Les vérités d’Idriss Déby Itno
Sa relation complexe avec son grand voisin, la disparition de l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh, les suites de l’affaire de l’Arche de Zoé, les scrutins à venir… Le chef de l’État tchadien s’est confié à « Jeune Afrique ».
Jeudi 8 avril, quelques heures avant d’être reçu à l’Élysée par Nicolas Sarkozy, Idriss Déby Itno s’est rendu au siège de Jeune Afrique avec le sourire entendu de celui que les médias n’impressionnent (presque) plus depuis longtemps. Dix-neuf années de pouvoir ponctuées de crises violentes – dont deux attaques de rebelles contre la capitale, N’Djamena – ont donné à ce survivant de 58 ans une sorte de décontraction qui lui permet de parer aux questions qui fâchent avec autant de maestria qu’il est parvenu à éviter les balles de ses ennemis. En état de paix armée avec le Soudanais Omar el-Béchir, depuis sa visite « historique » de réconciliation à Khartoum au début de février, le président tchadien a désormais en tête ses propres échéances électorales, tout en suivant avec appréhension celles de son immense voisin de l’Est. Législatives à la fin de 2010, présidentielle en mai 2011 à laquelle il sera évidemment candidat pour un quatrième mandat consécutif, sur fond d’insécurité alimentaire pour une partie de la population et de développement enrayé par quatre années de quasi-guerre avec le Soudan. C’est dire si la tâche qui attend l’ancien « com’ chef » zaghawa d’Hissène Habré, très contesté par une opposition pugnace, n’est guère aisée.
Avant de quitter le 57 bis, rue d’Auteuil, Idriss Déby Itno a tenu à rendre hommage sur notre livre d’or à Jeune Afrique, qui, écrit-il, « doit poursuivre cette aventure indispensable à la marche de l’Afrique vers la démocratie, l’État de droit et le progrès ». Cela tombe bien : ces trois objectifs résument exactement le vœu qu’à J.A. nous formulons pour le Tchad…
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Jeune Afrique : Où en sont les négociations de Khartoum entre vos représentants et les chefs rebelles Mahamat Nouri et Timane Erdimi ?
Idriss Déby Itno : Elles reprendront début mai, après les élections soudanaises. Mais des contacts ont déjà eu lieu avec ces chefs mercenaires, d’où il ressort qu’un dialogue est possible sur des bases saines. C’est-à-dire qu’il n’y aura ni marchandage ni distribution de postes ou de prébendes. Seule la paix, une paix sans conditions, nous intéresse. Pour le reste, depuis le ralliement il y a quelques jours de la dernière faction armée du Tibesti, il n’y a plus de mercenaires sur le territoire tchadien.
Timane Erdimi est votre ancien collaborateur et votre propre neveu. Lui pardonnez-vous de vous avoir trahi ?
C’est un détail. Et ce n’est pas la première fois qu’un fils ou un frère tente un coup d’État contre son parent. L’important, c’est que le sang ne coule plus et que tous les Tchadiens se retrouvent, Timane comme les autres.
Le Soudan a longtemps été votre ennemi. Depuis la mi-janvier, vous-même et le président Omar el-Béchir avez solennellement remisé les couteaux au placard. Faut-il y croire ?
Je n’ai jamais cru en l’option militaire pour résoudre un problème entre deux voisins et je veux croire que le Soudan est désormais sur la même longueur d’onde.
Omar el-Béchir accueille son homologue tchadien à Khartoum,
le 8 février. Une première depuis 2004. (Photo : ASHRAF SHAZLY/AFP)
Avez-vous confiance en El-Béchir ?
J’ai confiance en notre démarche commune de dialogue. C’est une question de volonté politique.
Un référendum sur l’indépendance du Sud-Soudan est prévu pour janvier 2011. Que vous inspire cette perspective ?
Je vous le dis haut et fort : je suis contre ce référendum et contre cette éventuelle partition. Pour une raison très simple. Nous sommes tous des Soudanais. Nous avons tous un Nord et un Sud, une partie musulmane et une partie chrétienne. Si on accepte l’éclatement du Soudan, comment combattre ailleurs les tentatives de sécession ? L’effet domino sera inévitable, pour notre plus grand malheur. Les pères fondateurs de l’OUA [Organisation de l’unité africaine, NDLR], qui ont gravé dans le marbre l’intangibilité des frontières issues de la colonisation, avaient paré à cette éventualité. Pourquoi insulter leur mémoire ?
Si cela doit se produire, que pourrez-vous faire ?
Rien. Mais ce serait une catastrophe pour l’Afrique. Et puis, pensez-vous réellement que le gouvernement de Khartoum acceptera aussi aisément de perdre le Sud, avec son pétrole et ses minerais ? J’en doute. Dès lors, qui pourra empêcher la guerre de reprendre ?
Vous exigez le départ du Tchad de la mission des Nations unies, la Minurcat. Le secrétaire général Ban Ki-moon souhaite, lui, qu’elle reste. Comment résoudre ce désaccord ?
C’est une affaire simple. La Minurcat est venue au Tchad avec une mission précise à accomplir dans un délai déterminé. Le problème est qu’elle n’a jamais disposé des effectifs qui lui étaient nécessaires – à peine 50 % en réalité – et qu’elle n’a donc absolument rien fait. Résultat : vous avez 2 500 Casques bleus repliés sur leurs positions derrière des rangées de barbelés et de mamelons, qui ne sortent jamais, qui n’assurent pas leur travail de sécurisation des réfugiés et des personnels humanitaires et qui n’ont rien accompli des investissements sociaux qu’ils avaient promis de réaliser. Dans ces conditions, je considère que leur présence n’est plus justifiée, d’autant que nos relations avec le Soudan se sont améliorées. Les militaires de la Minurcat doivent donc plier bagage et quitter le Tchad, même si je conçois que la partie centrafricaine de cette mission doive être maintenue et même renforcée. Les civils, eux, peuvent rester, mais en nombre restreint, adapté aux projets qu’ils sont censés mener à bien
Si l’on en croit ses proches, le colonel rebelle et ancien ministre centrafricain Charles Massi aurait été arrêté le 19 décembre 2009 au Tchad, puis remis sur votre ordre aux autorités de Bangui, avant de disparaître début janvier. L’aviez-vous réellement extradé ?
Charles Massi s’est effectivement rendu à N’Djamena et je l’ai reçu, avec l’accord du président Bozizé. Je l’ai encouragé à rentrer en Centrafrique pour participer au processus électoral, mais il voulait également la garantie du président du Congo, Sassou Nguesso. J’ai contacté ce dernier, qui a accepté de le recevoir en présence du président Bozizé. J’ai donc revu Massi et je lui ai fait remettre un billet d’avion pour Brazzaville. Nous étions alors tout début janvier, peu avant le sommet de la Cemac à Bangui. Mais Charles Massi a profité de l’escale de Douala pour disparaître, et réapparaître quelques jours plus tard à la tête de ses hommes à la frontière tchado-centrafricaine, où il a été tué au cours d’un accrochage avec l’armée. C’est du moins ce que nous a dit le président Bozizé lors du compte rendu qu’il a fait à ma demande devant les chefs d’État, en marge du sommet de Bangui, le 16 janvier.
Le FMI continue de vous reprocher de maintenir vos dépenses militaires à un niveau trop élevé, alors même que vos recettes pétrolières sont en baisse. D’où un déficit budgétaire représentant 20 % du PIB. Comment le Tchad peut-il se développer dans ces conditions ?
De 2005 à 2009 nous avons effectivement consacré à notre armée presque autant de ressources qu’à notre développement. Nous n’avions, hélas, pas le choix. Avant le conflit avec le Soudan, l’armée tchadienne ne comptait pas plus de 25 000 hommes, contre plus de 80 000 aujourd’hui, auxquels s’ajoutent les multiples équipements qu’il nous a fallu acquérir. Si nous n’avions pas consenti à cet effort exceptionnel, on ne parlerait plus du Tchad aujourd’hui. Mais si nos amis du FMI et de la Banque mondiale étaient objectifs, ils reconnaîtraient que, depuis 2003, ce que nous avons dépensé pour la santé, l’éducation et les infrastructures est dix fois, cent fois supérieur à nos dépenses militaires.
Cela fait plus de deux ans maintenant que l’opposant tchadien Ibni Oumar Mahamat Saleh a disparu après avoir été enlevé par des éléments de votre armée. Le 25 mars, des députés français ont exigé toute la lumière sur cette affaire. Que pouvez-vous nous dire de plus ?
Plus de sept cents civils tchadiens sont morts ou ont disparu lors de l’agression des 1er, 2 et 3 février 2008. Parmi eux, beaucoup de cadres connus, dont le leader politique Mahamat Saleh. Nous avons mis en place une commission d’enquête avec la participation de la communauté internationale, laquelle a produit un rapport. Ce rapport a été transmis à des magistrats pour vérification et suites judiciaires éventuelles. Leurs conclusions seront rendues publiques.
Ibni Oumar Mahamat Saleh, l’un des principaux opposants (en portrait, entre son
épouse Sadia et son cousin), a disparu depuis le 3 février 2008. (PATRICK FORT/AFP)
Quand ?
Bientôt, je l’espère. Mais ne comptez pas sur moi pour exiger une date. La justice tchadienne est aussi indépendante que la justice française.
Que répondez-vous aux députés français ?
Que l’Assemblée nationale tchadienne, elle, ne se mêle pas des affaires intérieures françaises et que, un demi-siècle après les indépendances, il serait temps qu’ils se rendent compte que l’époque coloniale est définitivement révolue. Nous avons reçu assez de leçons comme cela.
L’affaire de l’Arche de Zoé est-elle soldée ?
Pas du tout. Le Tchad a payé des compensations aux familles des enfants en lieu et place de la France. Nous attendons depuis deux ans que la France rembourse le Trésor tchadien. Elle nous doit 8 millions d’euros.
Comptez-vous vous rendre à Nice, pour le sommet Afrique-France, puis à Paris le 14 juillet, avec vos soldats ?
Oui, je crois. Tout est programmé.
Et que ferez-vous, au Tchad, pour le cinquantième anniversaire de votre indépendance ?
Rien de très particulier. Cette année sera celle de la relance de l’agriculture, avec pour objectif la sécurité et l’autosuffisance alimentaires. Cela vaut mieux que toutes les commémorations.
C’est un objectif à long terme…
Oui, mais nous y parviendrons. Avant 2020.
L’élection présidentielle, c’est pour dans un an. Vous serez, bien sûr, candidat.
Ce n’est pas ma priorité. En douze mois, on peut faire beaucoup de choses, et je ne veux pas me laisser détourner de mes objectifs par des considérations électoralistes.
Vous étiez à Dakar pour les cinquante ans du Sénégal. Que pensez-vous de ce monument de la Renaissance africaine, qui fait couler beaucoup d’encre ?
Personnellement, je ne critique pas le président Wade pour avoir voulu cette œuvre. C’est notre tour Eiffel, notre statue de la Liberté.
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