L’Asie du Sud-Est à l’heure africaine
Après la Chine, l’Inde ou le Japon, c’est au tour des petits dragons asiatiques de fondre sur le continent. Peu attirés par les matières premières, ils cherchent d’abord à vendre leurs produits et leurs technologies.
«Aidez-nous à mieux connaître votre continent, montrez-nous les opportunités d’investissement… Le gouvernement de Singapour et toutes ses entreprises sont très intéressés par l’Afrique. » Dans la somptueuse salle de conférence de l’hôtel Shangri La, à Singapour, où s’est tenu, les 5 et 6 avril, le premier forum d’affaires entre l’Afrique et l’Asie du Sud-Est, l’appel d’Alphonsus Chia Chung Mun, le directeur général de Singapore Cooperation Enterprise (SCE), a résonné comme le coup d’envoi d’une nouvelle ère de partenariat entre ces deux régions. Une coopération d’un nouveau type, fondée sur le principe gagnant-gagnant, comme les opérateurs économiques des deux zones affirment le vouloir.
Derrière ces efforts de rapprochement pointe la nécessité de renforcer les échanges, plutôt maigres pour l’instant. En 2008, les entreprises d’Asie du Sud-Est ont réalisé pour 284 millions de dollars de ventes en Afrique (214 millions en 2007).
En ce lundi de Pâques, face au patron de l’organisation gouvernementale singapourienne chargée de nouer des coopérations à l’étranger, un parterre d’une centaine de chefs d’entreprise africains de haut rang – Jean-Louis Billon, à la tête de la Sifca, Arnold Ekpe, le patron d’Ecobank… – qui ont financé la rencontre pour vendre l’Afrique comme une destination d’investissements rentables à leurs homologues asiatiques, au nombre d’une soixantaine. Leur discours : « Nous ne demandons ni de l’aide au développement ni de l’assistance. Avec vous, nous voulons discuter affaires, joint-ventures… » Et pour convaincre leurs interlocuteurs singapouriens, malaisiens, indonésiens ou vietnamiens, toujours frileux lorsqu’il s’agit d’investir en Afrique, les arguments n’ont pas manqué : recul des conflits, amélioration de l’environnement des affaires, croissance économique d’environ 6 % par an dans un contexte de crise mondiale, émergence d’une classe moyenne… Des thèmes qui ne laissent pas indifférents les groupes asiatiques en quête de nouveaux marchés pour leurs produits, et qui, à l’opposé des mastodontes que sont la Chine, l’Inde et le Japon, n’ont pas de gros appétits pour les ressources naturelles du continent.
De fait, « ce qui intéresse les entreprises de la zone Asean [Association des nations de l’Asie du Sud-Est, NDLR], c’est de pouvoir vendre des biens et des technologies aux Africains depuis chez eux. Cela peut être bénéfique pour l’Afrique qui pourrait acquérir les compétences lui manquant pour transformer ses produits de base », explique Ntoudi Mouyelo, le responsable du développement institutionnel de la branche singapourienne d’une banque européenne. Il s’agit donc pour ces compagnies asiatiques d’y exporter des savoir-faire et des pratiques qui permettront à des partenaires africains d’apporter de la valeur ajoutée à leur production.
Aujourd’hui, l’exemple le plus abouti de coopération entre des entreprises sud-asiatiques et africaines est celle qui lie l’ivoirien Sifca avec Wilmar International et Olam International, tous deux basés à Singapour. Cette alliance, signée en 2008, a permis à Sifca de bénéficier de 132 millions de dollars d’argent frais, mais aussi d’améliorer la qualité de sa production. Ainsi, Olam et Wilmar détiennent 50,5 % (le reste appartient à Sifca) de la société ivoirienne Sania, qui construit à Abidjan une usine de fabrication d’huile de palme dont la production atteindra 1 500 tonnes par jour, pour un investissement de 15 milliards de F CFA (22 millions d’euros). Sur le site, une cinquantaine d’ouvriers et les technologies sont asiatiques. La fabrication démarrera en mai 2010 avec des coûts de production divisés par deux.
Enormes opportunités
Selon Alphonsus Chia Chung Mun, si l’agrobusiness présente « d’énormes opportunités » de partenariats, « il en existe plusieurs autres. Seul un partage d’informations entre les différents acteurs des deux zones peut permettre de bien les spécifier ».
Fin mars, une délégation de dirigeants et d’hommes d’affaires singapouriens a effectué une tournée qui l’a menée, entre autres, au Kenya, en Tanzanie et au Rwanda. Au pays de Paul Kagamé, dont les aspirations à devenir le « Singapour de l’Afrique » sont connues, la société Sabana, équivalent singapourien d’Alstom, réfléchit avec les autorités locales à un projet de développement d’infrastructures de transports urbains. Plusieurs autres projets de ce type seraient également à l’étude au Nigeria et en Tanzanie…
Nul doute que des annonces officielles, y compris dans le domaine de l’énergie, seront faites en juillet, date à laquelle la cité-État, dont le niveau de développement économique était comparable à celui de la Côte d’Ivoire ou du Ghana dans les années 1950, organise son premier rendez-vous avec l’Afrique. Une rencontre au cours de laquelle les autorités singapouriennes entendent réunir chefs d’État et de gouvernement, ainsi que des hommes d’affaires issus de toute l’Afrique subsaharienne, afin de renforcer les échanges commerciaux.
En réalité, les pays d’Asie du Sud-Est, poussés par la crise mondiale, qui a affaibli les économies occidentales, ont commencé à être plus agressifs sur le continent. Temasek, un fonds souverain de Singapour qui gère 142 milliards de dollars d’actifs en Asie et aux États-Unis, a annoncé fin mars un investissement de 100 millions de dollars dans la société minière sud-africaine Platmin, spécialisée dans la production de platine. Après une baisse de ses bénéfices sur son exercice 2009, le fonds est en quête de nouveaux champs d’action. Cet apport de capitaux singapouriens devrait permettre à la junior sud-africaine, qui cherche à lever quelque 250 millions de dollars pour augmenter sa production et se développer grâce à de nouvelles acquisitions, d’atteindre rapidement cet objectif. « C’est certainement un début, on entendra encore parler de Temasek sur le continent au cours des prochains mois », soutient un financier congolais installé à Singapour.
À l’instar du fonds singapourien, qui a été représenté au forum d’affaires des 5 et 6 avril par un Nigérian, son homologue malaisien Khazanah, représenté par un Camerounais, nourrit lui aussi un réel intérêt pour l’Afrique, qu’il considère aujourd’hui comme la « nouvelle frontière ». Si ce n’est la dernière.
Très discrets lors de la rencontre, les deux fonds, qui investissent chaque année entre 5 et 8 milliards de dollars, ont établi de nombreux contacts avec des entreprises africaines. Les deux entités agiront toutefois différemment. Le mode opératoire du fonds malaisien à l’international consiste à injecter de l’argent via ses entreprises nationales plutôt que d’investir directement. La compagnie pétrolière malaisienne Petronas illustre parfaitement cette stratégie. Grâce à l’appui de Khazanah, Petronas est devenu, en l’espace de trois décennies, un géant du secteur au niveau mondial. Le groupe réalise 50 % de ses revenus à l’international. À travers sa filiale sud-africaine Engen, Petronas a déjà un pied sur le continent. Sans nul doute, un exemple à suivre…
Source : Jeune Afrique
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