Génération perdue

Récompensé à Venise en 2008, Teza, de Haïlé Gérima, sort enfin en salles. Un film foisonnant sur l’Éthiopie des années 1960-1970 et les grandes illusions révolutionnaires.

Scène extraite de Teza, de Haïlé Gérima (sortie en France le 28 avril). © D.R.

Scène extraite de Teza, de Haïlé Gérima (sortie en France le 28 avril). © D.R.

Renaud de Rochebrune

Publié le 20 avril 2010 Lecture : 3 minutes.

En ces temps où il est malheureusement peu fréquent que des films de réalisateurs africains fassent l’événement lors de leur sortie internationale, comment ne pas se féliciter quand on peut annoncer l’arrivée dans les salles d’un long-métrage vraiment ambitieux et particulièrement réussi ? Nul mérite à s’en apercevoir : Teza a déjà fait l’unanimité dans tous les festivals où il a été présenté. Prix spécial du jury à la Mostra de Venise en 2008, après avoir fait figure de favori pour le Lion d’or, il a obtenu la même année le Tanit d’or aux Journées cinématographiques de Carthage et en 2009 l’Étalon d’or du Fespaco, dans la capitale burkinabè.

Avant ce triomphe, Haïlé Gérima, réalisateur éthiopien à la réputation établie depuis les années 1970, installé depuis plus de trente ans aux États-Unis, où il enseigne pendant qu’il prépare ses films, a eu à suivre le même parcours du combattant que ses confrères africains lorsqu’ils se lancent dans un nouveau projet. Il lui a fallu six ans pour mener à bien son entreprise. Et pendant deux ans, à la recherche d’un financement pourtant modeste pour terminer le tournage – essentiellement réalisé en Éthiopie – par quelques séquences se déroulant nécessairement en Allemagne, il a pu craindre de ne jamais pouvoir finaliser Teza. Qui, une fois achevé et déjà célébré par la critique, a dû attendre encore deux ans pour être distribué.

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Raconter un film foisonnant, et souvent aussi tourbillonnant que les incessants et superbes mouvements de caméra qui jalonnent son déroulement, ne rend pas justice à la richesse de son contenu et aux effets qui résultent de sa mise en scène virtuose. Disons qu’il évoque dans une construction rarement linéaire, avec moult retours en arrière ou projections, le parcours sur un demi-siècle d’un Éthiopien nommé Anberber. Et par là même celui de sa génération, celle qui a atteint l’âge adulte au tournant des années 1960-1970, à l’heure des grandes illusions révolutionnaires, dans une Afrique exaltée par la reprise en main de son destin avant de déchanter face aux échecs des gouvernements se réclamant du marxisme.

Le cauchemar Mengistu

Élève méritant, parti de son village pour devenir un jour étudiant en Allemagne, où il se forme à la médecine tout en découvrant les utopies politiques et en éprouvant le racisme des Européens, Anberber retourne à Addis-Abeba pour se mettre au service du nouveau pouvoir quand le Négus est renversé. Un moment d’espoir qui tourne, on s’en doute, au cauchemar lorsque le régime dictatorial et sanguinaire de Mengistu commence à donner sa pleine mesure. Ce qui, après bien des péripéties, convaincra le « héros » de se retirer définitivement dans son village, d’abord en misanthrope, puis en bénévole au service de la formation des jeunes, ceux qui incarnent envers et contre tout un avenir qui n’est pas encore écrit.

Teza, on l’aura deviné, n’est pas un film optimiste, même s’il ne ferme pas la porte à l’espoir. Centré sur l’autocritique et le repentir d’une génération perdue du siècle dernier, il pourrait dérouter voire lasser le spectateur des années 2010. Et pourtant, il n’en est rien. Car il le transporte d’un plan à l’autre sans temps mort, proposant une geste qui, tant d’un point de vue politique qu’esthétique, ne peut laisser indifférent. C’est le privilège des grands films, de ceux qui ont du souffle, que de dépasser leur sujet proprement dit pour parler à tout le monde. De l’homme, de son rapport à l’Histoire, de ses contradictions, de ce qui le fait aimer, haïr, désirer et trop souvent se tromper. 

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