Alexis Musanganya
À 36 ans, ce Canadien d’origine rwandaise est devenu le porte-drapeau du combat contre l’homophobie au sein de la communauté africaine du Québec.
Alexis Musanganya a 4 ans. Il s’imagine que sa mère, journaliste à la radio, est miniaturisée à l’intérieur du poste. D’où sa dévotion pour l’objet. Des années plus tard, quand il entend le chanteur français Michel Sardou entonner dans cet objet magique « Est-ce une maladie ordinaire ? Un garçon qui aime un garçon… », il saisit l’occasion pour interroger sa maman sur cette question mystérieuse. « Ne t’en fais pas, lui répond-elle. C’est une affaire de Blancs. Chez nous, ça n’existe pas. »
« Ça. » Parce qu’il n’y a pas de mot, dans la plupart des langues africaines, pour dire « homosexualité ». Pourtant, en cette année 1990, dans le milieu intellectuel de Kigali, où il est né et a grandi, Alexis Musanganya sait déjà qu’il a « une orientation sexuelle différente ». C’est pour cela qu’il a choisi le petit séminaire. « La seule possibilité de rester respecté dans la société, sans me marier, était la prêtrise », explique l’homme au sourire facile dont l’allure et les mots sont toujours soignés.
Mais avant d’arriver au Québec, en 1998, avant de devenir le premier Québécois d’origine africaine à s’engager pour la cause des gays et des lesbiennes noirs, avant d’avoir un CV de militant aussi long qu’un hiver canadien, Alexis Musanganya était persuadé que les démons s’étaient emparés de son corps. Au séminaire de Kigali, ce cinquième enfant d’une fratrie de sept s’est confié aux prêtres. Ils lui ont conseillé de réciter un rosaire. « J’en ai dit 1 000. Au bout du compte, j’étais toujours le même », raconte-t-il.
En 1994, alors que la guerre éclate au Rwanda, il a définitivement compris qu’il ne pouvait pas devenir un autre. Depuis six mois, il fréquente l’université de Butare, en sciences appliquées. La fac est jumelée à celle de Sherbrooke (Canada), la ville québécoise où vient de s’installer sa sœur. Il se prend à rêver à cet eldorado, « cet ailleurs où vivent les malades qui [lui] ressemblent. »
« J’imaginais les homosexuels comme des gens dépravés »
Quatre ans plus tard, grâce à sa sœur, Alexis Musanganya a été exaucé. Il est dans une cabine téléphonique publique du centre de Sherbrooke. Il appelle anonymement le centre d’aide pour les homosexuels Gai Écoute. « Ils m’ont aidé à me découvrir, comme un bébé qui apprend à marcher. » Le jour où il pousse la porte du bar gay de la ville, il est aussi soulagé que tremblant. « Je pensais saluer le diable assis sur un trône. En bon Africain, j’imaginais les homosexuels comme des gens dépravés. » En fait de créatures démoniaques, il rencontre des gens à l’aise, dans un pays qui les respecte. Le paradis ?
À Sherbrooke, il étudie l’informatique. « Même si je n’avais jamais touché un ordinateur de ma vie », plaisante celui qui travaille désormais comme webmestre à l’Office de consultation publique de Montréal. Aussi volontaire qu’apparemment désinvolte, Alexis Musanganya n’est pas peu fier. En 2002, il a mis à profit ses nouvelles compétences pour cofonder le site internet gayafrique.com, premier site francophone gay traitant des problématiques homosexuelles. Par un Africain et pour les Africains. « On y a diffusé des témoignages et des informations. Je voulais montrer aux gays d’Afrique qu’on n’a pas besoin d’émigrer pour vivre son homosexualité. »
Vraiment ? Sur un continent où les homosexuels risquent la prison et parfois la peine de mort ? « Il faut donner du temps à l’Afrique, qui croit encore que la colonisation lui a apporté l’homosexualité, alors qu’elle lui a apporté l’homophobie, relativise-t-il. Je crois en l’influence qu’aura un jour le coming out de certaines personnalités. C’est la clé. Si l’on veut que les mentalités changent, nous devons commencer par bien nous accepter nous-mêmes. Regardez-moi : j’étais timide et gay, j’ai transformé ma faiblesse en force. » Dès sa création, le site enregistre des centaines de milliers de visites. « La section rencontres a permis à beaucoup de gays d’Afrique de sortir de leur isolement et de créer des associations », se réjouit le militant.
Lorsqu’il emménage à Montréal, Musanganya fréquente le Village, le quartier homo de la ville. Des couleurs sur des drapeaux arc-en-ciel, il y en a. Mais des Noirs dans les rues, non… « Même ici, les gays d’origine africaine ont du mal à s’assumer, car leur communauté les rejette. » En 2004, désormais attaché à ce Canada qui lui a tout donné, le Rwandais fonde Arc-en-Ciel d’Afrique, un organisme pour les gays et lesbiennes d’origine africaine vivant au Québec. Discussions, conférences, informations santé visent à faire respecter l’homosexualité. Quoi qu’il arrive, il fonce. Comme si c’était hier, il se souvient des réflexions lancées par de nouveaux immigrants, lors de séances de démystification de l’homosexualité organisées par le Groupe de recherche et d’intervention sociale (Gris) de Montréal. « Tu es la honte du continent ! » « Plus je serai loin d’un homo, mieux je me porterai ! » Des discours « feu de paille », assure-t-il. « Je les interroge : comment réagiras-tu le jour où ton enfant, né ici, t’annoncera son homosexualité ? Mon rôle ce n’est pas seulement de mettre les gays à l’aise, mais d’aider les Africains à s’intégrer culturellement, à comprendre que, ici, ils ne pourront pas traiter un homosexuel de tous les noms ! »
Un combat mené à 100 à l’heure
« Alexis mène un combat difficile, estime Stephan Giroux, responsable du comité de diversité culturelle au Gris. Mais c’est un rassembleur, qui crée des liens et agit avec diplomatie et détermination. Il a décloisonné notre Gris, un peu trop québéco-blanc. »
Contribuer à ce que l’Afrique ne soit plus le continent qui manque sur la scène gay, il dit le faire « tout doucement ». En réalité, c’est à 100 à l’heure et sur son temps libre. Il piste tous les colloques et toutes les conférences sur le sujet, s’est démené pour qu’une délégation africaine participe aux défis sportifs Outgames de Montréal, copréside le regroupement des organismes gays ethnoculturels, est membre d’Action Séro-Zéro…
Qu’est-ce qui le fait courir ? Dire qu’il a expérimenté la fragilité de la vie serait un euphémisme. Lui qui aime pourtant raconter et se mettre en scène évoque difficilement les quatre années qui ont suivi le génocide. Des centaines de kilomètres parcourus à pied, de Kigali et Butare vers le Zaïre, puis la Zambie. Le désespoir et la mort fréquentés de trop près. « Cela a été le vide de ma vie ! Ce qui m’a fait comprendre qu’on n’a pas de temps à perdre pour être soi et agir selon ses convictions. » Lui qui semble toujours léger se raidit. « Mon ami a été accueilli dans ma famille, au Rwanda. Moi, je ne veux plus y retourner. Je veux oublier. Quand je suis arrivé ici, j’ai cessé d’être rwandais pour devenir africain. Tant mieux ! Les Canadiens m’ont donné tout le continent pour moi ! Mais n’en parlons plus. Ça brouille mon message. Moi, j’ai choisi de m’engager pour une autre cause. »
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- La Côte d’Ivoire, plus gros importateur de vin d’Afrique et cible des producteurs ...
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Le livre « Algérie juive » soulève une tempête dans le pays
- Au Maroc, l’UM6P se voit déjà en MIT
- La stratégie de Teyliom pour redessiner Abidjan