Quel avenir pour les seniors ?
Baisse de la proportion cotisants-pensionnés, retard pris dans la réforme du système des retraites, montée en puissance de l’individualisme… Les personnes âgées sont de plus en plus fragilisées.
Les démographes sont unanimes : la croissance démographique des pays du Maghreb connaît depuis les années 1980 un ralentissement remarquable. Les effets conjoints de la transition démographique et de l’augmentation de l’espérance de vie expliquent le vieillissement de la population dans la région. À tel point que, d’ici à 2020, le ratio de dépendance, à savoir le rapport entre la population active et la population en âge d’inactivité, se rapprocherait de celui de l’Europe. Autrement dit, le nombre de personnes âgées augmentera, tandis que de moins en moins d’actifs seront là pour subvenir à leurs besoins, qu’il s’agisse de contributions directes, sous forme d’aides familiales, ou indirectes, par la redistribution des cotisations de retraite.
Néanmoins, dans le cas des pays du Maghreb central – Algérie, Maroc, Tunisie –, les personnes âgées ne sont pas systématiquement à classer dans le groupe des « inactifs ». Loin s’en faut ! Car nombreux sont ceux qui, bien qu’ayant atteint l’âge de la retraite, fixé à 60 ans dans les trois pays, sont obligés de continuer de travailler. Le système étant assurantiel, seulement une minorité reçoit des prestations, par ailleurs plus généreuses qu’en Europe. La part des personnes âgées couvertes par un régime de retraite n’est que de 20 % au Maroc, 35 % en Algérie et 38 % en Tunisie. « Au Maroc, peu de gens cotisent pour la retraite, et ce sont essentiellement les fonctionnaires, indique Sana, 30 ans, mère au foyer. C’est cette sécurité qui rend la fonction publique si attractive et qui explique qu’on ait besoin de tant de pistons pour y entrer ! »
Chute de l’indice de fécondité
Les « vieux », qu’on définira comme des personnes âgées dépendantes, soit les 70 ans et plus, représentent aujourd’hui, selon les chiffres du Département de l’économie et des affaires sociales des Nations unies (Desa), un peu moins de 4 % de la population en Algérie, 4,5 % au Maroc et 6 % en Tunisie. Dans les trois pays, ces chiffres doubleront d’ici à 2030. Dans le même temps, la part de jeunes (moins de 24 ans) et d’adultes (entre 25 ans et 60 ans) va continuer de baisser, les trois pays enregistrant, depuis les années 1980, une chute brutale de leur indice synthétique de fécondité. Le nombre moyen d’enfants par femme est passé, entre 1985 et 2009, de 5,3 à 2,2 en Algérie, de 4,5 à 2,2 au Maroc et de 4,1 à 2 en Tunisie. Toujours selon les prévisions du Desa, cette diminution va se poursuivre au Maroc et en Algérie d’ici à 2030 et se stabiliser en Tunisie à partir de 2020. Cela signifie que les générations en âge de travailler et de cotiser sont moins nombreuses. Les pays du Maghreb ayant tous opté pour un système par répartition, l’équilibre du financement des retraites s’en trouve menacé.
Mehdi Ben Braham, chercheur à l’université Paris-Dauphine, rappelle que, dans les années 1980, il y avait en Tunisie 17 actifs dans le secteur privé pour 1 pensionné (et 8 dans le public), alors qu’aujourd’hui ils ne sont plus que 4 actifs pour 1 pensionné dans les deux secteurs. Et la proportion cotisants-pensionnés se réduit d’année en année. Par ailleurs, le système n’étant pas universel, la plupart des personnes âgées, notamment les femmes au foyer, les chômeurs et tous ceux qui travaillent dans le secteur informel, ne peuvent prétendre à la retraite. Au Maroc, c’est plus de 20 % de la population active en moyenne qui participe à l’économie souterraine. Dans certains secteurs, comme l’agriculture, le pourcentage est encore plus élevé.
Enfin, les aides sociales aux personnes âgées les plus démunies sont insuffisantes. Selon Claire el-Moudden, démographe au Centre de recherche en économie et management (Crem), « il n’existe pas, au Maroc, de programmes d’aide sociale spécifique aux personnes âgées. En Algérie, l’aide sociale concerne un nombre non négligeable de personnes démunies, dont les personnes âgées, mais à des montants très faibles, ce qui ne leur permet pas de sortir de la pauvreté. En Tunisie, il existe une panoplie de programmes sociaux, comme l’aide médicale gratuite, permettant d’échapper à la pauvreté ».
Impératif coutumier
Ainsi, les seniors vivent essentiellement de l’argent mis de côté pendant qu’ils travaillaient ou offert par la famille. « Pour nous, témoigne Sana, c’est normal de les aider. Ils nous ont tout donné, et je préfère travailler un peu plus pour eux que de les voir galérer [sic] ! L’aide et le respect dus aux plus âgés sont fortement ancrés dans notre tradition et notre religion. »
Cependant, au-delà de l’impératif coutumier ou religieux, un grand nombre de familles ne peuvent tout simplement pas faire autrement que de vivre sous le même toit que leurs aînés. « Il faut savoir que pour certains, la prise en charge n’est pas un choix mais une réelle nécessité, confie Rachid, jeune Marocain de 30 ans. Il n’existe pas de couverture comparable à ce qui se fait en Europe. On se débrouille, c’est tout. »
Néanmoins, le changement des comportements sociaux tend à amenuiser les liens intergénérationnels. Non seulement les plus jeunes sont moins nombreux, mais ils sont aussi devenus plus individualistes. « Nous, la génération des années 1970, observe Nacéra, une Marocaine, avons vécu dans la sacralisation de nos parents et grands-parents. C’est de moins en moins le cas, et je le déplore ! » Aujourd’hui, les maisons de retraite n’ont pas vraiment la cote et servent essentiellement aux seniors européens qui ont les moyens de couler des jours tranquilles au soleil. « Ces maisons ne sont pas populaires, confirme Sana. Je vois mal quelqu’un de ma famille y mettre ma grand-mère. Déjà, il n’en aurait pas les moyens, mais je pense que ce n’est pas qu’une question d’argent. Quiconque placerait ses parents ou grands-parents dans une maison de retraite se couvrirait de honte. » Cependant, avec plus de moyens, il est fort probable que le modèle européen finisse par s’imposer.
Besoin de financement
Étant donné la situation actuelle, les gouvernements de la région se préparent à différents types d’intervention. Ils prévoient d’abord de réformer le système des retraites, même si le niveau d’engagement n’est pas comparable d’un pays à l’autre. En Algérie, la réforme des régimes de retraite est en panne. La Caisse nationale des retraites (CNR), créée en 1983, a réussi l’uniformisation des systèmes des retraites et la réduction des inégalités entre assurés. Mais elle manque cruellement de financement. Un Fonds national de réserve des retraites a été créé en 2006 pour combler ces déficits. Il a pour mission de gérer les ressources financières qui lui sont allouées (2 % des rentrées pétrolières annuelles) et de constituer des réserves destinées à assurer la viabilité du système des retraites. Mais les démographes pensent que ces ressources ne seront pas à la mesure du bouleversement qui va avoir lieu.
En Tunisie comme au Maroc, la diversité institutionnelle entre les différents régimes de retraite pose un problème supplémentaire. Elle crée en effet de fortes inégalités entre les employés du public, du privé et les travailleurs indépendants, qui bénéficient de couverture à chaque fois différente. L’uniformisation du système n’est pas encore à l’ordre du jour en Tunisie. Néanmoins, le gouvernement s’est doté d’un Office national de la famille et de la population (ONFP), placé sous la tutelle du ministère de la Santé publique. L’ONFP est à l’origine de nombreuses initiatives en matière de santé et d’intégration des personnes âgées dans la société.
En Tunisie, le ministère des Affaires de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées (Maffepa) a également conçu toute une série de programmes visant à fournir une assistance médico-sociale gratuite et à domicile aux personnes âgées. Le ministère encourage, enfin, le développement du placement en famille, ainsi que celui des centres d’accueil ou encore des clubs seniors. Le but étant, selon le Dr Amel Jemaa, chargée de mission au Maffepa, « de rompre l’isolement des personnes âgées et de soutenir la prise en charge des familles ».
A quand l’accès universel aux soins et à la retraite ?
Le Maroc songe sérieusement, quant à lui, à la refonte du système des retraites. Depuis janvier 2004, une commission nationale a été mise en place pour en concevoir une architecture nouvelle. Un des points majeurs de la réforme consistera à rédiger une loi-cadre permettant d’uniformiser les régimes de retraite et de réduire ainsi les écarts entre bénéficiaires. De plus, pour atténuer les effets du problème de financement des caisses, Mohamed Bendriss, directeur de la Caisse marocaine des retraites (CMR), a annoncé que « la commission a enregistré deux propositions : le passage à un régime mixte entre répartition et capitalisation et l’introduction de régimes complémentaires Attakmili, en plus des régimes de base ».
Un des angles morts de la réforme dans ces trois pays est la question de l’accès universel aux soins et à la retraite. À en croire Najat Brahmi, juriste tunisienne, la loi ne le prévoit pas : « C’est d’abord la famille qui assume la responsabilité d’une personne âgée. Ensuite seulement, l’État peut intervenir, mais en tant que simple forme auxiliaire. » Un système de retraite universelle nécessiterait sans doute la mise en place d’un nouvel appareillage législatif et représenterait un investissement onéreux pour les gouvernements des pays du Maghreb. Mais il pourrait constituer, avec la réduction du secteur informel, une réponse adéquate au défi posé par le vieillissement accéléré de la population.
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