Le crépuscule des narcos
Ils étaient protégés, au plus haut niveau de l’État. Ils sont aujourd’hui derrière les barreaux. Leur procès s’est ouvert, et avec lui se lève un coin du voile sur le fonctionnement d’un État voyou, devenu plaque tournante du trafic de drogue.
Cent cinquante dossiers à passer au crible, quelque deux cents prévenus, une demi-douzaine de chefs d’inculpation (narcotrafic, association de malfaiteurs, vol à main armée, viol, meurtre et assassinat)… La session de la cour d’assises de Conakry qui s’est ouverte le 29 mars s’annonce chargée et suscite un intérêt particulier auprès des autorités, au niveau de la population, et même au-delà des frontières de la Guinée. Et pour cause : pour la première fois dans l’histoire du pays, une cinquantaine de personnes sont poursuivies pour leur implication présumée dans le trafic international de drogue. Démantelé par le capitaine Moussa Dadis Camara, au pouvoir du 23 décembre 2008 – date de son putsch – au 3 décembre 2009, le réseau avait réussi à faire de cet État d’Afrique de l’Ouest ouvert sur l’océan Atlantique un point de transit de la cocaïne destinée aux marchés européen et américain.
Au-delà de la gravité des faits, c’est l’identité des prévenus qui fait l’attrait du procès. Dans le box des accusés, il y a Ousmane Conté, fils aîné de Lansana Conté, qui dirigea le pays d’avril 1984 à décembre 2008 ; Saturnin Bangoura, frère d’Henriette Conté, l’ex-première dame ; Victor Traoré, ex-directeur d’Interpol Guinée et ancien directeur de l’Office central antidrogue (Ocad) ; son successeur à l’Ocad, le commissaire divisionnaire Termite Mara ; Jacques Touré, ancien patron de la gendarmerie ; l’amiral Daffé, ex-chef d’état-major de la marine ; Diarra Camara, le dernier chef d’état-major général des armées sous Conté…
Un procès historique
Arrêtés et incarcérés au cours des semaines et des mois qui ont suivi l’arrivée de « Dadis » aux affaires, tous encourent de lourdes peines de prison et la saisie de leurs biens. Ils ne sont pas les seuls. L’affaire risque de dégénérer en bataille judiciaire pour obtenir l’extradition de deux parrains présumés du réseau, qui ont aujourd’hui fui le pays : le richissime Moussa Traoré, qui s’est réfugié à Dakar où il mène grand train, et Sidiki Mara, qui sillonnerait les capitales de l’Afrique de l’Ouest pour ne pas être repéré.
Pour mener ce procès de tous les dangers, autant pour le pedigree des accusés que pour les remous qu’il peut susciter, la cour d’assises est dirigée par le très renommé juge Doura Chérif. Président de la Cour d’appel de Conakry depuis septembre 2009, après l’avoir été de 1992 à 1997, avant d’être nommé conseiller juridique à la présidence par Lansana Conté, ce magistrat chevronné est réputé pour son expérience et son esprit d’indépendance. Lors de son premier passage à la tête de la Cour d’appel, il a dirigé, de janvier à septembre 1995, le « procès des gangs », resté comme un événement majeur dans les annales judiciaires de la Guinée. Pour sanctionner les dangereux malfaiteurs qui terrorisaient le pays, perpétraient viols, vols à main armée, meurtres et assassinats, il a prononcé cinq condamnations à mort, une dizaine de peines de détention à perpétuité, plus d’une centaine d’emprisonnements pour une durée supérieure à dix ans…
Va-t-il être aussi déterminé à punir ceux qui ont fait de la Guinée un narco-État ? Il semble en tout cas prêt à reconstituer toute la chaîne des responsabilités. Doura Chérif a dans sa ligne de mire bien d’autres personnalités des régimes de Conté et de Dadis Camara. Et a d’ores et déjà demandé à entendre Moussa Tiégboro Camara, ministre d’État chargé des Services spéciaux, de la Lutte contre la drogue et le grand banditisme. Motif ? Le ministre d’État, qui se comporte en officier de police judiciaire – il arrête les présumés coupables, les défère devant la justice, dresse des procès-verbaux –, fait l’objet de nombreuses accusations de détournement de scellés. Saturnin Bangoura, par exemple, lui impute de lui avoir soustrait trois véhicules au moment de son arrestation. Des Chinois poursuivis pour contrefaçon de produits pharmaceutiques lui reprochent de leur avoir subtilisé des voitures et des bijoux.
Pour élucider ces accusations, la Cour d’assises a adressé une correspondance au Premier ministre, Jean-Marie Doré, lui demandant de mettre le ministre d’État à la disposition de la justice. Le chef du gouvernement d’union nationale ne devrait pas y faire obstacle. Au moment de constituer son équipe, il avait clairement signifié à tous les ministres cités dans des affaires : « Si un jour ou l’autre la justice nationale ou internationale veut vous poursuivre, je ne m’y opposerai pas. »
Avion bourré de cocaïne
Si Doré tient parole, celui qui a semé la terreur dans tout le pays au nom de la lutte contre la drogue risque gros. Moussa Tiégboro Camara ne sera pas le seul visé. D’anciens ministres et d’ex-proches de Lansana Conté sont concernés. La cour s’attelle à vérifier si oui ou non Henriette Conté était au courant que l’une de ses maisons abritait le trafic orchestré par son frère, Saturnin Bangoura. Siafa Béavogui, gouverneur de la ville de Boké, où a atterri nuitamment un avion bourré de cocaïne, est aussi dans le viseur de la cour d’assises. Tout comme certains éléments qui se sont rapprochés de Moussa Dadis Camara, puis de Sékouba Konaté, aujourd’hui président intérimaire, pour ne pas être poursuivis par un passé sulfureux. Du fond de sa cellule, Ousmane Conté, malade et dépité, qui se sent trahi par son ex-protégé Dadis et par bien d’autres, répète à ses visiteurs qu’il ne tombera pas seul. Chantage ou méthode de défense ? Une seule certitude : l’affaire que l’on nomme « procès des narcos » à Conakry, et dont la Radio Télévision guinéenne diffuse chaque soir de larges extraits, promet bien des révélations.
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