Que les grosses fortunes lèvent le doigt !

En recoupant les classements 2010 des magazines « Forbes » et « Arabian Business », on obtient un total de 60 milliardaires arabes, essentiellement au Moyen-Orient. Mais la liste est loin d’être exhaustive…

L’homme d’affaires saoudien Al-Walid Ibn Talal. © Ahmad Masood/Reuters

L’homme d’affaires saoudien Al-Walid Ibn Talal. © Ahmad Masood/Reuters

Publié le 10 mai 2010 Lecture : 6 minutes.

Être milliardaire – et le faire savoir – ne choque plus personne dans les pays du Golfe, où la compétition est plus qu’un mode de vie : un code de ­conduite. On se bat pour être premier, quitte à éliminer son rival. Au Maghreb, en revanche, c’est la discrétion qui prévaut : on affiche certes son standing – villa, piscine, yacht, voitures de sport, voire jet privé –, mais on ne dévoile jamais le montant de sa fortune, peur du fisc ou de l’argent mal acquis ­oblige. Aussi ne trouve-t-on pratiquement jamais de Maghrébins dans les palmarès de milliardaires arabes, ce qui bien sûr ne signifie pas qu’il n’y en a pas.

Aux États-Unis, le magazine Forbes publie depuis vingt-quatre ans son classement annuel des milliardaires dans le monde. Le palmarès 2010, paru le 10 mars, couvre cinquante-six pays, passés au crible par une équipe de quarante journalistes. Cette année, il a recensé 22 milliardaires arabes – 9 Saoudiens, 4 Égyptiens, 4 Émiratis, 4 Libanais et 1 Koweïtien – totalisant 100 milliards de dollars (2,8 % du total mondial).

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Voir le Top 50 des milliardaires arabes ci-dessous

220 milliards de dollars

S’inspirant du magazine new-­yorkais, le groupe Arabian Business, basé à Dubaï, établit depuis cinq ans une « liste arabe » de milliardaires. Encore balbutiante, elle ne porte que sur dix pays (sur vingt-deux), mais elle a le mérite d’exister. Élaborée par une ­équipe de treize journalistes, la dernière en date, parue le 19 décembre 2009, dénombre 48 milliardaires pour une fortune globale de 200 milliards de dollars, dont plus de la moitié (105 milliards) pour les 23 milliardaires saoudiens.

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En recoupant la liste de Forbes – qui ne classe ni les familles honnies (comme les Ben Laden) ni les riches Irakiens – avec celle d’Arabian Business, nous obtenons un classement plus complet de 60 milliardaires arabes, totalisant une fortune de 220 milliards de dollars, l’équivalent du PIB du Maroc et de celui de l’Algérie réunis, six fois celui de la Tunisie ou encore soixante-dix fois celui de la Mauritanie. Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg, le classement n’étant pas exhaustif.

Les enquêteurs des deux magazines insistent sur le fait que la fortune recensée – biens immobiliers, porte­feuilles d’actions, avoirs en cash, bijoux et autres objets de valeur – ne tient compte que de ce qui est déclaré ou reconnu par les intéressés. En outre, le palmarès se cantonne aux hommes d’affaires et exclut les personnalités politiques – rois, émirs, présidents, ministres… –, à l’exception d’un seul, le prince saoudien Al-Walid Ibn Talal. Membre de la famille royale, qui compte près de deux mille princes, Al-Walid, 55 ans, a accepté de dévoiler – avec pièces comptables – tous ses biens aux journalistes d’Arabian Business. Il l’a fait d’autant plus volontiers qu’il ne craint pas les médias, dont il est même l’une des coqueluches, ­Forbes et d’autres magazines anglo-saxons lui consacrant régulièrement leur une depuis plusieurs années.

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Cet homme d’affaires avisé n’est pas parti de rien. En 1980, en guise de cadeau de fin d’études, son père lui offre 1 million de dollars. Il a alors 25 ans. Le boom de l’immobilier battant son plein en Arabie saoudite, Al-Walid a l’intelligence d’y investir son pactole au lieu de le dilapider dans des dépenses somptuaires à l’instar des autres princes. Il fonde Kingdom Holding et, en dix ans, parvient à multiplier sa mise par mille. Il faut dire que le petit-fils du fondateur du royaume, Abdelaziz Al Saoud, et neveu du roi Fahd a vu toutes les portes s’ouvrir devant lui, raflant haut la main nombre de contrats dans les travaux publics.

En 1990, il enregistre son premier milliard. À son zénith, à la fin de 2005, il affiche une fortune de 24 milliards de dollars. Mais en cinq ans, la crise boursière en Arabie saoudite (2006) et dans le monde (2008) déleste son portefeuille d’actions d’environ 5 milliards. Son nouveau projet, Kingdom Tower, à Djeddah, annoncé comme le gratte-ciel le plus haut du monde – il culminera à 1 600 mètres – et dont les appels d’offres sont en cours, coûtera 13,6 milliards de dollars, hors aménagements extérieurs. Quant au Kingdom Oasis, un parc résidentiel et d’attractions, il est en cours d’achèvement. Le prince est propriétaire, entre autres, de la chaîne Rotana, d’une série d’hôtels de luxe, comme le George-V à Paris, et actionnaire de grandes banques américaines, comme Citigroup. Il réside au Kingdom Resort (un domaine de 500 000 m2, dans le quartier diplomatique de Riyad). Parmi ses biens : un véritable palace volant (le premier Airbus 380 privé), trois jets, une flotte d’hélicoptères, de yachts et de voitures de luxe…

Deuxième du classement, Mohamed Hussein Al Amoudi, 65 ans, avec 10 milliards de dollars. Né en Éthiopie, de père yéménite et de mère éthiopienne, cet autre homme d’affaires avisé a grandi dans le pays d’adoption de son père, l’Arabie saou­dite. Lui aussi a eu les moyens de démarrer dans la vie. Et, comme Al-Walid, a flairé le jackpot, osant investir son premier million dans le secteur pétrolier… suédois.

Aujourd’hui, il est le premier investisseur étranger en Suède, où il possède des raffineries et des compagnies pétrolières actives en mer du Nord, en Russie et en Afrique de l’Ouest (Angola, Congo, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Nigeria…), pour une production de plus de 6 500 barils de brut par jour et près de 20 millions de tonnes d’or noir raffinées par an. En Éthiopie, son pays natal, il est le roi du béton, du tourisme de luxe, des banques, des mines (sa mine d’or produit 5 tonnes par an). Il a fait construire l’hôtel Sheraton d’Addis-Abeba, qu’il a offert en février 1998 à l’État éthiopien.

Deux femmes

Ces deux cas exemplaires sortent de l’ordinaire parce qu’ils dépassent le simple enrichissement par héritage et qu’ils ont tout pour être pérennes. Ce sont des fortunes bâties sur des actifs solides dans l’industrie, l’énergie, l’alimentaire, la finance et les services, et non pas, comme cela a pu être le cas dans le passé, sur des commissions. Adnan Khashoggi, premier milliardaire arabe et l’un des hommes les plus riches de la planète au début des années 1980, avait bâti sa fortune sur ses activités d’intermédiaire. Il sombra dans les années 1990 après avoir défrayé la chronique mondaine à Cannes, Marbella, Monte-Carlo, Paris…

Deux femmes figurent au palmarès. Sixième au classement, la famille saoudienne des Olayan – composée de Mary et de ses quatre enfants, ­Khaled, Hayat, Hutham et Lubna – gère le groupe fondé par Souleimane Olayan (1918-2002), un conglomérat de cinquante entreprises. Lubna Olayan est PDG de l’une des filiales, Olayan Financing Company.

La seule self-made-woman de la liste est la Koweïtienne Souad Al Humaidi, vingt-cinquième, qui a fait fortune dans l’immobilier.

Rares sont les milliardaires arabes qui consacrent une partie de leurs immenses gains à des œuvres caritatives. Al-Walid, lui, est le premier à avoir donné l’exemple, via sa fondation. Depuis 2003, il aurait fait don de 4 à 5 millions de dollars : 1 million aux enfants de Gaza, 800 000 au Bangladesh, 700 000 au Cambodge, 500 000 à l’Afghanistan, 200 000 à l’Indonésie, 200 000 au Malawi… Un autre milliardaire saoudien, Mohamed Ibn Issa Al Jaber, quatrième de la liste, a lui aussi créé sa fondation, MBI, qui a notamment offert, en 2009, 1,6 million de dollars au Corpus Christi College d’Oxford pour la construction d’une nouvelle salle de bibliothèque de 150 places. Il a contribué aussi, pour un montant inconnu, à la création d’une chaire d’études pour des étudiants palestiniens et israéliens à la City University de Londres (quarante bourses entre 2004 et 2009). Mais ce mécénat n’est rien, comparé à la décision d’un Bill Gates de léguer 95 % de sa fortune (estimée à 53 milliards de dollars en février 2010) à la lutte contre les maladies et l’analphabétisme dans les pays pauvres. Un exemple à méditer. 

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