’est en courant dans les rues de Marseille qu’il la résout. Ses footings le mènent aux quatre coins de la ville : peu importe le drapeau. Peu importe qu’il ne parle ni arabe ni kabyle et qu’il n’ait même jamais osé s’y essayer, de peur de faire sourire. Peu importe qu’il soit trop typé pour passer pour un Auvergnat. Karim est marseillais.
À 20 ans, il décroche un baccalauréat scientifique avant d’intégrer l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. Depuis la mort de son grand-père, là-bas à Béjaïa, les voyages en Kabylie sont plus rares, et Karim n’envisage pas un instant de faire les deux années de service militaire que lui réclame l’Algérie, qui le considère toujours comme un des siens.
Sciences-Po, Karim adore : « C’était la libération. J’arrivais dans un monde où la valeur première, c’était la culture, où tout ce qui comptait, c’était de comprendre le monde. » Il y côtoie Bruno Étienne, politologue et inspirateur du Conseil français du culte musulman, et y apprend la rigueur en même temps qu’il « découvre une incroyable ouverture d’esprit ». À sa sortie, il est approché par un parti politique qui lui propose de se présenter aux élections municipales. « Pour quoi faire ? demande-t-il. — Pour s’occuper des immigrés. » Karim refuse et enchaîne avec un DESS de droit et de gestion du transport aérien. Rien à voir avec les assurances.
En un an, il envoie près de 400 lettres de candidature, sans succès : « Un chasseur de têtes, que je connaissais bien, a fini par me demander si je n’avais pas un deuxième prénom, moins typé. C’était hors de question. » À bien y réfléchir, « C’est peut-être plus facile de s’appeler Karim Natouri à Marseille qu’à Paris. À Marseille, des Karim Natouri, il y en a plein. Mais, à la fin des années 1980, on ne leur donnait pas de travail. »
Parce qu’il a « un ami qui “pige” beaucoup et peut se permettre de partager », Karim écrit quelques articles pour Stratégies, Aviation Magazine puis pour Le Journal de l’Assurance, La Tribune de l’Assurance et L’Agefi. Le sujet est parfois ardu, mais « quand on est un bon journaliste et qu’on ne sait pas, on trouve des gens qui savent ». Parmi eux, sa femme, une « experte-comptable italo-auvergno-parisienne », rencontrée sur les bancs de Sciences-Po et qui l’initiera, quelques années plus tard, aux joies des fameuses normes IFRS.
Vingt années passent. Karim est journaliste pigiste, incollable sur les polices d’assurances et les assurances vie, lorsqu’il est remarqué par le président d’Aviva France. Entre les deux hommes, le courant passe immédiatement. Jean-Pierre Menanteau se dit tout de suite séduit par l’intelligence du journaliste et « sa connaissance exceptionnelle des enjeux stratégiques du secteur ». Il sait aussi que les compagnies d’assurances doivent apprendre à mieux communiquer.
Karim a maintenant deux enfants. Il n’hésite pas longtemps avant d’accepter l’offre qui lui est faite. Lui qui avait travaillé seul toutes ces années, « avec [son] bureau à trois secondes de son lit », devient le directeur de la communication d’un groupe qui compte 4 500 employés. Sa mission ? Communiquer, bien sûr, mais aussi changer l’image des assurances. « Notre secteur est en train de changer. Pendant longtemps, on a usé de tous les recours possibles pour dissuader les gens d’aller en justice, même si on savait qu’on allait perdre. Aujourd’hui, on apprend aux étudiants que le sens de leur métier, c’est de payer des sinistres. Ce n’est que si on comprend cela qu’on peut voir sa prospérité augmenter. »
Marseille, Karim Natouri y retourne encore, parce qu’il s’y sent chez lui et que ses parents y habitent. Algérien par l’histoire, français par l’éducation, il revendique son attachement aux valeurs républicaines et n’envisage pas d’aller s’installer en Algérie : « La coupure est faite. Le retour, ça a été un mythe, une tromperie. Nos parents en ont rêvé, mais très peu ont fini pas repartir. En 1962, mon père et ma mère ont choisi d’être algériens. Ce qui a fait de mes parents des Français, ce sont leurs enfants. Ma génération est la preuve que l’identité ne se construit pas sur un débat mais sur du temps. »
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