A double tranchant
En mettant en ligne leurs morceaux, les artistes du continent ont gagné en visibilité. Mais, comme en Occident, ils peinent à profiter pleinement de leurs droits d’auteur.
Numérique : la carte à jouer
« L’année 2010 sera celle du décollage du numérique », lançait Pascal Nègre, PDG d’Universal Music en janvier à Cannes (sud-est de la France), lors du 44e Marché international de la musique (Midem), où l’Afrique du Sud était le pays invité d’honneur. Un décollage pour tout le monde ? À l’évidence, non.
En ce qui concerne le continent, la nuance s’impose. Au Maroc, où l’on assiste à un nouvel élan de la production musicale, s’il est illusoire de parler d’une quelconque économie du numérique, en revanche « internet a permis d’accueillir des musiques qui influencent les goûts du public et la création artistique », déclare le chanteur et guitariste Issam Kamal, leader du groupe de fusion marocain Mazagan. « Le numérique est une arme à double tranchant, précise-t-il. Grâce à internet, par exemple, nous pouvons facilement diffuser notre musique, créer du buzz et recueillir le feed-back du grand public, le tout dans des délais très courts. Mais cet avantage se retourne vite contre l’artiste, car le cycle de vie de sa création devient trop court, ce qui l’oblige à devenir plus productif. » Résultat : on produit en quantité, plutôt que de prendre son temps pour soigner la qualité.
Par ailleurs, précise Amel Abou el-Aazm, d’AB Sawt, une structure travaillant à la professionnalisation du secteur culturel marocain, « le marché du numérique en Occident est certes une chance pour les artistes africains, en termes de visibilité et de promotion, mais ça reste insuffisant car le relais n’est pas pris du côté des producteurs et des managers occidentaux, qui restent frileux ».
« Autre inconvénient : il est impossible de contrôler les ressources générées par le téléchargement sur internet, de quantifier et profiter pleinement des droits d’auteur, explique le chanteur Lokua Kanza. En RD Congo, les musiciens ne travaillent pas encore avec internet. Peu mettent leur musique en ligne, à part la jeune génération qui fait du hip-hop. » Ceux-ci espèrent sans doute attirer davantage l’attention de l’Occident que celle de leurs fans locaux, qui ne sont pas équipés pour télécharger des fichiers son.
Illustrations sonores
Beaucoup de radios du continent elles-mêmes ne sont pas équipées. Francophonie Diffusion, une structure française (présidée par Manu Dibango et comptant parmi les membres de son bureau Pascal Nègre) qui fournissait des disques francophones à ses radios partenaires dans le monde, a mis en place pour elles, en 2006, une plate-forme de téléchargement gratuite. Sur la trentaine de radios africaines que compte son réseau, moins de la moitié utilisent la plate-forme (dont Pulsar à Ouagadougou, Yaoundé FM 94, Mosaïque FM à Tunis et Radio Abidjan 1). Si les réalités locales freinent l’épanouissement d’une nouvelle ère numérique musicale, il n’en existe pas moins des exemples probants de sa marche en avant sur le continent.
En Afrique du Sud, un Français, Yoel Kenan, a lancé la première plate-forme numérique à vocation professionnelle consacrée aux musiques africaines. Baptisée Africori (africori.com), elle propose un catalogue d’illustrations sonores constitué de titres fournis par des artistes africains ou des labels les représentant. Lors de sa présentation au Midem, juste avant son lancement en février 2010, le projet comptait environ 2 000 titres et promettait un enrichissement de 1 000 propositions supplémentaires chaque mois.
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