Télé poubelle

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 26 avril 2010 Lecture : 2 minutes.

Bloqué à Kigali – il existe des séjours forcés plus désagréables – par les effets collatéraux d’un nuage de cendres sur l’Europe, j’ai eu tout le loisir de regarder la télévision. Par le hasard du zapping, un soir de cette mi-avril, voici qu’apparaît à l’écran le journal des régions de la Cameroon Radio Television (CRTV). Je dois dire tout de suite que je n’ai rien contre la CRTV, qui est sans doute la meilleure télé d’Afrique centrale, et évidemment rien contre le Cameroun, pays complexe et fascinant, aussi agaçant parfois qu’énergétique toujours. Mais là, j’ai été, comme disent les jeunes, « scotché ». Premier reportage du JT : la tragédie d’un gamin de 12 ans qui s’est pendu un matin avant d’aller à l’école. Gros plan sur le corps inerte du petit suicidé encore accroché à la corde au-dessus de son lit, bras et jambes ballants. Entre deux sanglots, sa mère et sa sœur témoignent avec en arrière-fond la scène macabre : « Il a balayé la cour comme tous les matins avant de s’enfermer dans sa chambre. On ne sait pas pourquoi il a fait ça.»

Plutôt d’humeur guillerette, le présentateur introduit le deuxième reportage. Il s’agit d’illustrer le sort expéditif que la justice populaire réserve aux voleurs – ou présumés tels. La caméra s’attarde longuement sur des corps de suppliciés à demi carbonisés abandonnés au bord de la route, les mains liées dans le dos, un croc de boucher enfoncé dans la nuque, dans l’indifférence générale. Et ce n’est pas fini. Troisième reportage de ce festival de voyeurisme morbide : l’histoire d’un quinquagénaire accusé d’avoir violé ses deux belles-filles, âgées de 8 ans et 9 ans. On extrait l’homme de sa cellule du commissariat : « Je suis innocent ! clame-t-il. C’est la maman des enfants qui a inventé tout ça pour se venger de moi parce que je voulais la divorcer ! » La voix off, qui ne nous épargne rien du détail des outrages subis par les gamines, laisse entendre que leur beau-père ne s’en sortira pas comme ça. Dernier reportage enfin, annoncé d’une mine gourmande par notre présentateur : un nouveau-né d’une semaine jeté par sa mère dans une benne à ordures et mort sur place après quelques vagissements désespérés. Images complaisantes et insoutenables du bébé violacé entouré d’excréments et de mouches. La foule s’agglutine au bord de la benne, certains photographient le petit cadavre avec leur téléphone portable. Sous les yeux d’un policier goguenard, une femme prend la parole : « Ici, c’est un État de droit ; la maman, là, on la retrouvera et on lui fera comme au Nigeria. On va la brûler. C’est tout ce qu’elle mérite ! »

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On connaissait l’existence, sur le continent, d’une presse de caniveau qui déshonore la profession à coup d’outrances, de mensonges et de chantages. Voici venue la télé poubelle. Sous des prétextes d’éducation civique, c’est la déliquescence morale d’une société qu’elle nous donne à voir, avec délectation. Entre nausée et effet de miroir, le téléspectateur camerounais en redemande. Et c’est bien cela qui inquiète.

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