Un superflic nommé Affani ?

Figure de la lutte antiterroriste, il est favori pour succéder à feu Ali Tounsi au poste de directeur général de la Sûreté nationale.

Pendant les obsèques d’Ali Tounsi, à Alger le 26 février 2010. © D.R

Pendant les obsèques d’Ali Tounsi, à Alger le 26 février 2010. © D.R

Publié le 19 avril 2010 Lecture : 4 minutes.

Évoquer la succession ou l’héritage d’un disparu avant l’expiration de la période de deuil de quarante jours est, selon le droit coutumier musulman, indécent. Le cas du colonel Ali Tounsi, alias Ghouti, directeur général de la Sûreté nationale (DGSN, police), assassiné le 25 février par un de ses plus proches collaborateurs, n’a pas fait exception. Le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, a certes désigné un intérimaire dès l’officialisation du décès du patron de la police, mais il a scrupuleusement respecté cette règle non écrite en évitant d’évoquer, en public, la succession de son « compagnon d’armes ». Depuis le 6 avril, quarantième jour de deuil, les spéculations autour de l’identité du futur DGSN vont bon train. L’intérimaire, le commissaire divisionnaire Abdelaziz Affani, a les faveurs des pronostics.

Né en 1955 à Mostaganem, Abdelaziz Affani a choisi de devenir policier après une licence de droit et un magistère en droit pénal à la faculté de Ben Aknoun. En 1982, il intègre l’École supérieure de police de Châteauneuf, à Alger, où il obtient le grade d’inspecteur principal. Dix ans plus tard, l’Algérie entre dans une zone de turbulences avec le déclenchement d’une insurrection islamiste particulièrement barbare. « La maison poulaga était en première ligne, se souvient un commissaire à la retraite, visiblement amateur des répliques de Michel Audiard. Premières cibles des terroristes, les policiers se faisaient tirer comme des lapins. Aux pertes quotidiennes se greffait une inquiétante multiplication des désertions. Le recrutement de nouveaux policiers était de plus en plus difficile, et les vocations se faisaient rares. Certaines régions étaient plus dangereuses que d’autres, et peu de cadres se proposaient de rejoindre les villes les plus exposées comme Alger, Boumerdès ou Jijel. Affani fait partie des rares flics à avoir demandé une affectation dans ces trois villes. »

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Changement « générationnel »

En 1995, Abdelaziz Affani demande à sa hiérarchie une mutation à Alger, où sévissaient alors les cellules urbaines des Groupes islamiques armés (GIA) ou du Front islamique djihadiste algérien (Fida, spécialisé dans l’élimination d’intellectuels et de journalistes). Il prend la tête de l’opérationnel. Port permanent d’un gilet pare-balles, patrouilles nocturnes dans les quartiers les plus chauds de la capitale, Kalachnikov avec double chargeur en bandoulière, la carrière d’Abdelaziz Affani évolue au rythme de deux à trois accrochages par jour. Son premier fait d’armes ? Le démantèlement du QG du Fida, à la cité Saïd Hamdine, sur les hauteurs de la capitale, au terme d’une spectaculaire prise d’otages et du long siège d’un appartement où s’étaient réfugiés les chefs du Fida avec leurs captifs.

« Entre 1995 et 2002, quand Abdelaziz Affani n’est pas en opération, témoigne notre fan d’Audiard, il supervise la formation des troupes d’élite de la police. » Cette victoire contre la guérilla urbaine à Alger vaut à Abdelaziz Affani d’être promu commissaire divisionnaire. « Pas planqué pour un sou, poursuit notre témoin, privilégiant l’action au confort douillet des bureaux, il demande à rejoindre, en 2002, une autre ville sensible : Jijel. » Les dernières poches de l’insurrection urbaine dans l’ancien fief de l’Armée islamique du salut (AIS, branche armée du front du même nom) doivent être « nettoyées ». À l’issue de cette mission, Affani est muté à Boumerdès, où sévit le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, devenu Al-Qaïda au Maghreb islamique, Aqmi). C’est là que viendra le chercher, en novembre 2008, Ali Tounsi pour lui confier la direction nationale de la police judiciaire, poste qu’il occupera jusqu’à l’assassinat de ce dernier.

Le choix du DGSN relève des prérogatives du président de la République, mais il y a fort à parier que Yazid Zerhouni aura son mot à dire. Pour deux raisons. La première tient à son statut de « premier flic » du pays, en sa qualité de ministre de l’Intérieur et, partant, de ministre de tutelle du patron de la police. La seconde réside dans l’entière confiance dont il jouit auprès du chef de l’État. Et si, pour les raisons de deuil expliquées plus haut, Zerhouni s’est abstenu de tout commentaire quant à la succession de Tounsi, les propos élogieux qu’il a adressés à Abdelaziz Affani, le 28 mars, à Oran, lors d’une conférence régionale sur la mise en œuvre de la carte d’identité et du passeport numériques (voir encadré), laissent à penser que l’intérimaire pourrait hériter du poste. Une telle décision devrait être bien accueillie par la corporation. Pour la première fois depuis l’indépendance, les policiers pourraient avoir à leur tête l’un des leurs. À une exception près (M’hamed Tolba fut, en 1993, le seul DGSN « civil »), tous les patrons de la police étaient issus de l’Armée de libération nationale (ALN), tirant leur légitimité de leur participation à la guerre contre le colonialisme, le dernier en date étant Ali Tounsi.

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Le choix d’Abdelaziz Affani constituerait donc le premier changement « générationnel » à la tête d’une institution considérée comme un pilier du système qui gouverne l’Algérie depuis 1962. Autre changement significatif qu’introduirait la confirmation d’Abdelaziz Affani : la participation à la lutte contre le terrorisme deviendrait un critère de légitimation pour accéder aux hautes fonctions de la République. Ce ne serait que justice pour des milliers de cadres qui ont combattu l’hydre djihadiste.

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