Identité et vieux démons

Maladroites, les déclarations du Premier ministre sur l’arabité du pays suscitent une levée de boucliers au sein de la population d’origine subsaharienne.

Lors de la manifestation d’étudiants noirs devant l’université de Nouakchott, le 24 mars. © D.R

Lors de la manifestation d’étudiants noirs devant l’université de Nouakchott, le 24 mars. © D.R

Publié le 21 avril 2010 Lecture : 3 minutes.

La Mauritanie est-elle arabo-berbère ? Noire ? Les deux ? Cinquante ans après son indépendance, le « trait d’union entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne » – référence à la situation du pays et à la diversité de sa population – n’en a pas encore fini avec les questions identitaires.

Le 25 mars, Nouakchott fêtait la « réconciliation nationale », instaurée en 2009 par le président Mohamed Ould Abdelaziz pour rendre hommage aux victimes des « années de braise », ces dizaines de milliers de Noirs qui, au tournant des années 1980, fuyant le racisme arabo-berbère, durent se réfugier au Sénégal et au Mali, alors que des centaines d’autres, surtout dans l’armée et l’administration, subissaient des exactions parfois meurtrières.

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Haro sur le français

Jusqu’au mea culpa d’« Aziz », il y a un an, ces années de plomb étaient soigneusement occultées dans l’histoire officielle. Une censure qui a renforcé chez les Noirs l’impression d’être discriminés. Mais le pardon présidentiel n’aura que brièvement dissipé la méfiance. Dès sa seconde édition, une controverse aux relents racistes autour de la langue arabe a parasité la « réconciliation nationale ». Elle tient à deux phrases malheureuses lancées par le Premier ministre, Moulaye Ould Ahmed Laghdaf, le 1er mars, lors de la Journée internationale de la langue arabe : « Nous allons faire de la promotion de la langue arabe et de sa défense un principe, de son appui et de sa généralisation comme langue de travail […] un objectif. » Selon lui, un sursaut s’impose pour sauvegarder l’arabe, la langue « officielle » (selon la Constitution), menacée par celle de l’ex-colonisateur, le français, utilisé dans l’administration et des entreprises.

Une partie des Noirs, dont l’arabe n’est pas la langue maternelle, a accueilli ce discours avec suspicion. « Il ne faudrait pas que l’arabe devienne un instrument d’oppression », a averti Kaaw Touré, porte-parole des Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam), dont le cheval de bataille est le partage du pouvoir entre Arabo-Berbères et Noirs. Trois jours plus tard, en conférence de presse, un journaliste noir demande au Premier ministre de traduire en français des propos qu’il venait de tenir en arabe. Réponse d’Ould Ahmed Laghdaf : « Nous sommes en Mauritanie, c’est un pays arabe. » Nouvel émoi de la communauté noire : « La Mauritanie est un pays arabe, mais pas seulement, elle a une double appartenance », selon Kane Hamidou Baba, candidat à la présidentielle de 2009. La polémique enfle et donne lieu, le 24 mars, à des manifestations d’étudiants noirs devant l’université de Nouakchott. Le lendemain, la réconciliation nationale est célébrée dans un climat tendu.

« Choc des frustrés »

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Les craintes d’une nouvelle explosion de racisme sont-elles justifiées ? Le 14 mars, huit partis politiques ont organisé un point de presse sur le thème « la primauté de l’arabe doit être absolue et perpétuelle ». Mais aucune « grande » formation n’y a pris part. De leur côté, les autorités se veulent rassurantes : « Nous sommes un pays divers et fier de sa diversité, se défend le Premier ministre. L’arabe a été le véhicule de notre culture islamique. […] Il y a lieu de le préserver. […] Mais ce n’est nullement exclusif. Chaque Mauritanien doit se revendiquer de l’arabe, mais aussi du pular, du soninké et du wolof. »

Pour Mohamed Ould Maouloud, président de l’Union des forces de progrès (UFP), les réactions aux propos du Premier ministre sont le résultat d’un « choc des frustrés ». D’un côté, les Noirs, qui n’ont « pas de garantie pour l’avenir », leurs langues – soninké, pular notamment – étant qualifiées par la Constitution de « langues nationales », expression floue ne donnant lieu à aucune application pratique. De l’autre, les nationalistes arabes, qui craignent pour le devenir de leur identité. En 1999, le bilinguisme avait été imposé à l’école, le français étant réservé aux matières scientifiques et l’arabe cantonné aux matières littéraires. « Les autorités doivent se tenir à équidistance des Arabo-Berbères et des Noirs », poursuit Ould Maouloud, préférant voir dans les déclarations du Premier ministre des « maladresses ». Chacun ne demande qu’à le croire.

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