Ahmed Tibi : le trublion de la Knesset
Porte-drapeau de la minorité arabe à la Knesset, farouche défenseur du peuple palestinien, le chef du parti Ta’al est un nationaliste engagé. Et l’ennemi juré de la droite israélienne. Portrait.
Pour ses visiteurs occasionnels, la Knesset est un véritable labyrinthe. Autour de l’hémicycle réservé aux députés, le siège du Parlement israélien se compose d’une succession de passages, d’escaliers, de sous-sols et de longs couloirs sans issue. Tel le gardien d’un temple, Ahmed Tibi se dresse au bout de l’un d’entre eux, une mallette noire à la main. « Par ici », dit-il, en désignant au loin une porte derrière laquelle se trouve son bureau.
Onze années de présence ininterrompue et un quatrième mandat en cours ont fait d’Ahmed Tibi l’une des figures incontournables de la Knesset et plus largement de la vie politique israélienne. Ses fréquents coups d’éclat contribuent également à lui forger une réputation d’agitateur qu’il assume volontiers : « Je me fiche d’être expulsé d’une réunion parlementaire, on ne me fera jamais taire », lâche-t-il.
Conseiller d’Arafat
Pour Ahmed Tibi, la Knesset est avant tout une tribune de protestation contre la politique israélienne et l’occupation des territoires palestiniens. Par le passé, le chef du parti Ta’al, le mouvement arabe pour le renouveau, s’y est maintes fois distingué en apostrophant des personnalités de haut rang comme Ariel Sharon, Ehoud Olmert et Benyamin Netanyahou, l’actuel Premier ministre.
La carrière de Tibi débute en 1984. Ses études de médecine achevées, il s’envole pour Tunis et rencontre pour la première fois Yasser Arafat, chef de l’OLP en exil après avoir été chassé du Liban par l’armée israélienne. Tibi devient conseiller spécial du leader palestinien, une fonction qu’il honorera pendant quinze ans, avant de démissionner en 1999 pour se présenter à la Knesset. « Il y avait une sorte de magie qui s’opérait quand on rencontrait cet homme, et il était impossible de ne pas être impressionné. Arafat était un symbole national pour les Palestiniens. Il me manque énormément », reconnaît Tibi.
Dans les années 1990, il participe indirectement aux accords d’Oslo en organisant la première rencontre officielle de Yasser Arafat avec le Premier ministre israélien Itzhak Rabin. Puis, en 1998, il est membre de la délégation palestinienne qui négocie les accords de Wye Plantation, un plan censé conditionner un retrait israélien de la Cisjordanie et qui sera gelé juste après le déclenchement de la seconde Intifada, en 2000. Entre-temps, Ahmed Tibi est élu député à la Knesset.
À 51 ans, il place désormais la communauté arabe israélienne en tête de son combat. « Je suis palestinien, arabe et citoyen de l’État d’Israël. Ma priorité est la défense des intérêts de cette minorité dont je suis issu », affirme-t-il. Sa fougue et son charisme lui donnent parfois l’étoffe des grands leaders arabes. Né à la fin des années 1950, Ahmed Tibi est élevé dans le culte de Gamal Abdel Nasser, le légendaire raïs égyptien. « Sa mort m’a beaucoup peiné et a été un déclic, se souvient-il. Mon sentiment d’appartenance à un peuple s’est révélé à cette occasion. »
Discrimination
À l’époque, le jeune Ahmed réside à Taibeh, une localité arabe située au cœur du triangle de Galilée et cédée par l’armée jordanienne à Israël après la défaite de 1948. « J’ai un souvenir très précis de mon enfance, raconte-t-il. Nos écoles étaient vétustes, et quand nous allions dans les villes israéliennes voisines comme Kfar Saba, on se demandait déjà pourquoi les Juifs avaient des établissements plus modernes que les nôtres. »
La discrimination est un mot qui revient sans cesse dans la bouche d’Ahmed Tibi. « À tous les niveaux, il y a des écarts entre Juifs et Arabes, déplore le député. À tous les niveaux, les Arabes sont victimes de discriminations : dans la répartition des budgets, l’éducation, le sport, l’agriculture. Dans le service public, ils ne représentent que 7â % des employés. » Estimés à 1,3 million de personnes, les Arabes israéliens représentent aujourd’hui près de 20 % de la population de l’État hébreu. Selon plusieurs études démographiques, avec un indice de fécondité de 4,3 enfants par famille, ils pourraient être majoritaires d’ici à 2035.
Ahmed Tibi revendique une égalité civique et politique totale pour la minorité arabe. « Nous sommes exclus de trente-cinq lois israéliennes, explique-t-il. Je suis en faveur de la coexistence, mais je refuse d’être mis en position d’infériorité devant les Juifs. Nous sommes les enfants et les habitants de cette terre. » Et de dénoncer le modèle politique israélien : « Israël se vend à travers le monde comme un paradis au Moyen-Orient. Au lieu de l’intégrer à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la communauté internationale devrait juger Israël sur ce qu’il est vraiment, une démocratie pour sa majorité juive. »
Reste que les Arabes israéliens, qui disposent du droit de vote, sont avant tout victimes de leurs divisions politiques. « Je souhaite monter rapidement une liste unique qui intègre tous les partis arabes et préserve leur identité, explique Tibi. Nous avons le droit d’avoir des divergences, mais il est temps de s’unir, notre potentiel électoral est énorme. »
Son autre credo est la dénonciation du racisme dans la société israélienne. « Il a commencé avec les Arabes et touche maintenant les Éthiopiens, constate-t-il. C’est une tendance depuis que la gauche a disparu. Les Israéliens sont devenus intolérants. Les racistes qui, hier, étaient dans la rue sont aujourd’hui au pouvoir, comme Avigdor Lieberman. »
Ennemi de l’intérieur
Ahmed Tibi et le chef de la diplomatie israélienne sont des adversaires de longue date. Lieberman a déclaré à plusieurs reprises que Tibi représentait un plus grand danger pour la sécurité d’Israël que le Hamas et le Djihad islamique. Le leader du parti nationaliste Israel Beitenou a également axé sa dernière campagne électorale sur le thème de la loyauté des Arabes israéliens, suggérant que leur citoyenneté leur soit retirée s’ils ne prêtaient pas serment à l’État hébreu. « C’est un comble que Lieberman, qui est arrivé de Moldavie il y a trente ans et qui vit dans une colonie construite sur une terre palestinienne, veuille nous enlever notre citoyenneté », s’offusque Tibi. Si le projet de loi de Lieberman a été rejeté par une commission ministérielle en mai dernier, il illustre sans conteste la méfiance que suscite la minorité arabe, vue par beaucoup d’Israéliens comme une cinquième colonne.
En affichant son soutien aux factions palestiniennes et à leur lutte, Tibi entretient allègrement la confusion : « Ce qu’Israël considère comme des organisations terroristes sont pour les Palestiniens des mouvements de libération nationale », souligne-t-il. Plus d’une fois, il a déclenché la polémique. En avril 2009, il saluait les propos du président palestinien Mahmoud Abbas, qui déclarait « ne jamais vouloir reconnaître Israël comme État juif ». Quatre mois plus tard, lors du congrès du Fatah à Bethléem, il comparait les colons à « des cellules cancéreuses dont il faut se débarrasser ».
Pour la droite israélienne, Ahmed Tibi a clairement le profil d’un traître. En 2002 déjà, le député Michael Kleiner engageait une action contre le député arabe afin de lui interdire tout déplacement dans les territoires palestiniens. L’année suivante, il était privé du droit de se représenter aux élections par la Commission électorale nationale. Dans les deux cas, la Cour suprême israélienne est intervenue pour faire annuler ces décisions.
La souffrance en partage
Conscient de l’hostilité qu’il suscite, Tibi a pourtant reçu les éloges de l’Assemblée nationale en prononçant, le 29 janvier, un discours poignant à l’occasion de la journée commémorant l’Holocauste. « La Shoah a été le plus grand crime contre l’humanité de l’histoire contemporaine. Je suis conscient de la souffrance des Juifs et de leurs peurs. Mais, explique le député arabe, dans le même temps, j’attends d’eux qu’ils ne soient pas indifférents à ma souffrance et à celle de mon peuple. »
La personnalité d’Ahmed Tibi tient dans ses mots. Engagé mais pragmatique, il a toujours su trouver l’équilibre entre ses aspirations politiques, identitaires, et la critique du pays dont il est citoyen. N’hésitant pas à comparer la situation des Palestiniens de Cisjordanie à l’apartheid, proche aussi de certains responsables du Hamas à Gaza, il reste néanmoins partisan d’une solution équitable au conflit : « Je soutiens le principe de deux États pour deux peuples. Mais le gouvernement Netanyahou est en train de rendre impossible une telle issue. L’extension des colonies se poursuit, la confiance est rompue. Ce statu quo est inacceptable… »
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