Révolution royale
Le pays est en train de changer de visage. Instigateur de cette mue modernisatrice : le roi Abdallah Ibn Abdelaziz en personne.
L’Arabie saoudite est le théâtre d’une révolution qui pourrait bien bouleverser le pays, mais aussi la région. Son instigateur n’est autre que le roi Abdallah Ibn Abdelaziz, 86 ans, qui règne sur le royaume depuis quatorze ans : neuf en tant que régent (pendant l’invalidité de son demi-frère, le roi Fahd), cinq en tant que roi.
Pour un révolutionnaire, le roi a un style plutôt dépouillé. Ses discours par exemple sont dépourvus de toute emphase. Ceux qui le connaissent évoquent sa modestie et sa simplicité. Mais il a su, grâce à un sens politique aigu et à une détermination sans faille, imposer, tant sur le plan intérieur qu’en matière de politique étrangère, une série de changements parfaitement révolutionnaires qui sont en train de faire de l’Arabie saoudite une puissance régionale dont l’influence s’étend bien au-delà du Moyen-Orient. Quiconque a assisté à la 25e édition de la Janadriyah, le grand festival du patrimoine et de la culture, qui s’est tenue en mars, n’a pu manquer de relever la fierté et la ferveur patriotique qui ont entouré les célébrations.
Le royaume compte 20 millions d’habitants, 7 millions d’expatriés et entre 1 et 3 millions d’immigrés illégaux. Un million de Saoudiens sont riches ou très riches ; 60 % à 70 % de la population appartiennent à la classe moyenne, dont les revenus et les modes de vie sont très variés ; et 22 % des habitants vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Grâce aux progrès de l’éducation, le taux de croissance démographique a été ramené de 4 % à 2,4 %. Mais c’est peut-être la jeunesse du pays qui est l’indicateur le plus significatif : 83 % de la population a moins de 29 ans.
Riyad a longtemps été exclusivement tourné vers la péninsule Arabique. Le roi Abdallah a ouvert le royaume sur le monde.
Bien qu’alliée des États-Unis, l’Arabie saoudite diversifie ses partenariats. Désormais, la Chine lui achète plus de pétrole que l’Amérique. Cette année, la France a été l’invitée d’honneur de la Janadriyah. Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, était à la tête d’une forte délégation, et le pavillon français a été l’attraction du festival. La France aurait, dit-on, prêté main-forte à Riyad lors de sa récente campagne militaire contre les rebelles houthis du nord du Yémen. Autre signe qui n’a pu échapper aux États-Unis : Yevgeni Primakov, ancien Premier ministre russe, était assis au côté du roi au cours du dîner officiel.
L’Arabie saoudite est très préoccupée par les guerres américaines en Irak et en Afghanistan. Abdallah a été l’un des premiers à percevoir les dangers de la campagne des néoconservateurs contre l’islam. Pour protéger la région de leurs desseins obsessionnels – en particulier celui de la remodeler à l’avantage d’Israël –, il n’avait pas hésité à qualifier d’illégale la présence américaine en Irak. Une manière de se prémunir contre les dégâts causés par la politique étrangère de Bush et de promouvoir la paix dans le monde arabe. C’est pourquoi il a multiplié les initiatives pour réduire les tensions au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG), réconcilier le Fatah et le Hamas, trouver un compromis politique au Liban et renouer avec la Syrie. La résolution des conflits arabes doit, selon lui, être l’œuvre des Arabes.
Parallèlement, sur la scène intérieure, une bataille idéologique est en cours, qui intéresse toute la région. Les extrémistes, dont Al-Qaïda, s’en prennent violemment au royaume – et au réformisme du roi. Ils cherchent à propager leur idéologie radicale via internet, les mosquées, les écoles… et les femmes, qui représentent souvent la frange la plus conservatrice de la société. Répression, campagne de prévention ou de rééducation… le roi travaille d’arrache-pied pour contrer leur influence. Mais sa méthode préférée pour les combattre, c’est le dialogue.
Dans un premier temps, les intégristes n’ont pas souhaité débattre. Mais l’implication progressive des intellectuels saoudiens a fini par conduire à l’ouverture de discussions fructueuses. C’est une étape importante. Les intégristes sont certes sur la défensive, mais pas défaits, loin de là.
Débat critique
Cette année, la Janadriyah a rassemblé quelque quatre cents intellectuels de tous horizons, dont certains se sont montrés très critiques envers les orientations de l’Arabie saoudite. Mais la tenue même du débat, qui fut riche et animé, prouve que Riyad est en train de réformer sa société et ses modes de pensée, tout en restant fermement ancré dans l’islam.
C’est peut-être l’accent mis sur l’éducation qui est le changement le plus spectaculaire. Chaque jour, deux nouvelles écoles sont créées. Il y a six ans, le royaume ne comptait que quatre universités. Aujourd’hui, il y en a vingt-quatre, souvent engagées dans un partenariat avec des établissements étrangers. Et environ 70 000 Saoudiens étudient sous d’autres cieux (États-Unis, Europe, Chine, Japon…).
Forte d’une dotation de 10 milliards de dollars, l’Université des sciences et des technologies du roi Abdallah (Kaust) nourrit l’ambition de se tailler une renommée mondiale. L’établissement est mixte : c’est en soi une révolution, qui a bien sûr déclenché les foudres des intégristes. Mais la promotion des femmes comme des partenaires égaux est l’un des principaux objectifs du roi. Une progressiste, Noura al-Faiz, a été nommée ministre adjointe pour l’Éducation des femmes – une première ! Faisant fi de l’opposition des intégristes, elle a déjà décidé que les trois premières années de la scolarité seraient mixtes.
Mais c’est l’université Princesse-Noura, pour les femmes, qui symbolise le mieux l’attention que porte le roi à l’éducation des filles. Baptisée du nom de la sœur préférée d’Abdelaziz Al Saoud, le fondateur du royaume, elle se dresse peu à peu, au milieu des grues, au bord de la route qui mène à l’aéroport de Riyad. Les bâtiments de ce projet de plusieurs milliards de dollars s’étendent sur plusieurs kilomètres et sont reliés par des rails.
Les autorités savent qu’elles doivent trouver des débouchés à toute une génération de jeunes Saoudiens diplômés. Elles prévoient d’investir plus de 100 milliards de dollars dans les cinq années à venir pour construire des routes, des chemins de fer et des ports, ainsi que des « villes économiques », de manière à créer un environnement favorable aux investissements nationaux et étrangers dans l’industrie et les services. À Riyad, un centre d’affaires est en chantier. Il regroupera des banques, des compagnies d’assurances, et offrira des services financiers de toutes sortes sur le modèle de la City de Londres. L’Arabie saoudite change à vue d’œil. Et ce qui frappe, c’est que la révolution en cours, loin de ne toucher que l’environnement architectural, est aussi dans les têtes.
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