Passeport numérique : quand le hidjab voile le débat

La numérisation des papiers d’identité suscite une controverse cocasse, voire futile, qui escamote l’enjeu principal : la protection de la vie privée.

La numérisation des papiers d’identité comprend aussi la prise d’empreintes digitales. © DR

La numérisation des papiers d’identité comprend aussi la prise d’empreintes digitales. © DR

Publié le 28 avril 2010 Lecture : 3 minutes.

Enfin un débat de société ! Le passeport biométrique est sur toutes les lèvres. Pour se conformer à la réglementation de l’Organisation internationale de l’aviation civile (OIAC), qui prévoit la généralisation des documents de voyage à lecture optique d’ici au second semestre de 2015, le gouvernement algérien a lancé, le 4 avril, la numérisation des papiers d’identité. Le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, pilote de cette opération politiquement sensible et techniquement complexe, a sillonné le pays pour mobiliser l’administration et les services de sécurité, et expliquer à l’opinion les nouvelles procédures.

La lecture électronique du document impose des conditions drastiques pour la photo qui y figure. Elle devra dévoiler à l’appareil numérique chargé de la reconnaissance une centaine d’indices singularisant un visage, de l’écartement des yeux à la forme des oreilles. Ce qui implique que les femmes en hidjab, soit la majorité des Algériennes, ôtent leur voile au moment de la prise de vue. Autre inconvénient de la lecture optique : la longueur de la barbe du demandeur. Religieuse ou non, la pilosité faciale ne devra pas déborder du cadre de la photo. Sont concernés des centaines de milliers d’Algériens ayant opté pour le look salafiste, avec la chevelure et la barbe abondantes qu’il suppose.

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C’en est trop pour les islamistes et les forces conservatrices, relayés par la presse arabophone, qui s’en donne à cœur joie : « Zerhouni veut dévoiler les Algériennes », « La République se laïcise », ou encore « Le pouvoir plie devant les injonctions de l’Occident ». Partout, on ne parle plus que du « biomitrique », cette satanée numérisation qui impose de « se raser la barbe » et de « se dénuder la tête ». Pourtant, il ne s’agit que de tailler sa barbe, ou de relever légèrement le voile pour que le front et les oreilles soient nettement visibles. Qu’importe, le pouvoir est décrété kafer (« mécréant »). L’offensive est si violente que Zerhouni est obligé de répliquer : « Les nouvelles procédures ne sont pas contraires aux préceptes de la religion, de nombreux théologiens peuvent le certifier. » Seulement voilà, barbe et foulard escamotent ce qui devrait faire débat : l’atteinte à la vie privée.

Fichage

Le dossier du requérant comprend en effet, outre les photos et la prise d’empreintes digitales, un acte de naissance à la dénomination barbare, « 12 S », signé par le maire et un formulaire de douze pages dûment rempli. Le cursus scolaire et universitaire doit être détaillé, et l’on doit donner les noms de trois camarades de classe, leur adresse, leur numéro de téléphone ou leur e-mail. Pour les hommes, des informations sur le service national sont requises, avec, là aussi, une référence à trois anciens camarades du contingent, avec leurs coordonnées. En sus, au moment d’effectuer ces démarches, le demandeur devra être accompagné d’un « répondant », attestant de la véracité des informations données. Il va sans dire que toute fausse déclaration tombe sous le coup du code pénal avec peine de prison à la clé. Les militants des droits de l’homme crient au scandale. « Le pouvoir veut ficher le peuple », s’indigne Me Ali Yahia Abdennour, vedette du barreau, ancien président fondateur de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH). « C’est un passage obligé vers la modernisation de l’administration et l’évolution des mentalités », rétorque Zerhouni.

Le « nimirique », que chantait, il y a quelques années, la star du raï Réda Taliani, n’en finit pas d’empoisonner le quotidien des Algériens, qui viennent d’apprendre qu’en 2011 ils ne pourront plus capter les chaînes de télévision françaises, les diffuseurs d’outre-Méditerranée ayant décidé d’abandonner l’analogique pour… le numérique.

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