Sékouba Konaté : « Je ne protégerai personne »
Le président par intérim de la Guinée nous a rendu visite à Paris. Il était venu s’entretenir avec des personnalités françaises au plus haut niveau, avant de s’envoler pour une visite officielle en Côte d’Ivoire. Rencontre avec un « président-général » impatient de rendre le pouvoir aux civils.
Quand il arrive au siège de Jeune Afrique le 6 avril à la mi-journée, Sékouba Konaté, président intérimaire de la Guinée, arbore un costume sombre de belle facture et une chemise claire. Pas de treillis donc, mais une allure classique de chef d’État. Celui qui préfère être appelé « général » plutôt que « monsieur le président » a les traits tirés, signe de fatigue, certes, mais également d’une certaine déprime du pouvoir.
Fait rarissime dans un continent où quiconque détient le pouvoir cherche à le conserver par tous les moyens, Konaté affirme n’avoir qu’une hâte : quitter cette fonction qui « l’emmerde ». « Vous ne pouvez pas imaginer à quel point cela me pèse d’être enfermé dans cette suite », confie le général qui loge au Scribe, un hôtel de prestige près de l’Opéra de Paris.
Il a tout fait pour que la transition prenne fin : nomination d’un Premier ministre issu de l’opposition, qui a pu constituer son gouvernement, mise en place d’un gouvernement d’union nationale, du Conseil national de transition (CNT, l’organe législatif devant régir la transition). C’est grâce à ce bilan positif qu’il a pu s’entretenir avec les plus hautes autorités françaises.
Il a rencontré Bernard Kouchner aux Affaires étrangères, qui l’apprécie, ainsi qu’Alain Joyandet, à la Coopération. Ensuite, Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, lui a réitéré le soutien de Paris. Enfin, lors d’un entretien d’une quinzaine de minutes, le président Nicolas Sarkozy lui a confirmé que la Guinée est « une priorité française », avant d’inviter le nouvel homme fort de Conakry au sommet France-Afrique à Nice fin mai.
Avec Sékouba Konaté, « le courant passe mieux », explique une source diplomatique française. En effet, depuis l’accord de Ouagadougou du 15 janvier, Paris estime que « les circonstances permettent la reprise de sa coopération » en Guinée. Dans la foulée, le « guichet AFD », l’Agence française de développement, fermé après le 28 septembre, a rouvert. Le projet routier connu sous l’appellation de « deux fois deux voies » a été réactivé, à la grande satisfaction des résidents de Conakry, qui se plaignent des embouteillages.
« Nous appuyons également le processus de transition », précise cette source. En clair, la France met à la disposition de la Guinée expertise et argent frais pour l’élection prévue en juin. Fermé lui aussi depuis octobre, le centre culturel a repris ses activités. Le chapitre de la coopération militaire n’est pas en reste : Paris est prêt à contribuer à l’assistance technique et financière nécessaire à la « réforme de l’armée guinéenne », si chère à la classe politique du pays et au général Sékouba Konaté lui-même.
La France devient ainsi le chef de file du « plaidoyer » pour la Guinée. Union européenne, Banque mondiale, Organisation des Nations unies, coopérations bilatérales, organisations sous-régionales et continentales, les diplomates français travaillent tous à faire passer cette consigne : « Indulgence maximale » !
Sékouba Konaté, qui laisse aux civils la gestion du pays et les réformes devant mener à l’élection, se réserve la diplomatie et la réforme de l’armée. Il souhaite léguer à son successeur, un civil, une armée « réformée, disciplinée et casernée ». « Beaucoup de mesures ont déjà été prises dans ce cadre, indique-t-il. Nous avons amélioré l’équipement et la formation, ainsi que l’accompagnement des retraités, et entamé la reconstruction de tous les camps. Des partenaires comme la France vont nous aider à terminer ces chantiers et à réviser l’indice salarial des soldats. »
Parallèlement, il a procédé à la collecte et à la mise sous clé des armes lourdes et des munitions. Avant de démanteler et de redéployer à travers le pays l’armée parallèle, forte de 7 000 hommes, que Moussa Dadis Camara faisait former par des instructeurs israéliens à Kaliah. Des chefs de cette unité, dont Marcel Guilavogui, neveu de Dadis, ont d’ailleurs été arrêtés et incarcérés le 31 mars.
Les pro-Dadis restés en grâce, Claude Pivi et Tiégboro Camara notamment, ont fait allégeance et conservé leurs portefeuilles ministériels. Quand J.A. l’interroge sur le maintien au gouvernement de ces personnalités citées parmi les auteurs du massacre du 28 septembre 2009, Sékouba Konaté invoque le droit à la présomption d’innocence soulignant que « ni la justice internationale, ni la justice guinéenne ne les a pour l’instant inculpés ». Avant de lâcher : « Je ne protégerai personne. Tous les auteurs de la tragédie du 28 septembre doivent être poursuivis pour que de tels faits ne se répètent plus. »
Parmi les militaires visés, le lieutenant Aboubacar Diakité, alias Toumba, celui qui tira sur Dadis le 4 décembre 2009 et qui reste jusqu’à ce jour introuvable. Ne bénéficie-t-il pas d’une protection pour avoir débarrassé le pays de l’ex-chef de la junte ? « Il est vrai que Toumba est populaire au sein d’une certaine frange de la population. Mais c’est surtout la faiblesse de nos services de renseignements qui explique qu’il n’ait toujours pas été retrouvé », explique le général.
Si Sékouba Konaté a fini de couper Dadis de tous ses soutiens et de créer les conditions pour empêcher son retour dans le jeu, il assure toutefois lui parler régulièrement au téléphone. « Il n’est pas retenu à Ouagadougou contre son gré », souligne-t-il, espérant pourtant que son prédécesseur restera loin, au moins jusqu’au scrutin. Ensuite, le général compte, dit-il, prendre sa retraite et se retirer définitivement de cette vie publique, qui visiblement n’est pas à son goût.
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