Les défis de l’explosion urbaine
Avec une croissance démographique de 7 % par an, les villes africaines ne cessent de s’étendre. Pour faire face à cette frénésie, les agglomérations doivent impérativement développer leurs infrastructures.
Infrastructures et urbanisme
À Conakry, chaque soir de la saison des pluies, le ciel déverse des trombes d’eau sur la presqu’île où est installée la capitale guinéenne, transformant les rues non bitumées en chemins boueux où s’enlisent des taxis poussifs. Une situation qui s’ajoute aux galères quotidiennes des Conakrykas dans les transports : pour rallier le centre-ville de Kaloum, situé à l’extrémité de la presqu’île, les travailleurs doivent affronter de gigantesques embouteillages et zigzaguer entre les nids de poule. Il faut parfois trois heures. Et la voie rapide entre l’aéroport et le centre-ville construite par les Chinois du groupe Henan Chine en 2007 n’aura bientôt plus suffisamment de voies pour désengorger le trafic.
Chaque année, la population urbaine africaine croît de 7 %. L’Afrique compte environ 400 millions de citadins (39 % de la population, taux le plus bas de tous les continents), ils seront 760 millions en 2030. Le nombre de villes de plus de 1 million d’habitants a presque doublé en dix ans (53 aujourd’hui). À l’instar des autres métropoles africaines, Conakry, qui devrait accueillir 2,9 millions d’habitants en 2025, contre 1,5 million aujourd’hui, grignote du terrain.
Manque de vision urbanistique
L’intérieur guinéen n’est pas mieux loti : ponts brisés et enlisements pouvaient jusqu’à peu rendre la route principale impraticable pendant plusieurs semaines, coupant Conakry de Kankan et N’Zérékoré, villes de plus de 100 000 habitants. Mais depuis 2006, les projets miniers d’envergure favorisent l’amélioration des voies de communication. Ainsi, le géant minier anglo-australien Rio Tinto envisage la construction d’une voie ferrée pour transporter son fer, et le français Satom a entamé la rénovation de la route vers N’Zérékoré financée par les bailleurs internationaux. La Guinée illustre parfaitement le manque de vision urbanistique et de liaisons entre les grandes villes qui entrave gravement le développement d’un pays. Du nord au sud du continent, la gestion des infrastructures liées au développement des villes est devenue le défi numéro un des gouvernants.
Grands projets autoroutiers et ferroviaires
Selon la Banque africaine de développement (BAD), moins du tiers de la population africaine a accès à une route praticable en toute saison. Les coûts de transport et les délais d’acheminement des marchandises le long des corridors routiers sont deux à trois fois supérieurs à ceux des autres régions du monde. Autre défi, l’insalubrité des quartiers. Le continent doit faire face à l’émergence d’une classe moyenne (« peu étudiée et mal cernée », selon l’Agence française de développement) plus aisée. La pression immobilière s’accentue, et les programmes ambitieux fleurissent un peu partout (voir p. 77). Améliorer les centres et mieux relier les villes entre elles sont donc des priorités, mais nécessitent des capitaux très importants. La BAD estime, pour la prochaine décennie, à près de 95 milliards de dollars les besoins en infrastructures de l’Afrique, dont essentiellement 42 % pour l’énergie, 23 % pour l’eau et l’assainissement, 20 % pour les transports.
Hela Cheikhrouhou, responsable du financement des projets d’infrastructures à la BAD, explique que le montage financier de projets routiers, ferroviaires ou d’urbanisme avec des partenaires privés est complexe : « Les investisseurs privés regardent en priorité la rentabilité, et non l’effet économique global sur l’ensemble d’une zone. C’est pourquoi ces projets sont surtout menés par les États assistés par des bailleurs de fonds, à l’exception de certains projets générant des revenus d’exploitation via des concessions, comme les autoroutes. »
Appui de fonds privés
Les voies rapides et routes à péage ont en effet le vent en poupe et attirent les fonds d’investissement privés comme Emerging Capital Partner, l’australien Macquarie ou le sud-africain Harith. Pont à péage d’Abidjan (d’un coût estimé à 137 millions d’euros), autoroute Dakar-Diamniadio (535 millions d’euros) ou encore voie express Lekki-Eppe, à Lagos. Sur chacun de ces trois projets, on trouve l’interaction fructueuse entre un grand du BTP (Bouygues pour Abidjan, Eiffage pour Dakar), le soutien financier institutionnel (Union européenne) et des banques de développement (BAD, BIDC) et l’appui de fonds privés. Ces projets optent généralement pour le « Build, Own, Operate and Trade » (Boot), qui permet au constructeur de se désengager de l’exploitation et de la transférer peu de temps après la construction. Il limite ainsi ses risques financiers.
« Mais en dehors des autoroutes à péage, les projets routiers et ferroviaires bancables sont peu nombreux en Afrique subsaharienne », indique l’Ivoirien Souleymane Keita, l’un des directeurs de Harith, qui gère un fonds d’investissement privé pour l’Afrique dédié aux infrastructures de 630 millions de dollars. Souleymane Keita soulève la différence de traitement entre les pays de « l’Afrique des extrémités » et celle du « milieu » : « Tous les pays ne sont pas à égalité quand ils cherchent à emprunter pour de tels projets. Seuls les pays du Maghreb et d’Afrique australe (“l’Afrique des extrémités”) ont un accès facilité au crédit de la BAD. Les conditions sont plus contraignantes pour les autres pays. »
Améliorer les connectivités
Sur la période 2005-2009, la BAD est intervenue à hauteur de 15,5 milliards de dollars (soit 57 % de ses prêts et dons) sur des projets d’infrastructures, surtout circonscrits à l’Afrique du Nord, notamment à la Tunisie (échangeurs à Tunis) et au Maroc (autoroute Marrakech-Agadir), même si la BAD assure vouloir maintenant aussi financer des projets de ce type en Afrique subsaharienne.
Autre différence entre l’Afrique du milieu et celle des extrémités, le dynamisme du trafic intérieur : les projets maghrébins sont tirés par une population qui a les moyens de payer des péages et des billets de train (et même le TGV). A contrario, les projets routiers en Afrique subsaharienne ont pour but d’améliorer la connectivité entre des agglomérations et les zones rurales, et à susciter la demande par le désenclavement. Dans ces territoires, l’État reste le principal catalyseur de moyens. Dans les prochaines années, les projets de chemins de fer et de voies d’eau navigables devraient être davantage soutenus par les grandes institutions financières qui cherchent un développement urbain vertueux. Le challenge de la transformation des villes africaines ne fait que commencer.
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