Attentat de Moscou : les causes d’une tragédie
Trente-neuf morts dans le métro de Moscou, le 29 mars, quatorze au Daguestan au cours des jours suivants… La répression tous azimuts n’a fait que radicaliser l’insurrection caucasienne.
Le 26 mars, trois jours avant les attentats qui ont fait au moins 39 morts et des dizaines de blessés dans deux stations de métro du centre de Moscou, Nikolaï Rogojkine, le vice-ministre russe de l’Intérieur, donne une conférence de presse. À l’en croire, la situation dans le Caucase du Nord est « contrôlable ». À preuve, explique-t-il, 200 « bandits » sévissant au Daguestan, en Ingouchie et en Tchétchénie ont été abattus en 2009. Et environ 600 autres arrêtés. Leur nombre ne dépasserait pas 500 aujourd’hui.
Officiellement, donc, tout va bien. En avril 2009, le Kremlin a levé l’état de siège en Tchétchénie, comme pour clore les deux guerres qui, de 1994 à 1996 et de 2000 à 2004, firent quelque 100 000 morts. Depuis, Ramzan Kadyrov, le président tchétchène adoubé par Moscou, joue les « petits pères du peuple ». À la tête d’une république qu’il reconstruit à marche forcée pour la transformer en un « petit Dubaï », le jeune tyranneau affirme lui aussi que l’insurrection est moribonde. Elle ne l’est apparemment pas assez pour l’empêcher de frapper à Moscou et ailleurs. Le 31 mars et le 1er avril, trois attentats ont fait quatorze morts au Daguestan.
Traquée sans relâche, la rébellion tchétchène est certes très affaiblie. Repliée dans les montagnes, elle laisse le soin à des kamikazes de frapper en zone urbaine, comme cette femme qui, en septembre 2009, s’est fait exploser avenue Poutine, à Grozny, la capitale. Mais la répression brutale a aussi eu pour effet de radicaliser – et d’islamiser – les insurgés. Pis, elle a contribué à propager la crise aux régions voisines d’Ingouchie, du Daguestan, d’Ossétie du Nord et de Kabardino-Balkarie. Depuis plusieurs mois, toutes sont frappées quasi quotidiennement par des attentats qui visent voies ferrées et administrations, policiers et personnalités, comme le ministre de l’Intérieur daguestanais, assassiné en juin 2009. Dans cet imbroglio fait d’intense corruption, d’intérêts pétroliers et de luttes de pouvoir, il est parfois difficile de distinguer règlements de comptes tribalo-mafieux et guérilla indépendantiste.
Veuves noires
Ce climat tendu laissait donc présager le sinistre coup d’éclat du 29 mars, revendiqué trois jours plus tard par Dokou Oumarov, l’« émir du Caucase ». De fait, tout accrédite la piste caucasienne. D’abord, le mode opératoire : l’attentat-suicide. Ensuite, le fait que les présumés kamikazes étaient des femmes, ces « veuves noires » qui, désespérées d’avoir perdu un ou plusieurs proches, n’aspirent plus qu’au martyre. Enfin, le lieu : le métro de la capitale, déjà frappé à deux reprises en février et août 2004 (51 morts au total).
Dans le passé, la Russie a pourtant subi des attentats sur lesquels plane le doute d’une manipulation. Ceux qui, à l’automne 1999, avaient soufflé plusieurs immeubles d’habitation à Moscou et en Russie centrale (300 morts) avaient en tout cas servi de prétexte au Kremlin pour déclencher peu après la seconde guerre de Tchétchénie…
Ce regain de violence aura-t-il pour conséquence de souder une population russe appauvrie par la crise autour de thèmes nationalistes et xénophobes, alors qu’elle commençait à se montrer plus critique à l’égard du pouvoir, et notamment du Premier ministre, Vladimir Poutine ? Ce dernier en sortira-t-il renforcé dans la perspective de la présidentielle de 2012, au détriment du chef de l’État, Dmitri Medvedev ? En janvier, ce dernier avait fait le pari du développement économique en nommant un ancien dirigeant de groupe industriel « superconsul » pour le Caucase. Partisan de la manière forte, Poutine, qui avait juré en 1999 de « buter les terroristes jusque dans les chiottes », promet aujourd’hui de « curer les égouts ». Si, à l’époque, son ton martial avait séduit, beaucoup lui reprochent aujourd’hui l’inefficacité de sa politique du tout-répressif, qui a abouti à une impasse.
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