Dati fait de la résistance
Propulsée garde des Sceaux en 2007, avant d’être expédiée au Parlement européen, privée de voiture de fonction, accusée de faire courir des rumeurs sur le couple présidentiel… La flamboyante icône de l’intégration réussie a perdu la confiance de Nicolas Sarkozy. Mais elle s’accroche.
En politique encore plus qu’ailleurs, l’ascenseur de la réussite fonctionne dans les deux sens. Après une progression météorique dans les hautes sphères de la République, puis un début de purgatoire au Parlement européen, Rachida Dati a été aspirée, la semaine dernière, par un tsunami politico-médiatique.
Il y a 44 ans, une mauvaise fée s’est-elle glissée parmi ses gentilles consœurs sur le berceau de l’ex-ministre de la Justice ? Née d’un père marocain, maçon, arrivé en France en 1963, et d’une mère algérienne, deuxième d’une fratrie de douze, l’icône de l’intégration réussie et de la méritocratie républicaine, avec qui la presse française a très vite noué une relation passionnelle, semble payer aujourd’hui le prix fort de sa proximité avec le président Nicolas Sarkozy. « À trop vouloir frôler les rayons du Roi Soleil, le papillon s’est brûlé les ailes », ironise un magistrat syndicaliste.
Politiquement affaibli par la débâcle des élections régionales de mars dernier, le chef de l’État semble décidé à régler des comptes. Et à faire le ménage. Dans son viseur, une première cible : Rachida Dati, accusée d’être à l’origine des rumeurs faisant état de la fragilité supposée du couple qu’il forme avec Carla Bruni. Des rumeurs relayées par la presse internationale et qui ont parasité deux visites présidentielles, à Londres et à Washington.
Glamour et clinquant
C’est l’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné qui, en France, a éventé une partie de cet imbroglio que certains qualifient de « véritable cabale » contre l’ex-ministre, en révélant les conditions dans lesquelles sa limousine de fonction gouvernementale, son téléphone portable et ses quatre gardes du corps lui ont été brutalement retirés, le 14 mars, sur ordre de l’Élysée. Rachida Dati, dont le côté glamour, les toilettes haute couture, les bijoux clinquants et les foucades s’étalaient sur les couvertures des magazines, était certes déjà tombée en disgrâce depuis plusieurs mois. En juin 2009, son éviction du ministère de la place Vendôme, aussi prestigieux que sensible, avait donné un premier coup d’arrêt à une ascension jusque-là irrésistible et à une réussite qu’une partie de l’UMP, sa famille politique, jugeait presque insolente. Alors que, dans le cadre de sa politique « d’ouverture », Nicolas Sarkozy avait déjà attribué des postes stratégiques à des transfuges de l’opposition, certains barons du parti majoritaire avaient mal digéré la nomination de Dati à un ministère régalien.
L’ex-auditrice de justice, qui doit l’essentiel de sa carrière à son audace et à son opportunisme, trébuche lourdement en imposant avec brutalité les réformes voulues par l’Élysée (peines plancher, réforme de la carte judiciaire et de la procédure pénale…). Magistrats, greffiers, avocats, surveillants de l’administration pénitentiaire : Rachida Dati fait très rapidement l’unanimité contre elle. Surnommée Cruella au Palais de justice de Paris, mais parée du soutien de l’Élysée et s’abritant systématiquement derrière la volonté réformatrice de son locataire, la première garde des Sceaux d’origine étrangère n’a pas su voir à temps à quel point ses méthodes expéditives irritaient des professions qui ont gardé le goût des convenances républicaines.
Lachâge progressif
« Elle a un talent fou et je l’aime ! » Qu’avait donc à craindre celle que le président avait ainsi encensée publiquement ? La lassitude, puis l’exaspération de ce même Nicolas Sarkozy, qui s’est finalement laissé convaincre, en octobre 2008, que « le seuil d’incompétence » de son ex-protégée était atteint. Confiant les affaires sensibles à son conseiller justice, Patrick Ouart, devenu ministre-bis Place Vendôme, le président a été à la manœuvre de ce lâchage progressif.
Entretemps, la flamboyante beurette se fait élire maire du VIIe arrondissement, l’un des quartiers les plus bourgeois de la capitale. Et, en janvier 2009, la naissance de la petite Zohra fait les choux gras de la presse people. Sauf dans le premier cercle élyséen, on ignore toujours officiellement le nom du père de l’enfant, et Rachida, ambassadrice de charme du « travailler plus pour gagner plus » – la devise électorale de son mentor –, reprend sa place au gouvernement après seulement cinq jours de congé maternité. Mais elle le sait déjà : ses jours à la Chancellerie sont comptés. C’est donc sans surprise qu’en juin 2009, après son élection au Parlement européen, elle quitte les ors de la République pour le décorum plus austère des palais de Strasbourg et de Bruxelles. Simple accident de parcours, prédisent les uns, qui assurent que la jeune femme va rebondir et prépare son grand retour sur la scène politique française. Le début de la fin, pronostiquent ses (nombreux) adversaires. Car, même reléguée dans les couloirs des usines à gaz européennes, la pétillante Dati arrive à faire parler d’elle. Son style reste sa meilleure arme pour exister médiatiquement. Le téléphone portable vissé à l’oreille ou manipulé frénétiquement pour envoyer des SMS, entre deux TGV, deux avions ou deux séances photos, elle se montre relativement assidue aux séances du Parlement de Strasbourg. Et prépare sa revanche en lorgnant sur la mairie de Paris, déjà convoitée par le Premier ministre, François Fillon.
Avec le couple Sarkozy, à l’Elysée, pour un dîner donné en l’honneur du président israélien Shimon Pérès en 2008
© Philippe Wojazer / AFP
Mais, là encore, sa désinvolture et sa propension à s’afficher devant les médias agacent certains de ses collègues eurodéputés. En décembre dernier, une chaîne de télévision enregistre à son insu une conversation avec une amie, au cours de laquelle elle lâche : « Je n’en peux plus. Il va y avoir un drame avant que je finisse mon mandat. Je suis obligée de rester là parce qu’il y a la presse et l’élection de Barroso. »
Le drame s’est peut-être produit la semaine dernière. Rachida Dati, dont les anciennes fonctions à la Chancellerie (lutte contre le terrorisme islamiste ou basque, sulfureuse affaire Clearstream…) justifient le maintien sinon d’une voiture de service, au moins d’une protection rapprochée, est désormais une femme seule. Après avoir été brutalement privée de ces avantages, elle apprend que ces mesures de rétorsion ont été décidées par Nicolas Sarkozy pour la punir d’avoir colporté des rumeurs sur la prétendue crise conjugale du couple présidentiel.
Terrain glissant
Alors qu’une enquête judiciaire a été ouverte pour déterminer l’origine de ces bruits, qui ont été amplifiés sur internet, l’intrigant Pierre Charon, conseiller en communication du président, tire à l’arme lourde : « Nous faisons de cette ignominie un casus belli. […] Comme on dit, la peur doit changer de camp. » Si le nom de l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin est également cité dans l’entourage du chef de l’État, c’est Rachida Dati qui est directement visée par ces attaques. Sans attendre les résultats d’une enquête qui risque de s’aventurer sur le terrain glissant du secret de la correspondance (écoutes téléphoniques et interceptions informatiques), l’intéressée réplique : « Moi je n’ai peur de rien, je fais la différence entre le président de la République et son entourage. »
Interrogée à son tour, Carla Bruni-Sarkozy elle-même tente de calmer le jeu en assurant que Rachida reste « l’amie » du couple présidentiel, et exclut la thèse d’un « complot » pourtant avancée par Charon et Me Thierry Herzog, l’avocat de Nicolas Sarkozy. Mais ces mises au point successives tournent à l’affaire d’État, et de nombreux commentateurs s’interrogent sur la pertinence du courroux présidentiel. Jusqu’au très conservateur Figaro, qui s’inquiète des conséquences politiques de ce règlement de comptes : « C’est bien l’extrême vulnérabilité du pouvoir qui se lit dans cette affaire, ce manque de sang-froid de l’exécutif est préoccupant. »
À l’Élysée, la blessure du divorce de Nicolas Sarkozy et de Cécilia, annoncé en octobre 2007 par Me Georges Kiejman, actuel conseil de Rachida Dati, n’est peut-être pas encore totalement cicatrisée. Cécilia, qui disait de Rachida : « C’est plus qu’une amie, c’est ma sœur. Elle est de la race des seigneurs. » Femme de réseaux, en France (notamment dans les banlieues et dans le patronat) comme à l’étranger (surtout au Qatar et au Maroc), l’ancienne ministre de la Justice ne sera pas facile à abattre. Nicolas Sarkozy, qui pourrait être la principale victime de ce vaudeville médiatico-politico-judiciaire, l’a sans doute compris trop tard.
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