Une révolution à écrire

La commercialisation du livre électronique et l’accès à internet vont bouleverser le marché. Une occasion à saisir pour les éditeurs et les bibliothèques du continent.

 © Rafaël Ricoy pour J.A

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Publié le 30 avril 2010 Lecture : 6 minutes.

Numérique : la carte à jouer
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Qu’est-ce qu’un livrel ?

L’avenir du livre est sur écran. En une seule journée, celle du 3 avril, Apple a vendu quelque 300 000 exemplaires de son « ardoise numérique », l’iPad. Trois jours plus tard, 600 000 livres avaient été téléchargés ! Si certains pensent encore que le bon vieux livre en papier est indétrônable, les pratiques de lecture et les nouveaux appareils électroniques démontrent le contraire. Oui, il est désormais possible de lire Da Vinci Code ou Critique de la raison pure sur un ordinateur, un smartphone ou un livrel.

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Livrel ? Livre électronique, voyons ! Cette tablette, commercialisée par Bookeen (Cybook), Amazon (Kindle), Sony (Reader) ou iRex (iLiad), est spécialement conçue pour la lecture. Large autonomie permettant de tourner environ 8 000 pages d’affilée, poids réduit, possibilité d’adapter la taille des caractères… Le prix reste élevé, mais il ­baisse de façon drastique depuis deux ans. Et la tendance devrait se poursuivre.

Le Bookeen Cybook Opus est dispo­nible en France pour environ 200 euros… avec, en bonus, 75 livres offerts.

Qu’est-ce qu’une bibliothèque numérique ?

Il s’agit tout simplement de bibliothèques, payantes ou en accès libre, accessibles sur internet et contenant des milliers de textes numérisés. Les livrels fonctionnent notamment avec les sites d’Amazon, Numilog, Mobipocket, Ebooksgratuits, Books.google, Gutenberg, etc., à partir desquels les usagers peuvent télécharger romans, dictionnaires, essais, livres pratiques ou autres. La Bibliothèque nationale de France propose plus d’un million de documents sur sa plate-forme numérique Gallica. Celle, commerciale, de Numilog, quelque 54 000 titres. Quant à Gutenberg, elle offre 30 000 e-books gratuits. Bien entendu, ce type de bibliothèque respecte les droits d’auteur : pour l’accès aux nouveautés, les prix sont à peu près identiques à ceux des ouvrages papier. Mais pour les textes tombés dans le domaine public, les coûts sont très faibles. Vous souhaitez relire Candide de Voltaire ? Sur Mobipocket, c’est 0,99 euro ; sur Gallica, c’est gratuit !

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Hélas, l’offre purement africaine reste faible. Kotobarabia, qui se présente comme la première « e-librairie » arabe, propose quelque 5 000 e-books (Les Mille et Une Nuits sont en accès gratuit !). Dans un domaine différent, on peut signaler l’Ajol (African Journals Online), qui met en ligne des ­textes scientifiques à destination des chercheurs africains. Ou encore la société sud-africaine Electric Book Works, qui conseille les éditeurs pour réaliser et commercialiser des livres numériques.

Sur le continent, où les problèmes d’accès aux livres sont récurrents, les bibliothèques numériques apparaissent comme une solution d’avenir. « Si les États et les ministères de la Culture lançaient les bibliothèques numériques, ce serait l’idéal et cela permettrait à la population d’avoir accès aux anciennes publications », confie Marie Michèle Razafintsalama, présidente d’Afrilivres et éditrice (Éd. Jeunes Malgaches). Gilles Colleu, éditeur (Vents d’ailleurs) et consultant en édition numérique, est un peu plus circonspect : « Pour l’instant, nous sommes dans l’expérimentation commerciale. Beaucoup d’éditeurs se préoccupent surtout de protéger leurs livres, car ils craignent le pillage. »

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Une solution aux problèmes de l’édition en ­Afrique ?

Ouganda, année 2050. Nelson, étudiant en droit de l’université Makerere, prend place à bord d’un ­matatu à la gare routière de Kampala, direction Moroto. Quand le minibus démarre, il sort de sa poche une feuille numérique souple, télécharge le New Vision via internet, puis le dernier livre de l’écrivain Moses Isegawa. Grâce à la Global African Library créée en 2022, il a accès à toute la production littéraire africaine, en français, en anglais, en swahili, en xhosa et dans d’autres langues africaines. L’African Newspapers Association, créée en 2019, lui permet de lire presque tous les journaux du continent… Grâce à son appareil (100 g de technologie de pointe !), il peut aussi, s’il le souhaite, consulter ses mails, faire un virement bancaire ou téléphoner à sa fiancée. Même dans la région reculée du Karamoja, dont Nelson est originaire, l’absence de kiosques et de librairie ne pose pas de problème : la transmission des données passe par satellite…

Utopie ? Du point de vue technologique, la réalité n’est pas loin. Si, évidemment, on n’en est pas encore là, le numérique modifiera sans aucun doute le paysage éditorial et les pratiques de lecture. « Dans ce domaine, explique Gilles Colleu, pour innover ou tester des idées, on n’a pas besoin d’un tissu industriel fort avec fabricants de papier, imprimeurs, importateurs d’encre… Il suffit d’un ordinateur basique pour faire de la prestation numérique. On peut donc sans problème imaginer de nouveaux produits d’édition en Afrique. »

Les freins au développement de l’édition numé­rique en Afrique

« Il y a très peu d’initiatives dans le domaine de l’édition numé­rique en Afrique, confie Marie Michèle Razafintsalama. Cela s’explique par les difficultés de communication dans le pays, le faible accès de la population à l’informatique, le taux d’alphabétisation encore faible ou le nombre réduit de ­jeunes qui arrivent jusqu’aux études supérieures, moment où l’accès aux outils informatiques est un peu plus développé. » Il existe, bien entendu, des disparités selon les pays, mais les problèmes techniques représentent le principal frein au développement du numérique.

Outre l’aspect parfois aléatoire de la distribution d’électricité et le coût d’accès à l’internet, la bande passante (le débit des informations) n’est souvent pas suffisante en Afrique pour permettre une transmission rapide des données. Lesquelles manquent aussi : en matière de littérature, les bibliothèques numériques créées en Occident ne font pas la part belle à la création africaine. Les auteurs du continent y sont rares et chers. Sur Mobipocket, le chef-d’œuvre de Chinua Achebe, Things Fall Apart, est vendu 17 dollars en version numérique.

Sur place, à l’exception de Kotobarabia, de l’Ajol et de quelques autres initiatives dispersées, il n’existe pas de grande bibliothèque numérique africaine comparable à Gallica. Parce que la numérisation en elle-même pose aussi différents problèmes. « Un livre numérique, ce n’est pas un fichier Word, rappelle Gilles Colleu. Et ça, nombre d’éditeurs ne l’ont toujours pas compris ! » Reste que, pour Colleu, « le passage au numérique impose un certain nombre de compétences techniques. Mais celles-ci sont faciles à acquérir et peu coûteuses ».

Quels inconvénients pour l’industrie du livre ?

Pas difficile de les imaginer : perte d’emplois dans le domaine de la production de papier, de l’impression, de la distribution… A-t-on encore besoin d’un libraire, d’un kiosquier quand on peut lire le dernier Mabanckou et le journal directement sur son iPhone ? Et quid du pillage, qui lèse les distributeurs, mais aussi les créateurs ? Comment protéger et rémunérer les auteurs ? Comment vendre leurs livres dans des pays où les différences de niveau de vie sont importantes ? Beaucoup de questions restent en suspens.

À quand la grande bibliothèque africaine dispo­nible sur ­internet ?

« Je crois que la priorité des éditeurs sera encore pendant longtemps de véhiculer le savoir par le support papier, car le toucher du livre est important », affirme Marie Michèle Razafintsalama. Pourtant, du point de vue technique, la grande bibliothèque africaine pourrait exister demain. Les textes de cen­taines d’auteurs tombés dans le domaine public – notamment en ce qui concerne l’Afrique du Nord – pourraient l’alimenter. Mais aussi des romans, des textes scientifiques, techniques, pratiques et universitaires contemporains. Pour les auteurs de ces derniers, sans doute faudrait-il trouver un moyen de les rémunérer sans rendre pour autant le prix de leurs ouvrages exorbitant. Rien ne dit que l’e-book tuera le livre papier, ils peuvent se compléter : les poches ne sont pas encore venus à bout des « grands formats » malgré les prévisions alarmistes d’alors ! In fine, la grande bibliothèque numérique africaine verra le jour quand existera la volonté politique de la créer. À bon entendeur !

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