Monastir se souvient
Les habitants débattent de l’héritage qu’a laissé l’ex-président, tandis que les touristes se pressent pour profiter des douceurs de sa ville natale. Promenade sur les traces du plus célèbre des Monastiriens.
Que reste-t-il de Bourguiba ?
À Monastir, sa ville natale, à 160 km de Tunis, le mausolée qui abrite sa tombe ne désemplit pas. En ce week-end grisâtre et frisquet de la mi-mars, c’est pourtant la basse saison touristique, dans une conjoncture de crise mondiale, de surcroît. Mais ils étaient là, par dizaines, tôt le matin, parcourant l’ouvrage et photographiant la sépulture. Et dans une salle mitoyenne de six mètres sur sept où sont exposés quelques rares effets personnels de l’homme qui a régné plus de trente ans sur la Tunisie (1956-1987), certains se rassemblent pour improviser un cours d’histoire. Tel ce groupe de Bretons qui s’émeuvent d’apprendre qu’il a vécu en déportation sur l’île bretonne de Groix et s’extasient en reconnaissant l’ancien président du Conseil français, Pierre Mendès France, dont la photo est visible dans la bibliothèque du bureau, comme du temps du règne de Bourguiba. Des Tunisiens en pèlerinage leur expliquent que c’est cet homme d’État français qui a conclu avec Bourguiba l’accord sur l’autonomie interne, en juillet 1954, ce qui avait ouvert la voie au retour triomphal du Combattant suprême à Tunis en juin 1955, « après 1 228 jours d’âpre exil », et enfin à l’indépendance, le 20 mars 1956.
Ce Monastirien a conservé un vinyl d’un discours de Bourguiba.
« Notre premier objectif, une fois à Monastir, a été de venir le voir, nous explique une dame membre du groupe. C’est normal : nous sommes très féministes et anticolonialistes. Bourguiba était un exemple pour la libération de la femme. À cela s’ajoute que nos deux pays sont proches et entretiennent des relations de confiance. » Sur l’esplanade extérieure, un jeune couple algérien en voyage de noces se fait prendre en photo par d’autres touristes. « C’était la place à visiter, explique le mari. De plus, Bourguiba a beaucoup fait pour soutenir la lutte des Algériens pour l’indépendance. »
Lieu de pèlerinage
« De tous les monuments de cette cité plus de deux fois millénaire, le mausolée est le lieu le plus visité, raconte un Monastirien sexagénaire témoin de la scène. Voir des touristes venir si nombreux pour se souvenir de Bourguiba nous met du baume au cœur. » Il y a aussi des groupes scolaires en excursion. Les habitants de la ville y font une halte lorsqu’ils viennent se recueillir sur les tombes des leurs dans le cimetière Sidi Mezni, séparé du mausolée par un mur. « Bourguiba est toujours dans nos cœurs, déclare B., un enseignant. Ici, dans la plupart des familles, il y a au moins une personne qui a participé à la lutte nationale à ses côtés, travaillé avec lui pendant son règne, ou bénéficié de sa générosité. »
Dix ans après sa mort, le temps du bilan est néanmoins venu chez les jeunes, même à Monastir. « À la maison, raconte Aymen, un jeune avocat, mes parents ont placé son portrait en bonne place dans le salon, et, naturellement, nous discutons de lui à certaines occasions, et ça se termine toujours par une querelle. Ils sont des inconditionnels, c’est une culture qu’il leur a inculquée. Mais pour moi, et malgré ses qualités, je ne peux pas passer sous silence le fait qu’il a été un despote. Comme disait mon professeur de droit feu Mohamed Charfi, on ne peut pas être un grand homme politique sans être démocrate… »
« Le seul reproche que nous, Monastiriens, pouvons lui faire, admet un vétéran, c’est que pour ouvrir de grandes artères afin de moderniser la ville comme il le voulait, il a fallu raser un tiers de la médina historique. » Mais à part cela, les Monastiriens lui sont tous reconnaissants d’avoir fait de leur ville une grande cité et de la région un haut lieu d’activité économique, d’autant qu’il y existe une forte tradition d’entrepreneuriat, comme dans le bassin textile de Ksar Hellal ou dans l’agriculture et la pêche modernes à Teboulba. Les infrastructures de base ont permis de porter à plus de 99 % les taux de scolarisation, d’électrification, de desserte en eau potable en milieu urbain mais aussi rural. La région compte dix zones industrielles, dont deux sont en cours d’aménagement. En matière d’éducation, clé de voûte de la vision de Bourguiba, Monastir peut s’enorgueillir d’être devenu un pôle universitaire remarquable avec ses facultés de médecine, de pharmacie, de chirurgie dentaire, ainsi que ses grandes écoles d’ingénieurs, de sciences technologiques et paramédicales. Les étudiants représentent un cinquième de la population de la ville, qui comptait 72 000 habitants en 2004, sur près de 500 000 pour l’ensemble du gouvernorat.
Bourguiba est présent sur les photos-souvenirs de Monastir.
Parti de rien, Monastir est devenu l’une des stations balnéaires les plus fréquentées du pays. Tout a commencé avec l’aéroport entré en exploitation en 1968 et que Bourguiba avait décidé de construire contre l’avis des bureaux d’études, qui avaient conclu à sa non-rentabilité. Mais les charters de touristes sont venus. Aujourd’hui, la zone de Monastir-Skanès compte une cinquantaine d’hôtels totalisant plus de 25 000 lits, un port de plaisance, deux golfs, trois clubs de plongée sous-marine et deux centres de thalassothérapie. Le succès est tel que l’aéroport a vu sa capacité portée, en 1995, de 500 000 à 3,5 millions de passagers par an. Et, depuis plusieurs années, l’aéroport international Habib-Bourguiba de Monastir est à nouveau saturé, avec plus de 4 millions de passagers en 2008, devenant le second aéroport du pays et le premier pour les charters. Concessionnaire du nouvel aéroport international Zine-el-Abidine-Ben-Ali, qu’elle a construit à Enfidha, à mi-chemin entre Tunis et Monastir, la compagnie turque TAV, qui a la gestion de l’aéroport de Monastir depuis janvier 2008, a demandé et obtenu que celui-ci entre dans la même concession que l’aéroport d’Enfidha, dont la mise en service est imminente. Bourguiba avait vu loin.
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