Togo : sous la férule du timonier national
Petit pays d’Afrique occidentale, le Togo, après avoir pris un bon départ en 1960, change de cap trois ans plus tard lorsque son premier président, Sylvanus Olympio, qui virait vers un autoritarisme inquiétant, est assassiné. Ce crime est le point de départ de l’emprise de l’armée sur la vie politique. Elle se traduira par un nouveau coup d’État en 1967, qui voit arriver à la tête du pays Étienne Eyadéma. Pendant près de quarante ans, indéboulonnable, le général-président règne en maître absolu, inspirant la peur à ses compatriotes. Même le vent de la démocratie n’aura pas raison de lui.
Il y eut cette nuit du 12 au 13 janvier 1963. La nuit du complot qui changea sans doute le destin du Togo, à peine entré dans la troisième année de son indépendance. Dans le quartier résidentiel de Lomé, route d’Aného, règne un calme apparent. Le silence serait parfait s’il n’y avait les mugissements de l’océan, tout proche, dont les vagues viennent mourir sur la plage. Peu avant les douze coups de minuit, une brève discussion s’engage devant la villa du chef de l’État, Sylvanus Olympio, où deux policiers sont en faction. Un commando armé se présente devant le portail et précise l’objet de sa visite : arrêter le président. Au premier étage de la villa, une pièce est éclairée. C’est le bureau d’Olympio, qui est en train de travailler. Les éclats de voix l’alertent. Il prend le temps de rassurer sa famille, avant de s’échapper par le jardin et d’escalader le mur qui sépare sa résidence de l’ambassade des États-Unis. Les assaillants tirent sur la fenêtre de son bureau, avant d’investir les lieux. Dehors, le président ne peut se réfugier à l’ambassade américaine : elle est fermée. Il se cache alors dans une voiture garée devant la représentation diplomatique. C’est là que l’ambassadeur américain, sans doute réveillé par les coups de feu, le découvre. Olympio lui explique sa situation. Le diplomate lui demande de ne pas bouger, le temps pour lui d’aller chercher les clés afin d’ouvrir l’ambassade. Mais il ne reviendra jamais. Au petit matin de ce 13 janvier 1963, le commando, après s’être rendu au camp militaire de Tokoin, revient au quartier résidentiel. Le jour se lève à Lomé. Par un mauvais concours de circonstances, le chef de l’État est surpris dans sa cachette. Il sera abattu de trois balles par l’un des membres du commando devant l’ambassade des États-Unis. Pour la première fois, un président africain vient d’être assassiné. Les vétérans de l’armée coloniale (ils sont 626 et très majoritairement originaires du nord du pays) font payer à Olympio son refus de les intégrer dans l’armée togolaise naissante (avec seulement 300 hommes). C’est aussi le tout premier coup d’État de l’Afrique subsaharienne postcoloniale. Sur les lieux du crime, un certain Étienne Eyadéma, ancien sergent-chef de l’armée française. Il s’attribuera la paternité du meurtre.
Monopartisme
La situation politique a commencé à se détériorer juste après l’indépendance. Les Togolais constatent que leur président est de plus en plus autoritaire. En avril 1961, des élections législatives ont lieu sans la participation de l’opposition parce que, officiellement, ses représentants n’ont pas déposé leur caution à temps. Le parti du chef de l’État, le Comité de l’unité togolaise (CUT), qui se transformera en Parti de l’unité togolaise (PUT), remporte tous les sièges à l’Assemblée nationale. Ainsi s’installe un monopartisme de fait. Le pouvoir donne le coup de grâce à l’opposition en janvier 1962 quand il parle d’une tentative de déstabilisation. Les partis sont dissous, leurs leaders arrêtés. Les chanceux prennent le chemin de l’exil.
Les assassins d’Olympio ne gardent pas le pouvoir. Ils préfèrent le donner – ou le prêter – à ses adversaires exilés à l’étranger. Deux hommes sont choisis : Nicolas Grunitzky, beau-frère d’Olympio, qui s’était retiré de la scène politique en 1961 et menait une vie tranquille d’homme d’affaires en Côte d’Ivoire, ainsi qu’Antoine Méatchi, dirigeant de l’Union démocratique des peuples togolais (ancienne coalition entre sa formation, l’Union des chefs et des populations du Nord, UCPN, et le Parti togolais du progrès, PTP, de Grunitzky), qui avait été arrêté sous Olympio, avant de s’échapper et de s’installer au Ghana. Sous la pression des Français, qui appuient les putschistes, Grunitzky, francophile, est nommé président et Méatchi vice-président. Politiquement, le duo symbolise une certaine idée de rapprochement entre le Nord (Méatchi) et le Sud, en plus du Centre (Grunitzky). Mais la rivalité entre les deux ne favorise pas le fonctionnement des institutions. Certains n’hésitent pas à affirmer qu’en tant que président Grunitzky est « faible ». En novembre 1966, une tentative de coup d’État à laquelle Méatchi est mêlé échoue grâce à l’intervention de l’armée. Paradoxalement, c’est la même armée, avec à sa tête son chef d’état-major, le lieutenant-colonel Étienne Eyadéma, qui renverse Nicolas Grunitzky le 13 janvier 1967. Dans un entretien avec la presse, quelque temps après son putsch, Eyadéma évoque ses relations avec Paris : « De Gaulle me connaît. Plusieurs généraux français me connaissent. Ils savent que je ne suis pas ambitieux. Mon régime était la seule solution. Du reste, j’avais vu à plusieurs reprises l’ambassadeur de France. » Nul doute qu’il a des soutiens solides.
Né en 1935 à Pya (nord du Togo) dans une famille paysanne, Eyadéma perd tôt son père. Bâti comme un colosse, il est plus un champion de lutte qu’un élève assidu. À 18 ans, il s’enrôle volontairement dans l’armée coloniale et il ira combattre en Indochine puis en Algérie. Eyadéma retrouve le Togo en 1962, avec le grade de sergent-chef. Mais ses ambitions d’intégrer l’armée togolaise sont contrariées par Olympio. Quand il prend le pouvoir, il annonce son opposition au parti unique car, « afin de favoriser la critique, il faut deux partis politiques. Un seul parti n’est pas la démocratie. Car alors l’opposition n’a d’autre moyen pour s’exprimer que de comploter ». Pourtant, en 1969, il crée le Rassemblement du peuple togolais (RPT), parti unique ! À ses débuts, il utilise une autre tactique, qui consiste à s’en remettre à la volonté populaire pour légitimer son pouvoir. On assiste alors à des manifestations faussement spontanées durant lesquelles le peuple le supplie de rester au pouvoir. Un témoin raconte une scène qui s’est passée en janvier 1969 : « On assista à une supercherie fort cocasse : l’émotion populaire se déclencha à nouveau à travers tout le pays. […] Une foule en pleurs envahit la pelouse du palais présidentiel et supplia le “guide” bien-aimé de demeurer au pouvoir. »
Pouvoirs surnaturels
Pendant près de quatre décennies, le Togo se confond avec Eyadéma, qui a instauré un régime brutal reposant sur une armée dont le principal défaut est d’être très largement mono-ethnique. Le culte de la personnalité est tel qu’il devient un personnage situé entre la réalité et la légende, surtout après avoir été le seul survivant d’un accident d’avion en 1974, à Sarakawa, localité
du nord du pays. Certains vont jusqu’à croire qu’il a des pouvoirs surnaturels. Mais tout cela n’empêche pas les Togolais de relever la tête à partir de 1990. L’année suivante, le président est contraint d’accepter une Conférence nationale, financée par la France. Dépouillé de pratiquement toutes ses prérogatives, Eyadéma cède. Il reprend néanmoins du poil de la bête lorsque l’opposition se montre incapable de s’entendre. Le chemin du Togo vers la démocratie sera long et parsemé de nombreux morts. Eyadéma n’aura pratiquement rien concédé. Sa disparition, en 2005, sera des plus inattendues : ce sera en apesanteur, à quelque 250 km de Tunis, à bord de l’avion présidentiel qui le conduisait en urgence en Israël pour des soins. Mais la Libye refusa de le laisser survoler son espace aérien. Et un Gnassingbé succéda à un autre.
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