Au commencement était le verbe
La Bibliothèque nationale de France propose une grande exposition sur les manuscrits de la mer Morte. L’occasion de comprendre comment la Bible fut écrite.
Printemps 1947, Cisjordanie. Sur un plateau désertique surplombant la mer Morte, deux Bédouins, bien inconscients de la découverte qu’ils sont sur le point de faire, avisent une grotte à flanc de rocher. Ils y pénètrent et découvrent des rouleaux de cuir couverts d’une fine écriture qu’ils rapportent à Bethléem. Leur trouvaille met les archéologues en effervescence : entre 1949 et 1956, ceux-ci découvrent sur le site de Qumrân onze grottes contenant près de neuf cents rouleaux de cuir et de papyrus. Écrits en hébreu et en araméen – les langues de l’antique Judée mais aussi d’un certain Jésus –, les manuscrits sont datés d’entre le IIe siècle avant J.-C. et le Ier siècle de notre ère. Ce sont les plus anciens manuscrits bibliques connus à ce jour et l’une des plus importantes découvertes archéologiques du XXe siècle.
À partir du 13 avril et jusqu’au 11 juillet, la Bibliothèque nationale de France (BNF), à Paris, leur consacre une importante exposition, la première dans l’Hexagone. Difficile d’imaginer, en voyant ces maigres fragments de cuir sous vitrine, que ceux-ci ont révolutionné l’approche de l’écriture de la Bible. « Les manuscrits de la mer Morte soulèvent en fait une question qui avait déjà été posée par de grands penseurs comme Spinoza, à savoir : “Qui a écrit la Bible ?”, explique Laurent Héricher, conservateur en chef à la BNF et commissaire de l’exposition. L’Ancien Testament tel que nous le connaissons a commencé à partir du VIe siècle à se fixer, mais, jusqu’à présent, nous ignorions ce qui s’était passé avant. Les manuscrits de la mer Morte nous apportent le chaînon manquant. »
Intervention humaine
Il fut un temps où dire que la Bible avait pu être « composée » relevait du pur blasphème. Pourtant, une grande partie des écrits retrouvés à Qumrân sont des versions anciennes du récit biblique ou des textes dits apocryphes, c’est-à-dire des textes religieux non intégrés dans le canon officiel, avec des éléments en plus ou en moins par rapport aux versions que l’on connaît aujourd’hui. Et qui confirment donc que l’homme est intervenu pour faire un choix. Preuve à l’appui, la BNF expose à côté des fragments des manuscrits de multiples exemples de Torah, et de bibles médiévales et modernes pour mieux expliquer ce processus de sélection.
Certes, les différences sont souvent minimes et intéressent surtout les spécialistes. On apprend ainsi certains détails inédits : Adam et Ève auraient passé sept ans au paradis avant d’en être renvoyés ; les « fils d’Israël » étaient appelés, dans des versions antérieures, simplement « fils de Dieu »… L’exposition s’attarde aussi sur le cas du Livre d’Hénoch. Les écrits attribués à ce patriarche de l’Antiquité et arrière-grand-père de Noé avaient été en grande partie écartés des bibles juives et catholiques. À Qumrân, où Hénoch semble avoir été particulièrement révéré, on a retrouvé un manuscrit en araméen de son livre qu’on pensait perdu. En bref, on comprend mieux comment, par le jeu des ajouts et des retraits, le texte sacré a été élaboré avant d’être gravé dans le marbre.
Quant à répondre à la question « Qui a écrit ? », le mystère reste entier. Si une bonne partie des manuscrits sont liés à des textes déjà connus, le reste des écrits de la mer Morte concerne un groupe religieux inconnu. De nombreux manuscrits, tel le Rouleau du temple, l’une des plus belles pièces exposées, mentionnent les habitudes et règles de vie d’une communauté juive. Mais a-t-elle habité aux alentours du site de Qumrân, comme pourrait le laisser penser un site archéologique situé à proximité ? Ou bien les manuscrits ont-ils simplement été cachés ici ? Les fouilles effectuées autour des grottes, dont la BNF expose de nombreux objets (« jarres à manuscrits » typiques de Qumrân et qui n’ont probablement jamais servi à contenir des manuscrits, ossements trouvés dans un cimetière proche…), ne sont pas assez significatives pour répondre à ces questions.
La théorie la plus séduisante – et la plus souvent retenue – est celle d’un site essénien. Les Esséniens sont, avec les Pharisiens et les Sadducéens, l’une des trois grandes sectes juives mentionnées dans les textes de l’Antiquité. Mais jamais on n’a trouvé de traces de l’existence de ces hommes surnommés les Pieux en raison de leur pratique religieuse ascétique. Or les manuscrits trouvés à Qumrân évoquent précisément de nombreuses règles de vie d’une communauté d’hommes très religieux, pratiquant le célibat, la règle du repas en silence, les bains rituels et la recherche d’une mystérieuse « Connaissance ».
Enigmatique
Ce groupe, très hiérarchisé et dirigé par un énigmatique « maître de justice », s’attribuait des titres tels que les Saints ou les Nombreux, dénominations qu’on retrouvera plus tard dans le Nouveau Testament, et vivait dans l’attente d’un messie. Certains voient ici un lien avec le christianisme, évoquant même la possibilité que Jésus ait vécu ici. Cependant, rien ne le prouve, et quant au mot « essénien », il n’apparaît dans aucun manuscrit. Qumrân reste donc pour le moment une énigme : « Ce qui est incroyable, commente Laurent Héricher, car, quand on y pense, cette “bibliothèque”, de par sa taille, était sans doute un centre intellectuel influent et connu. Peut-être la découverte d’autres sites dans la région permettra-t-elle un jour d’en dire davantage. »
En somme, l’exposition de la BNF soulève presque autant de questions qu’elle apporte de réponses. Longtemps restés peu accessibles, sans doute pour des raisons politiques*, les manuscrits de la mer Morte commencent à peine à être compris et interprétés, et font encore l’objet de nombreuses recherches. De quoi faire fantasmer en attendant qu’ils ne révèlent tous leurs secrets…
* La propriété des manuscrits fait polémique : la majeure partie des précieux rouleaux est aujourd’hui détenue par Israël, à la suite de la guerre des Six-Jours et de l’annexion de la Cisjordanie en 1967. La Jordanie en réclame régulièrement la restitution, comme en 2009 à l’occasion d’une exposition à Toronto, au Canada.
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